Meurtres et suspense dans les camps de la mort

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Camps de la mort, camps de concentration, goulags ou centres d’extermination, ces dénominations funestes renvoient toujours à ces lieux sinistres où l’on entasse des milliers de prisonniers dans le but de les éliminer. Dans ces abattoirs organisés, les détenus disparaissent tous les jours : tués par les gardiens, battus à mort, gazés, mitraillés ou pendus. D’autres succombent à la maladie, aux mauvais traitements, à la malnutrition ou au désespoir. D’autres encore se suicident. Chaque jour apporte son lot de cadavres alors que certains sont même assassinés par un codétenu. Dans ces conditions, au beau milieu de ces tueries de masse, on imagine mal que puisse se dérouler une enquête policière susceptible de résoudre le meurtre d’un simple prisonnier. À quoi bon, après tout? Cela explique peut-être pourquoi le roman policier et le thriller se sont rarement aventurés derrière les barbelés de ces enfers même s’ils ne les ont pas complètement ignorés.

L’intrigue de Kolyma (Tom Rob  Smith) se déroule en grande partie dans le sinistre goulag 57. L’affaire du lieutenant Scott (John Katzenbach) raconte une passionnante enquête sur le meurtre d’un officier américain dans un stalag (camp de prisonniers) allemand. Avec Le projet Bleiberg, David S. Khara nous entraîne dans les coulisses du Stutthoff [sic], un camp d’extermination nazi où des médecins du régime pratiquaient d’horribles expériences sur les détenus, alors que dans Projet Shiro, il évoquedes horreurs semblables dans un camp de prisonniers japonais pendant la guerre du Pacifique. Par ailleurs, il est brièvement question du camp d’Auschwitz-Birkenau dans un chapitre de Vanités, de Johanne Seymour, qui évoque ces mêmes expériences inhumaines menées par des Frankenstein des temps modernes.

Deux thrillers récemment parus proposent une intrigue dont l’action se déroule presque entièrement dans un camp d’extermination. Rouge Sibérie, de Sam Eastland (pseudonyme de Paul Watkins), est le troisième volet des aventures de l’inspecteur Pekkala. Ce personnage formidable a fait une première apparition dans L’œil du tsar rouge (Anne Carrière, 2010). Sur les ordres de Staline, il est sorti de l’horrible goulag où il croupissait depuis plusieurs années pour enquêter sur le massacre de la famille du tsar Nicolas II. Avant son arrestation par les révolutionnaires, Pekkala était le policier le plus puissant de la Russie impériale. Baptisé « L’oeil du tsar », il avait tous les pouvoirs, y compris celui d’enquêter sur le souverain et sa famille. Staline refait appel à ses services dans Le cercueil rouge (Anne Carrière, 2011) et le convoque à nouveau dans Rouge Sibérie pour une mission très particulière. C’est l’année 1939. Les combats font rage en Pologne et, malgré un traité secret signé avec l’Allemagne, Staline s’attend à ce que Hitler envahisse la Russie. Pour y faire face, il a besoin de beaucoup d’argent. La solution : retrouver l’or du trésor des Romanov, dissimulé peu avant l’exécution du tsar. Quand il apprend que la solution de l’énigme et un témoin potentiel se trouvent dans le camp de Borodok, là où Pekkala avait croupi pendant des années, Staline n’hésite pas un instant : il ordonne à Pekkala d’y retourner sur-le-champ, de se mêler aux prisonniers et d’identifier le meurtrier de son indicateur. Mais sa véritable mission sera de retracer l’or perdu des Romanov. Voici donc Pekkala forcé de passer pour un détenu, de mener une enquête criminelle dans un environnement très hostile et dans les conditions de vie épouvantables qui règnent dans un camp de prisonniers perdu au fin fond de la Sibérie. Au cours de cette mission cauchemardesque, riche en rebondissements, l’auteur ménage (comme dans les romans précédents) une série de retours en arrière qui ramènent le lecteur à l’époque de Nicolas II, d’Alexandra et de Raspoutine. Alors que le tsar est presque une figure paternelle dans les deux premiers volumes, il révèle peu à peu un autre visage, plus fourbe, plus manipulateur, au grand désespoir de Pekkala, qui s’estime trahi. Cette série passionnante de thrillers historiques, à la fois distrayante et très instructive est à ne pas manquer!

Dans Bloc 11, Piero Degli Antoni nous conduit dans un huis clos hallucinant et stressant qui a pour cadre le camp de concentration d’Auschwitz en 1944. Trois prisonniers se sont évadés. En guise de représailles, le commandant du camp désigne dix détenus. Ils sont enfermés dans le bloc 11 et ils ont une nuit pour choisir lequel d’entre eux sera fusillé le lendemain. Les neuf autres seront épargnés. Commence alors une confrontation mémorable entre ces dix malheureux qui n’ont pas été sélectionnés au hasard. Parmi eux, on trouve deux Kapos, ces gardiens honnis et sadiques triés parmi les détenus, souvent plus féroces que les SS, un révolutionnaire communiste et son adjoint, le petit débrouillard du camp qui a toujours nourriture et cigarettes, généralement bien vu des gardiens, les piteux protagonistes d’un étrange triangle amoureux, un officier SS dégradé qui a refusé d’exécuter des civils, un homosexuel, souffre-douleur des gardiens et de ses semblables. La nuit va être longue pour ces misérables promis à une mort certaine s’ils n’obtempèrent pas! Et même s’ils obéissent, seront-ils vraiment sauvés pour autant? Rien n’est moins sûr…

Pendant ce temps, le commandant du camp convie son fils à une étrange partie d’échecs où certaines pièces correspondent aux prisonniers enfermés dans le bloc 11. L’auteur reconstitue de manière magistrale la vie quotidienne dans l’enfer de ce qui fut le plus grand camp de la mort de la machine d’extermination nazie. Il crée un suspense insoutenable avec ce simulacre de tribunal dantesque où des détenus doivent sacrifier l’un des leurs pour sauver les autres. Deux chapitres dont l’action est contemporaine encadrent les événements du camp. On y apprendra l’issue tragique de cette nuit de cauchemar ainsi que l’identité des survivants, avec en prime un dénouement surprenant. À la fois roman historique, drame psychologique et récit à suspense, Bloc 11 nous mène dans un voyage au tréfonds des ténèbres de l’âme humaine, où brille une faible lueur d’espoir, car cette histoire en est aussi une de rédemption.

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