Bien que chacun écrive à partir de son propre imaginaire, avec ses propres préférences, on ne peut nier qu’il y a des vagues de fond en littérature, autant en jeunesse qu’en celle dite pour adultes, des courants créés par des livres précurseurs suivis de récits liés aux premiers par le thème ou encore nés de l’intérêt de lecteurs et du flair des maisons d’édition. Faut-il suivre la vague ou la créer?

John Green a été précurseur de ce qu’on a appelé la « sick lit » avec Nos étoiles contraires, mais en 2017 il s’est inscrit dans la vague déjà bien présente des romans portant sur les troubles mentaux avec Des tortues à l’infini. Cette saison, des auteurs québécois s’inscrivent à leur tour dans différentes vagues… ou refusent de s’intégrer à une mode, préférant rester hors du temps.

Chez Hurtubise, Sophie Labelle est complètement dans la vague avec Ciel, un récit dont l’héroïne est transgenre. Après le déferlement du printemps passé, avec pas moins de six titres sur le sujet, on assiste à l’arrivée de titres qui parlent du même thème, mais qui sont plus pointus. Ici, Sophie Labelle, auteure de la BD Assignée garçon, a créé un récit autour de l’arrivée au secondaire de Ciel, qui ne se définit ni comme fille ni comme garçon. Ce qui frappe, c’est la grande liberté avec laquelle les jeunes héros de ce roman parlent de leur orientation sexuelle, même en sixième année, et la variété des identités présentées. Certains font face à des préjugés, mais la culture représentée reste ouverte et passe, comme dans notre monde actuel, par tous les canaux, YouTube compris.

Abordant aussi un thème d’actualité, soit la diffusion de photos intimes – et le harcèlement qui en découle – sur Internet, Martine Latulippe revient en force à la littérature pour adolescents chez Québec Amérique avec Trahie. L’histoire est assez classique : une adolescente qui tombe amoureuse et qui, pour faire plaisir à celui qu’elle aime, ose envoyer une photo d’elle dénudée. Bien entendu, cela tourne mal, mais c’est la structure ici qui fait tout, instillant un rythme et un suspens à l’ensemble. L’auteure garde aussi sa fluidité caractéristique dans l’écriture, faisant le pari d’une langue jolie, loin du parler « ado », ce qui n’entache toutefois pas la crédibilité des personnages. On aime beaucoup la fin, ouverte, surprenante, qui invite à la réflexion.

Après avoir créé un ovni avec sa trilogie Eux, Nous et Lui, Patrick Isabelle s’inscrit quant à lui dans une vague qui prend de l’ampleur avec un roman d’horreur pour adolescents. Alors que ces derniers se tournent vers des classiques adultes pour nourrir leur soif de frissons, les maisons d’édition commencent à leur en offrir en jeunesse. Les Zailées le font depuis un moment déjà, mais ils ne sont désormais plus seuls. Dominique et compagnie a réédité les classiques de R.L. Stine (les « Chair de poule ») l’an dernier et, cet hiver, Les Malins ont décidé de démarrer une nouvelle série dans ce genre, « Anna Caritas », signée Patrick Isabelle. Ancrant son récit dans un village qui rappelle ceux des contes de Fred Pellerin avec son cancanage, l’auteur construit son intrigue à partir d’une soirée qui dérape lorsqu’un jeu de Ouija est sorti par des adolescents en manque de sensations fortes. Si plusieurs des jeunes présents rigolent au départ, ils ne s’attendent pas au déferlement de forces occultes qui se produira lorsque le cercle de protection sera brisé… et le lecteur non plus. Plongeant à la fois dans le paranormal et dans des situations, des émotions, dans lesquelles les lecteurs se reconnaîtront, ce récit est parfait pour une nuit blanche entrecoupée de frissons!

Chez Leméac, on fait rarement dans les modes littéraires et leur unique titre pour adolescents de la rentrée hivernale est donc encore dans un monde à part. Un an après Souffler dans la cassette, Jonathan Bécotte revient dans le même style avec Maman veut partir, une œuvre qui, plutôt que d’être une ode à la jeunesse, est un album de souvenirs dont la figure principale est la mère. Si la poésie est plus du quotidien au départ, rappelant celle de Walt Whitman – des petits instantanés, des moments marquants de l’enfance –, les images deviennent plus fortes quand « Maman veut partir ». Il y a le divorce d’abord, la maladie ensuite, et plus on quitte les jours heureux pour le drame, plus les mots de Jonathan Bécotte tissent des métaphores, créent des émotions. Lu dans un seul souffle, ce roman poétique se termine difficilement sans quelques larmes. « Je défends mes souvenirs de toi/Contre l’armée de l’oubli », dit le narrateur. Et on a l’impression que c’est bien le but de ce livre : ancrer les souvenirs pour les garder longtemps, ce qui fait écho à nos propres souvenirs, nos propres pertes.

Soulières éditeur offre aussi une pépite hors du temps cet hiver avec Molécule et le fil des événements, un roman pour le moins foisonnant qui fait appel à l’imaginaire et à la mémoire de son lecteur. Robert Davidts multiplie les jeux de mots, les clins d’œil, inventant de multiples nouvelles sociétés et réalités diverses au fil des rencontres de Molécule dans ce monde étrange où elle a basculé, un peu à la manière d’Alice au pays des merveilles. Déstabilisant, rempli de complots, de rebondissements, d’envies personnelles et de définitions (pour qu’on puisse suivre!), avec une héroïne sympathiquequi cherche la porte de retour vers le monde réel, ce roman nécessite une attention soutenue, mais offre aussi un voyage d’une grande originalité.

Être dans la vague ou tenter d’en créer une nouvelle? De quelle couleur sera la mer de la littérature jeunesse en 2018? Attendons de voir les courants de fond!

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