Avocat de formation, Dominique Boisvert est bien connu pour avoir cofondé le Réseau québécois pour la simplicité volontaire. Cette fois, en une centaine de pages aussi informatives que stimulantes, il nous convie à un immense changement de paradigme (Nonviolence, Écosociété). Et si notre destin collectif passait par la nonviolence?

Nous sommes tous et toutes quelque peu familiers avec cette idée de non-violence, qui nous fait aussitôt penser à Gandhi et à Martin Luther King. Mais qu’en est-il exactement? Comment la définir? Quel rôle joue-t-elle actuellement dans divers domaines? Que peut-elle accomplir au juste?

Boisvert sera votre guide pour répondre à ces questions et à plusieurs autres.

Définir la nonviolence
Boisvert assure d’emblée que l’heure de la nonviolence approche, comme approchent celles de la fin des énergies fossiles et de l’avènement de la société mondialisée.

Il sait bien que ces affirmations seront reçues avec beaucoup de scepticisme. Prenez la première. Le monde n’est-il pas de plus en plus violent, avec ses nombreuses guerres, le terrorisme, et tant d’autres violences de toutes sortes?

Boisvert évoque ici la thèse de Steven Pinker, qui argue (dans The Better Angels of our Nature, 2011), avec de nombreuses données empiriques à l’appui, que la violence, dans le monde, ne cesse de décliner depuis des siècles.

Une fois cela posé, Boisvert veut nous convaincre que la nonviolence est non seulement en marche et possible, mais qu’elle est aussi nécessaire. Pour lui, le principal obstacle à sa pleine venue reste notre incapacité à penser différemment et à décoloniser notre imaginaire sur « tout ce qui concerne la violence et la nonviolence ». Son ouvrage veut contribuer à corriger ce défaut.

Boisvert, il faut le souligner, parle essentiellement de nonviolence dans ce livre, ce mot étant écrit en un seul mot. Il y a là plus qu’une coquetterie linguistique.

C’est qu’en français, on écrit d’ordinaire non-violence avec un trait d’union, car il s’agit d’un mot formé avec un nom, et non violent sans trait d’union, car il s’agit cette fois-ci d’un adjectif. Mais outre que cette graphie est négative et renvoie à l’idée d’absence de violence, elle désigne surtout des stratégies et des moyens d’action non violents, justement. Or, si ceux-ci sont certes importants à connaître, Boisvert, lui, quand il parle de nonviolence (en un seul mot), entend une « attitude globale de bienveillance tant à l’égard des autres êtres humains que de la création tout entière. Une attitude faite de respect profond, d’ouverture et de gratitude, qui cherche à construire ensemble sans dominer ni exploiter. Il s’agit donc d’une conception particulière de la vie et du monde, d’une attitude à l’égard de tout ce qui nous entoure ».

Cette attitude de refus délibéré de la violence (laquelle est toujours un mal, même si ce mal peut parfois être nécessaire) n’exclut ni les conflits (inévitables), ni l’agressivité (parfois utile), ni même la lutte (indispensable) ou la force (nécessaire).

La violence, dit Boisvert, fait partie de notre univers mental depuis si longtemps qu’on la pense inévitable, tant elle est (ou on la pense) omniprésente dans nos vies, individuelles et collectives. On tient ainsi comme allant de soi et étant inéluctables les guerres (dont celle contre le terrorisme), l’armée, mais aussi les écarts grandissants entre riches et pauvres et le fait que « nos films, nos séries télévisées, nos jeux vidéo regorgent de meurtres ». On trouve là une des raisons qui expliquent cette perception erronée, corrigée par Pinker, que nous avons de la prévalence de la violence.

Nonviolence et défis actuels
Mais que se passerait-il si on se mettait à penser autrement – et à user de moyens non violents? Que seraient ces moyens? C’est ce que raconte Boisvert dans les chapitres suivants.

Il s’intéresse en particulier, en des chapitres vraiment passionnants, à la nonviolence appliquée à plusieurs sujets d’une indéniable actualité. Qu’on en juge : les changements climatiques; le terrorisme; l’économie néo-libérale mondialisée; les défis environnementaux; les migrations internationales; la gouvernance du monde; la paix juste (plutôt que la guerre juste).

Considérez notre modèle économique.

On ne pense pas habituellement à lui en termes de violence ou de nonviolence. Pourtant, suggère Boisvert, les fantastiques inégalités qu’il produit (« en janvier 2017, les huit personnes les plus riches possédaient autant que les 3,8 milliards de personnes les plus pauvres »), la souffrance endurée par tant de gens tandis que des institutions puissantes sont protégées par ce modèle quand même elles ont failli (Boisvert donne l’exemple des banques américaines sauvées par des fonds publics en 2007-2009, tandis que tant de gens perdaient travail et maison…), sans rien dire du sort réservé à la nature elle-même, tout cela permet d’assurer que « l’économie dominante (capitaliste) actuelle est d’une violence structurelle extraordinaire ».

L’attitude non violente décrite plus haut commanderait de refuser les injustices sous toutes ses formes, de respecter les personnes impliquées dans ces injustices. Elle privilégierait la notion de bien commun et en ferait un critère essentiel de nos choix individuels et collectifs.

Prenez encore le cas de la guerre.

Des positions de refus ont existé (objection de conscience, pacifisme, non-violence), mais elles sont restées marginales. En fait, la position critique dominante a été théorisée (notamment par des théologiens et des philosophes)  sous le concept de guerre juste : il s’agissait de dire à quelles conditions une guerre est justifiée et de préciser les moyens qu’elle autorise alors à déployer.

Boisvert rappelle qu’on tend de plus en plus à rejeter ce concept et à le remplacer par celui de paix juste, inspiré d’un refus radical de la violence. On promeut ici « la résistance nonviolente, la justice réparatrice, la guérison des traumatismes, la protection des civils non armés, la transformation des conflits et les stratégies de construction de paix ». Le cas de la Syrie, qu’étudie ensuite Boisvert, montre en tout cas les terrifiantes et mortifères impasses auxquelles conduit la guerre.

L’ouvrage de Boisvert, écrit dans une langue simple et accessible, vous fera sûrement réfléchir. Il pourrait même vous inciter à agir différemment dans de nombreuses sphères de votre vie…

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