Les états d’âme du commissaire

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Commissaires, inspecteurs et enquêteurs : ils ont en commun de résoudre des affaires criminelles à l'aide d'une équipe et à l'intérieur d'une structure policière hiérarchisée. Mais les personnages de commissaires des romans policiers de ce début de millénaire, tout comme les sociétés dans lesquelles ils évoluent, sont en pleine mutation. Finies les enquêtes purement déductives, les certitudes et la morale : bienvenue la désillusion, l'insécurité, le doute et l'impuissance face à la mondialisation du crime.

Le commissaire Guido Brunetti

Le personnage de Donna Leon, le lucide commissaire Brunetti, est un homme de compromis. Et il le faut pour faire face à une hiérarchie soumise à la puissance des grandes familles de la cité des Doges, dont il gratte patiemment le vernis… Dans Mortes-eaux, Brunetti nous entraîne à Palestrina, petite île de la lagune de Venise. Communauté peuplée de pêcheurs de palourdes fermés au monde, Palestrina est le théâtre du meurtre de deux pêcheurs, un père et son fils. Mais le pacte du silence est hermétique dans ce microcosme où la loi est faite pour être détournée : pêche dans des eaux polluées interdites, fausses déclarations de revenus. Brunetti y enverra incognito la secrétaire de son bureau, Signora Elettra, dont il est vaguement amoureux et qui a de la famille sur place. Cette taupe improvisée lui causera plus de soucis que de résultats : sa femme, qui se doute de ses sentiments pour la belle Elettra, ainsi que la férocité du meurtrier, qui n’est pas dupe. Encore un très bon roman de Leon, à la mécanique parfaite.

Le commissaire Éric Winters

Le plus jeune commissaire de Suède va bientôt avoir 40 ans et perdre son titre de gloire. Pire, Éric Winters attend un enfant et va bientôt se marier avec Angéla ! Tout un chamboulement pour ce coureur de jupons, sûr de lui et désinvolte dans sa vie privée. De plus, son père, avec qui il est en froid depuis des années, se meurt en Espagne. Ombre et soleil, roman initiatique d’Ake Edwardson, nous fait vivre le passage à l’âge adulte du commissaire Winters sur fond de meurtres rituels macabres. Des couples de la banlieue de la ville de Göteborg, où habite Winters, sont mutilés, décapités, et leurs têtes, inter-changées. De toute évidence, il s’agit d’un désaxé. Voici une excellente enquête mettant en parallèle la mutation de la société suédoise actuelle, qui perd son identité au profit d’une mondialisation de la criminalité, et la prise de conscience, par l’inspecteur Winters, de sa propre vulnérabilité.

L’inspecteur Tom Thorne

Nouveau venu dans la galerie des enquêteurs, le personnage de Mark Billingham, l’inspecteur Tom Thorne, de la police de Londres, n’admet pas que les flics s’endurcissent. Si lui-même se résigne au pire, à force de côtoyer les morts les plus atroces, il est résolu à rendre justice au nom des victimes. Dans Derniers battements de cils, Alison Willet, 24 ans, est retrouvée plus morte que vive, atteinte d’un « Locked-in Syndrome », soit condamnée à demeurer dans un état végétatif le reste de sa vie tout en étant parfaitement consciente. Son seul moyen de communication : un battement de cil. Dernière victime et première erreur d’un tueur en série au mode opératoire très particulier ou plutôt, comme l’inspecteur s’en rend compte rapidement, premier succès du tueur ! Mais il faut des connaissances médicales poussées et une dextérité de chirurgien pour provoquer un tel syndrome… Voilà un très bon premier roman et un personnage d’enquêteur singulier.

L’inspecteur Charlie Resnick

L’inspecteur Charlie Resnick, de la police de Nottingham, est un personnage dans la tradition de ceux de Hammet et de Chandler. Resnick est peu flamboyant. C’est un solitaire et un intuitif. Sans certitudes mais doué d’un grand sens de la justice, c’est aussi un enquêteur redoutable. Dans Derniers sacrements, le dernier volet d’une série de dix volumes écrits par John Harvey, Resnick enquête sur l’évasion de Michael Preston, parricide sans remords et apparemment sans raisons. Au même moment, une guerre de la drogue entre deux clans rivaux se déclare. Comme toujours dans les romans de Harvey, deux ou trois histoires sont entremêlées, sans compter, cette fois-ci, un bouleversement dans la vie de l’inspecteur qui justifiera la fin de la série. On s’ennuiera de ce fou du jazz, qui vit avec des chats trouvés portant les noms de Bud, Miles, Pepper et Dizzy, et de l’atmosphère particulière des ses enquêtes. Harvey n’a jamais été publié en grand format en français, mais quand bien des auteurs de best-sellers auront été oubliés, je suis persuadé qu’il aura encore sa place au panthéon du roman noir.

L’inspecteur John Rebus

Plus jeune que Resnick, c’est de rock qu’est passionné John Rebus, de la police d’Édimbourg. Bourru, mal embouché, sanguin, ivrogne quand rien ne va plus, Rebus a cependant conservé son indignation face au crime. Quoique dans La Mort dans l’âme, ses préjugés envers les pédophiles lui fassent commettre une erreur qui pourrait lui coûter cher… Les rapports de Rebus envers sa hiérarchie sont toujours, c’est peu dire, un peu tendus ! Outre ce pédophile qui l’obsède, un tueur en série écossais, innocenté aux États-Unis, rentre au pays et s’amuse à le provoquer. Enfin, il recherche, dans ses temps morts, le fils disparu d’un ami d’enfance  : trois intrigues parallèles qui mettront les nerfs de l’inspecteur à dure épreuve. Le personnage de Rebus est de plus en plus désespéré face aux méandres de la justice de son pays, et la tentation de faire justice lui-même, de plus en plus forte. Les livres de Ian Rankin sont, quant à eux, de plus en plus achevés. Dépassant les Américains en profondeur, les Anglais sont passés maîtres du roman noir.

Bibliographie :
Mortes eaux, Donna Leon, Calmann-Lévy
Ombre et soleil, Ake Edwardson, JC Lattès
Dernier battement de cil, Mark Billingham, Éditions du Masque
Derniers sacrements, John Harvey, Rivages/Noir
La Mort dans l’âme, Ian Rankin, Du Rocher

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