De la vengeance considérée comme un des beaux-arts

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Les dictionnaires définissent la vengeance comme étant un mal que l’on fait à quelqu’un pour le châtier d’une injure, d’un dommage, d’un tort. D’individuelle, elle peut devenir l’apanage d’un clan, d’une famille, d’un groupe pour devenir une vendetta. Quand le vengeur inflige à son ennemi une punition identique à l’offense, on évoquera loi du talion, parfaitement illustrée par l’expression populaire « Œil pour œil, dent pour dent », un sujet brillamment abordé par Patrick Senécal dans son roman Les sept jours du talion et adapté par Podz. Contrairement à certaines cultures orientales, très chatouilleuses sur les questions d’honneur, et où la vengeance est parfois une tradition millénaire et une obligation morale, les lois occidentales interdisent la vengeance : nul ne doit faire justice lui-même. Du Comte de Monte Cristo d’Alexandre Dumas à Kill Bill de Quentin Tarantino, en passant par la Mariée était en noir de William Irish (adapté à l’écran par François Truffaut) ou la très populaire série télévisée de Mike Kelley, Vengeance, la littérature, le cinéma et la télévision ont fait leurs choux gras avec cette thématique riche en possibilités narratives. Et le roman policier ne fait pas exception à la règle avec ses nombreux récits aux titres explicites : Vendetta de R. J. Ellory (un chef-d’œuvre!), Vengeance, impair et passe de Jeffery Deaver, La vengeance aux yeux noirs de Lisa Gardner, La revanche du petit juge de Mimmo Gangemiou Vengeances de Bernhard Aichner.

Ce thriller de l’auteur autrichien Aichner n’est pas sans rappeler La mariée était en noir de William Irish, un classique roman noir datant de 1956. Brünhilde Blum (qui déteste son prénom qu’elle trouve ridicule) vit heureuse avec son mari, Mark, un policier, et ses deux fillettes âgées de 3 et 5 ans. Sa petite vie paisible est idyllique, malgré un passé trouble : huit ans auparavant, Blum s’est froidement débarrassée de ses parents adoptifs et a repris leur entreprise de pompes funèbres qu’elle a modernisée. Son bonheur vole en éclats quand la moto de Mark est percutée par une voiture et que son mari est tué sur le coup. Blum découvre qu’il ne s’agit pas d’un accident : Mark enquêtait sur l’enlèvement d’une jeune fille moldave séquestrée et torturée par cinq hommes masqués. Pour venger le meurtre de l’homme qu’elle aimait, Blum décide de retrouver les coupables. Elle se lance dans une traque impitoyable au cours de laquelle elle fera preuve de beaucoup de courage, de détermination et de savoir-faire pour se débarrasser des assassins de son mari. Dans ce thriller très noir, dont certaines scènes de violence extrême rappellent des épisodes sanglants de la série Dexter, l’auteur trace le portrait d’une héroïne énigmatique, amorale, qui tue sans scrupules ni états d’âme. Le récit est captivant, l’action est continue, sans digressions inutiles, et le dénouement est digne des meilleurs romans noirs. Bernhard Aichner est photographe. Il a aussi écrit plusieurs romans, des pièces de théâtre et des feuilletons pour la radio. Vengeances est son premier polar.

On dit que la vengeance est « douce au cœur de l’indien »… Elle l’est certainement pour ce tueur qui égorge froidement des hommes venus des meilleures familles, riches et privilégiés, dans Des garçons bien élevés de Tony Parsons. Ils sont sept et ont tous fréquenté la très prestigieuse école de Potter’s Field. Et contrairement à l’inspecteur Max Wolfe, qui ignore les motivations profondes de l’assassin tout en essayant tant bien que mal de reconstituer les différentes pièces du puzzle de ce massacre insensé, le lecteur sait, dès les premières pages, que ces hommes cachent un terrible secret : au cours de leur scolarité à Potter’s Field, ces sept étudiants ont organisé une orgie au cours de laquelle ils ont sévèrement battu et violé une jeune femme dont ils se sont débarrassés par la suite. Qu’est-il réellement advenu de la jeune femme? On s’en doute un peu, mais on ne le saura vraiment qu’à la toute fin, quand Max Wolfe aura jeté toute la lumière sur cette terrible affaire et révélé l’identité (surprenante) du véritable coupable. Mais avant cela, l’auteur entretient le suspense alors que les meurtres se succèdent, que les divers éléments se mettent en place et que Wolfe découvre peu à peu l’atroce vérité de ce qui s’est réellement passé lors de cette funeste soirée. Derrière la façade respectable de certains de ces individus se cachent des vices innommables, un sadisme meurtrier. L’un d’entre eux, rongé par le remords, s’est suicidé et les plus faibles risquent de cracher le morceau. Malgré des apparences trompeuses – un titre banal et une couverture hideuse, éléments qui n’indiquent en rien un roman policier –, Des garçons bien élevés de Tony Parsons est un excellent thriller avec un héros attachant que l’on aimera retrouver (ce roman est le premier d’une série) et une intrigue palpitante. Présenté comme la nouvelle révélation du polar anglais, Tony Parsons est un ancien journaliste de punk rock, qui a fréquenté les Clash et les Sex Pistols.

Que fait un homme quand il se retrouve face à l’assassin de son enfant? Doit-il le livrer à la justice ou exercer la loi du talion? Tel est le dilemme auquel sera confronté Antonio Lavezzi, héros du thriller noir Le fil rouge de Paola Barbato. Père inconsolable depuis que sa fille de treize ans, Michela, a été sauvagement assassinée, il est obsédé par l’idée de vengeance. Sa femme l’a quitté – elle le tient pour responsable du drame – et le meurtrier n’a jamais été arrêté. Un jour, il est contacté par un homme mystérieux baptisé l’Assassin, qui lui ordonne d’exécuter des criminels ayant échappé à la justice. Pour le persuader de passer à l’action, l’inconnu lui fait comprendre qu’il sait qui a tué Michela et que s’il obéit à ses consignes, il aura peut-être l’occasion de se venger. Dès lors, Antonio est pris dans une spirale meurtrière et les cadavres s’accumulent. Le fil rouge est un polar atypique. Si le thème de la vengeance privée est bien imaginé et mis en scène, il reste que l’intrigue passablement tordue flirte un peu trop souvent avec l’invraisemblable. On a beau déployer des trésors d’imagination pour trucider les victimes désignées, en faire des crimes parfaits, certains épisodes sont un peu rocambolesques. Quand au dénouement brutal, inattendu, il met en lumière de manière ironique les dangers de la loi du talion : et si on se trompait de cible? Et si on se vengeait pour les mauvaises raisons? On se souviendra que dans La mariée était en noir, la veuve de l’homme tué traque et élimine les cinq responsables de la mort de son mari, pour apprendre, à la toute fin, qu’ils étaient innocents! Sans vouloir révéler quoi que ce soit, afin de ne pas nuire au suspense, on dira simplement qu’un élément similaire est présent dans ce récit. Paola Barbato est scénariste pour la télévision et auteur de bandes dessinées. Le fil rouge est son deuxième roman publié en France après À mains nues.

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