Quand la jeunesse s’éclate

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La littérature que l’on qualifie de « jeunesse » est d’une grande diversité et touche à la fois les petits et les plus vieux. On ne peut donc pas la définir clairement et il est de plus en plus difficile de la classer, par exemple avec les groupes d’âge ou les genres, tellement elle s’éclate. En cette fin d’hiver, trois titres surprenants arrivent sur les tablettes des librairies, sortant le lecteur de sa zone de confort.

Chez les petits, après avoir remporté une Pépite au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil pour Le facteur de l’espace, Guillaume Perreault s’associe à Pierrette Dubé pour un nouvel album aux 400 coups : Petite histoire pour effrayer les ogres. Cette fois, on est surpris parce qu’il n’y a pas d’enfants au menu, ou enfin, si, mais alors découpés et assaisonnés, rien de moins (et ils sont, semble-t-il, bien meilleurs avec du persil). Ce sont plutôt un ogre et sa femme qui sont au centre de cette histoire délirante, formant un couple merveilleusement assorti jusqu’au jour où cette dernière s’achète un magnifique sac en peau de crocodile. Dès lors, rien ne va plus; elle accuse son mari de l’observer en cachette, de déplacer son sac et comme les disputes entre ogres ne sont jamais simples, c’est la catastrophe. Ils se rendent finalement compte que le coupable semble être quelqu’un d’autre, « [m]ais un ogre et une ogresse qui enlèvent et dévorent des enfants ont tout intérêt à ne pas attirer l’attention des autorités ».

Le lecteur attentif, lui, comprendra bien vite que le sac acheté par l’ogresse est bien vivant et le plaisir est de voir la situation se dégrader chez le couple d’ogres jusqu’à ce qu’ils goûtent à leur propre médecine. Si les tout-petits peuvent être un peu effrayés, il n’en reste pas moins que l’histoire interpelle leur imaginaire et les fait bien rigoler.

Chez les adolescents, Bayard Canada frappe fort en cette rentrée avec Le sexy défi de Lou Lafleur, un roman qui parle de sexe sans détour, avec une authenticité marquante.

« Je ne l’entends pas. Non. Tout ce que j’entends et qui remue entre mes deux oreilles, pêle-mêle comme dans un tsunami géant, ce sont des bribes de la dernière phrase entendue: “quinze ans – âge moyen – jeune fille – première relation sexuelle – fille – quinze – sexuelle – âge moyen – relation – sexe – quinze ans – première fois – quinze ans – première relation”.

[…]

D’un coup, je réalise que j’ai quinze ans, presque seize, et que je suis encore… vierge. Horreur et damnation! Bientôt, je ne serai plus dans la moyenne. J’entrerai même dans la catégorie des… attardées sexuelles. »

Avec ces « quarante jours » pour perdre sa virginité et son approche très journalistique de la chose, Lou Lafleur pourrait effrayer les adultes, mais c’est pourtant un roman qui allie histoire captivante et informations pertinentes, le genre qui intéressera les adolescentes à la découverte de leur propre sexualité. De la technique pour mettre un condom à celle requise pour faire une fellation, en passant par l’exploration de son corps, tout intrigue Lou, une adolescente dans laquelle de nombreuses lectrices pourront se reconnaître. L’adulte ne devrait d’ailleurs pas avoir peur, mais voir là une occasion parfaite d’informer, d’autant que la langue est intéressante aussi, diversifiée et soutenue dans la narration, très parlée dans les dialogues. Sarah Lalonde est une auteure à suivre…

Pour le même public, Patrick Ness nous sort aussi de notre zone de confort en offrant un roman fantastique dont la prémisse est pour le moins inattendue : « Si vous n’étiez pas destiné à être un héros? Celui qui est censé combattre les zombies, ou ce nouveau truc, là, complètement dingue, avec les lumières bleues. »

Mikey vit en effet dans un monde où il se passe des choses pour le moins étranges. Depuis sa naissance, il a survécu à l’arrivée des non-morts, à l’envahissement des fantômes mangeurs d’âme et au débarquement des vampires. Et à en croire le comportement étrange des « indies kid » de la petite ville, l’extraordinaire s’invite de nouveau dans leur banlieue, mais ce qui l’intéresse, lui, c’est réussir son année scolaire, aller au bal de finissant, embrasser Henna. Et si autour de lui les « indies kid » luttent contre des créatures venues d’ailleurs, il n’en a finalement pas grand-chose à faire. Du moins jusqu’à ce que leurs univers entrent en contact.

Patrick Ness s’intéresse à deux courants actuels en littérature jeunesse, soit le fantastique et les adolescents dotés de pouvoirs particuliers capables de sauver le monde et le roman psychologique axé sur les troubles psychologiques. Il a donc créé un personnage principal qui a de sérieux TOC liés à la propreté et une sœur qui lutte contre des troubles alimentaires et les a situés dans une intrigue réaliste autour d’un schéma familial difficile, d’un premier amour secret, mais aussi dans un récit complètement surréaliste. Cette deuxième partie est d’abord confinée aux chapeaux des chapitres, l’auteur prenant soin de nous indiquer que, pendant que Mikey se questionne sur la réaction d’Henna à l’arrivée du nouveau à l’école, « la Messagère des Immortels arrive sous une forme surprenante, à la recherche d’un Vaisseau permanent; et […] l’indie kid Finn, pourchassé à travers bois, rencontre son destin final ». Le mélange est étonnant et à quelques reprises un peu trop étrange, mais ce roman est rafraîchissant et ose un mélange des genres inédit, savoureux.

Si les éditeurs sont parfois plus frileux à l’idée de publier des titres qui sortent des sentiers battus et bouleversent les conventions, le lecteur a, de son côté, le plaisir d’être vraiment surpris par ces univers créatifs. Bonne découverte!

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