« Mais pourquoi les autres ne le voient pas? Qu’est-ce qui fait qu’un enfant peut devenir invisible, maman? »

L’empathie, cette capacité à se mettre à la place d’autrui et de percevoir ce qu’il ressent, est un élément essentiel à un vivre-ensemble harmonieux. C’est une faculté innée, mais qui n’est pas nécessairement renforcée par l’école ou les médias. Et si les livres pouvaient nous aider à faire grandir cette capacité à écouter, à comprendre ce que l’autre éprouve, à nous mettre à sa place?

L’album Le garçon invisible, paru aux éditions D’eux, a éveillé ce besoin de comprendre, de discuter, chez mes deux filles. Touchées par la poésie de l’histoire, par ce pas de danse entre texte et image, elles ont été happées par l’évolution d’Arthur, « le garçon invisible », que personne ne semble voir, ni les copains de la classe ni même son enseignante, « trop accaparée par Nathan et Sophie ». Que se passe-t-il quand on disparaît aux yeux des autres?

C’est le sentiment de rejet que tous, enfants et grands, ont pu expérimenter qui est au cœur de ce récit de Trudy Ludwig, brillamment accompagné par les illustrations de Patrice Barton. Cette utilisation du noir et blanc initial pour représenter cet enfant invisible, marquant d’autant plus son retrait, ouvre la porte au questionnement réel des plus jeunes — existe-t-il vraiment? — alors que les plus vieux y reconnaîtront la tristesse de ceux qui sont oubliés, parce que pas assez dérangeants, pas assez bruyants, pas assez. Simplement. Un livre qui éveille la réflexion chez les enfants, qui touchera aussi particulièrement les adultes en contact avec les petits et leur rappellera l’importance de prêter l’oreille aux voix moins fortes afin qu’elles prennent de la vigueur… et des couleurs.

C’est aussi un public double que rejoint Geneviève Piché avec une histoire tout en douceur et en poésie publiée chez Québec Amérique en ce mois de février.

Ève a attendu la rentrée tout l’été. C’est qu’elle va pouvoir revoir Thomas. Pas lui parler, non — que lui dirait-elle de toute façon? —, mais pouvoir l’observer à loisir. Mais fin août, Thomas n’est pas là. Il est à l’hôpital, en train de se battre contre le cancer. Et Ève a peur qu’il meure… mais la mort viendra là où on ne l’attend pas.

En effet, alors que le lecteur imagine dès le départ que c’est le garçon qui succombera à la maladie, justifiant le titre, Vingt-cinq moins un, c’est plutôt Émeline, une petite fille épileptique, qui meurt rapidement en début de roman. Un départ soudain qui crée un gouffre dans l’esprit d’Ève, elle qui a justement insulté la vive petite fille le jour même de sa mort. Qui lui a dit des mots terribles qu’elle voudrait tant reprendre… et qui doit vivre avec sa culpabilité grandissante. Envahissante alors que le deuil des autres évolue peu à peu.

Avec des mots justes, des phrases qui ont un goût de vérité, Geneviève Piché aborde donc le chemin parfois difficile du deuil. À hauteur d’enfant avec le parcours des élèves de la classe et celui, plus dramatique, d’Ève, qui finira par trouver sa force dans l’aide qu’elle peut apporter à Thomas, mais aussi à hauteur d’adulte, par le biais de lettres qu’Émeline écrit à son enseignante et dans lesquelles elle lui fait part de son désarroi, missives qui résonnent fortement dans le cœur du lecteur adulte.

Est-ce que la douceur a autant d’impact chez les adolescents? Vaut-il mieux aborder la notion d’empathie, cette idée de l’importance des autres autour de soi par la provocation? C’est ce que semble être l’avis de M. A. Bennett, qui publie cet hiver un récit dans la veine des meilleurs vendeurs, efficace et captivant, nous interpellant dans son propos.

Dans S.T.A.G.S (t. 1) : Partie de chasse, trois élèves sont invités à rejoindre les Médiévaux, un groupe fermé d’adolescents qui fait la loi dans le riche collège anglais qu’ils fréquentent, le temps d’un week-end. Quand les invitations arrivent, tous sont d’accord : impossible de refuser, c’est une voie directe pour la popularité. Et si les trois élèves choisis sont surpris, après tout, ce sont trois solitaires un peu rejetés, les autres ont tôt fait de les rassurer. Peut-être pas pour les bonnes raisons. Parce que ce qui est chassé, tiré et pêché lors de cette escapade n’est pas ce que l’on croit.

Une intrigue prenante qui, même si on se doute de la fin dès le départ, offre une lecture captivante, haletante par moments. L’auteure sait créer des rebondissements, mais surtout, installer une ambiance tendue, à la limite, toujours, dosant parfaitement ses effets jusqu’au point de fracture. Le récit est efficace de la première à la dernière page et se veut un reflet amplifié de certaines traditions scolaires, des mécanismes bien huilés de différents milieux, avec les groupes populaires qui, aussitôt défaits, semblent resurgir des cendres.

Mais en prendre conscience peut-il permettre de briser le cycle? Est-ce que lire peut susciter une prise de conscience qui amènera le lecteur à faire davantage attention aux autres? Si j’en crois les petits mots rédigés pour tous les amis de la classe « afin que personne ne se sente oublié » à la suite de la lecture de l’album Le garçon invisible, je pense bien que oui…

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