François Villon: Ni tout à fait fou ni tout à fait sage

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De la prison à la Pléiade, ils ne sont pas nombreux les écrivains qui peuvent s’enorgueillir du singulier parcours; ils étaient quatre jusqu’à ce que François Villon, le plus célèbre d’entre eux, réussisse, sur le tard, cet exploit : son entrée. En septembre 2014.

Mort « après 1463 » comme on l’écrit dans les dictionnaires puisqu’on ne sait pas où, quand ni comment le poète du Lais et du Testament a clamsé, il a fallu six siècles pour que l’auteur de La ballade des pendus, par ailleurs voleur de grand chemin et tueur d’un prêtre au coin d’une rue, rejoigne dans le PFPLU (le palace français de la postérité littéraire universelle) ses descendants aux morts, elles, bien situées, connues et datées : Sade à la prison de Charenton en 1814, Rimbaud une jambe en moins à l’hôpital de la Conception de Marseille en 1891, Céline avec ses chiens dans sa tanière clôturée de Meudon en 1961, Genet dans un deux étoiles de hasard, l’hôtel Jack’s, en 1985. Ils sont cinq, les ex-bagnards imprimés en Garamond sur papier bible. Les doigts d’une main.

Comment se fait-il que le plus illustre, le grand prédécesseur, le pilier de la poésie moderne, française et universelle, celui qui en ouvre le règne, ait dû faire le pied de grue si longtemps devant le 5 de la rue Sébastien-Bottin, cette rue du septième arrondissement de Paris qui n’existait pas à son époque, une courte rue qui depuis 2011 porte le nom de Gaston Gallimard et sur laquelle habite au numéro 9 le vieux rocker anglais Mike Jagger? Comment expliquer ce délai, ce retard, cette impolitesse? Ne le demandons pas, car, comme le Manitoba, Gallimard ne répond plus. La maison (qui s’apprête à accueillir d’Ormesson dans le palace) est sans doute honteuse.

Revenons au mouton noir dont on n’est même pas sûr du nom, ce titi d’antan, cet escollier, cet ami de la bande criminelle des coquillards, ce voleur d’écus d’or dans les collèges, ce mauvais garçon des rues qui étudia fort bien à la Sorbonne. Sans doute était-il le fils d’une servante troussée par un passant, un enfant remis à un prêtre du nom de Guillaume de Villon qui décida de l’appeler François comme un roi, de l’élever comme un enfant de chœur mais qui vécut sa vie comme un manant rebelle, paysan de Paris, piéton et flâneur, figure filante du Quartier latin, écrivain public pour criminels comme pour aristocrates, y allant de vers pour la naissance de la fille de Charles d’Orléans et de Marie de Clèves. Villon qui – c’est l’essentiel – a laissé 3171 vers que l’on a lus, qu’on lira, qu’il fait bon lire, « une œuvre qui semble écrite d’hier, où tout est resté si sensible pour nous après si longtemps », comme le nota le cher épouvantable Léautaud dans son Journal littéraire.

La Pléiade Villon, qui tiendra en un tome, offre tout ce que l’on a pu retenir de cette œuvre écrite au Moyen Âge par un jeune homme qui ne gardait rien par-devers lui et dont on perdit la trace. Il en aura fallu des proches, des scribes, lettrés à l’affût, esprits fins, chercheurs, poètes, éditeurs, pour que ces trois milles vers ne s’éparpillent pas au vent mauvais de l’oubli. Éditions anciennes du XVe au XVIIIe siècle, éditions modernes depuis celle de Lemerre au passage Choiseul en 1892 jusqu’à celle parue en livre de poche en 1991, l’idéal pour du Villon. Freddy Sauser à bord du Birma vers New York en 1911 pour rejoindre sa Féla garde Villon à portée de la main, une édition ancienne, le mauvais temps menace, il la protège. Villon habite Cendrars. Aux éditions de la Sirène en 1918, le poète bourlingueur édite Le testament Françoys Villon de Paris, orné de figures du temps.

Jacqueline Cerquiglini-Toulet, avec Laëtitia Tabard, a fait un travail énorme de mise en contexte, avec notices, notes et variantes, et l’important est d’avoir enfin, éditées savamment, les Œuvres complètes de Villon : Le lais, Le testament, puis ce que l’on appelle les poésies non recueillies (éparses dans divers manuscrits) et enfin les Ballades en jargon. De plus, richesse de cette édition de luxe, un regroupement de documents d’archives sur la vie du poète et des « lectures de François Villon », une cinquantaine de textes d’anonymes, de contemporains comme Jean Marot, le père de Clément qui sera son premier éditeur en 1533, et de ces écrivains sublimes surgis dans la queue de la comète Villon, les villonesques Rabelais, Rimbaud, Nerval, Verlaine, Apollinaire, Carco, Mac Orlan, Tzara, Queneau, jusqu’à Pierre Michon qui dans une page de Corps du roi raconte que devant le lit de mort de sa mère, cherchant une prière à dire, il lui vint en tête le début de La ballade des pendus : « Frères humains qui après nous vivez… »

En 1463, rue des Parcheminiers (aujourd’hui rue de la Parcheminerie), la rue des copistes, écrivains publics, enlumineurs et libraires (dits alors stationnaires, parqués sur les trottoirs), Villon fut mêlé à une rixe, l’affaire tourna mal (un notaire épiscopal blessé) et on le condamna à « estre pendu et estranglé », châtiment grotesque s’il eut été exécuté dans cet ordre mais qu’il évita en appel, ce qui nous vaut (écrite en attente du second jugement) cette célébrissime Ballade des pendus, trésor de la littérature universelle où le poète imagine son corps exhibé : « la pluye nous a debuez et lavez, Et le soleil deseichez et noirciz. Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez, Et arraché la barbe et les sourcilz, Jamais nul temps nous ne sommes assis : Puis ça, puis la, comme le vent varie, A son plaisir sans cesser nous charie, Plus becquetez d’oiseaulx que dez a coudre, Ne soiez donc de nostre confrairie, Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre. »

Les plus belles voix de la chanson française l’ont chanté cette ballade pathétique, Jacques Douai, Monique Morelli, Léo Ferré, Serge Reggiani, Bernard Lavilliers… Villon resté si vivant, si émouvant, avec ses ballades mélancoliques comme celle des dames du temps jadis (que Brassens  chante à merveille), ou antilogiques et sublimes comme celle du concours de Blois : « Je meurs de soif auprès de la fontaine », des vers qui inspirèrent Kerouac errant dans Mexico… Et dans Le lais, le plus ancien de ses textes datés, Villon quittant Paris pour éviter la prison, il ne donne rien, il laisse, et entre autres choses : « tous les jours un plein pot d’eau de la Seine aux pigeons qui sont dans la peine… »

Je suis VILLON.

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