Qu’est-ce qu’un roman policier historique? Même si nous en trouvons quelques rares exemples sous la plume d’auteurs d’antan comme Agatha Christie, John Dickson Carr, Nicholas Meyer et autres, ce sous-genre très populaire a vraiment gagné les faveurs du grand public après la publication du best-seller Au nom de la rose, d’Umberto Eco.

Le récit se passe au Moyen Âge, et son protagoniste est Guillaume de Baskerville, un ex-inquisiteur qui enquête sur une série de meurtres survenus dans une abbaye bénédictine isolée du sud de la France. Le succès d’Eco engendrera nombre d’émules qui feront du polar historique un secteur phare de la littérature policière. Quant à sa définition, si les experts sont unanimes sur le fait que l’intrigue criminelle doit se dérouler dans le passé, ils le sont moins quand il s’agit d’en établir les limites. Selon Michèle Witta, bibliothécaire à la Bibliothèque des littératures policières de Paris, « le roman policier historique est un roman policier dont l’action se situe à une époque qui précède peu ou prou la naissance de l’auteur ». Jack : Une enquête de Joseph Laflamme, de Hervé Gagnon (qui se passe à Londres en 1888), ou Dans l’ombre du brasier, de Hervé Le Corre – qui raconte une enquête criminelle pendant la Commune de Paris –, en sont de bons exemples.

Aux États-Unis, une règle non écrite (et pas toujours respectée) stipule que tout roman historique, y compris le polar, est censé se dérouler avant la Première Guerre mondiale. Rare exception où l’action se situe dans le présent, La fille du temps, de Josephine Tey, raconte l’histoire d’un policier anglais qui tente de résoudre une énigme criminelle historique – l’assassinat des neveux du roi Richard III, en 1483 – depuis son lit d’hôpital.

Pourquoi cet engouement pour le genre? Contrairement au roman noir ou au thriller contemporain, le roman policier historique est une véritable machine à voyager dans le temps qui mêle le plaisir du dépaysement à celui du mystère. Instructif sans être didactique, et souvent divertissant, ce type de récit, toujours axé sur le mystère, permet de nous échapper au présent tout en nous informant sur diverses périodes de l’Histoire, tandis que le roman noir nous ramène à la réalité brutale de tous les jours dont il est bon de nous évader parfois. Souvent, ce voyage dans le passé s’accompagne d’une incursion dans l’exotisme d’un ailleurs géographique.

Ainsi, heureuse combinaison de roman historique et de polar d’enquête, L’attaque du Calcutta-Darjeeling, d’Abir Mukherjee, se passe en Inde et met en scène le capitaine Samuel Wyndham, un ancien de Scotland Yard, blessé de guerre et opiomane. Traumatisé par son expérience au combat et désirant quitter l’Angleterre, il accepte un poste d’enquêteur à Calcutta. Nous sommes en 1919, et l’Inde coloniale, occupée par les Britanniques, est en pleine effervescence révolutionnaire. Terroristes et indépendantistes s’agitent et complotent alors que la haine des indigènes envers les colons anglais est de plus en plus menaçante. Mais contrairement à ses compatriotes qui les traitent comme des sous-hommes, Wyndham ne méprise pas les Indiens; il choisit comme adjoint le sergent Banerjee, un jeune policier indien débrouillard et dévoué, ainsi que l’inspecteur adjoint Digby, un flic de carrière borné et raciste, mais capable de traiter avec les indigènes, même s’il s’en méfie.

Wyndham et ses collègues enquêteront sur l’assassinat d’un haut fonctionnaire britannique dont le corps a été retrouvé dans une ruelle mal famée à proximité d’un bordel. Dans la bouche du cadavre, ils trouveront un bout de papier roulé en boule sur lequel il est écrit, en bengali : « Dernier avertissement. Le sang anglais coulera dans les rues. Quittez l’Inde! » Tout laisse croire à un crime politique, et le principal suspect est un agitateur notoire recherché dans tout le pays. L’attaque d’un train postal, puis celle d’une banque semblent confirmer la piste révolutionnaire. L’enquête se déroule péniblement, dans la moiteur accablante de Calcutta, ville de tous les dangers. De plus, l’attitude irritante et ambiguë de la hiérarchie ne facilite pas la tâche de l’équipe, qui devra déployer tous ses talents pour démêler l’imbroglio. Premier polar d’une série qui compte déjà quatre titres, ce récit exotique, teinté d’humour, est une heureuse découverte riche en surprises.

Autre époque, autre lieu : l’action d’Au nom de l’enquête, de l’écrivain polonais Marcin Wronski, commence à Lubin le 9 septembre 1938, soit un an avant l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes. Le cadavre d’Aniela Biernacka, qui a été violée puis étranglée, a été retrouvé. Seuls indices : des résidus huileux sur le corps de la victime. Le commissaire Zyga Maciejewski est obsédé par le cas, mais son enquête est dans l’impasse. Un an plus tard, alors que la ville est bombardée par l’ennemi, une autre Aniela trouve la mort dans des circonstances similaires, avec les mêmes indices. Or, sur le terrain, les choses ont changé pour le pire : les Allemands occupent la ville et, pour pouvoir traquer le meurtrier, Zyga est obligé d’intégrer les rangs de la Kripo, la police allemande. Dès lors, la Résistance polonaise le considère comme un traître. Il devient une cible!

L’enquête s’avère longue, minutieuse et périlleuse. Zyga a de nombreux ennemis. La plupart des témoins sont réticents ou disparaissent, parfois dans un camp de prisonniers politiques, parfois dans les geôles de la Gestapo, dont on ressort rarement. Mais Zyga persévère, malgré les obstacles et les menaces. Il veut à tout prix épingler ce maniaque insaisissable qui profite du chaos ambiant pour tuer, à la même date de chaque année, de jeunes femmes prénommées Aniela.

Véritable fresque historique peuplée de nombreux personnages, l’intrigue se déroule du 9 septembre 1938 au 25 septembre 1944, dans le contexte chaotique d’un pays en guerre. Étranglée par l’Occupation, éventrée par les bombardements, Lubin est une ville où règnent la misère et la peur. Farouchement antisémites, de nombreux habitants collaborent avec la Gestapo et les militaires pour traquer les Juifs, qui, quand ils ne sont pas exécutés sur place, sont envoyés dans le camp de concentration de Majdanek, situé à seulement deux kilomètres du centre-ville.

Notons que ce roman très instructif, à l’intrigue captivante (quoique touffue et dense), est le premier de Wronski publié en traduction française, mais le troisième d’un cycle de polars rétro qui déjà compte dix titres.

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