Trois suggestions estivales

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Je vous propose trois essais qui vous feront certainement passer de bons et surtout enrichissants moments cet été. À tout seigneur tout honneur : commençons par celui de l’immense philosophe, logicien et militant Bertrand Russell (1872-1970).

Russell et la gauche radicale
Des pans de son œuvre qui ont été un temps négligés dans le monde francophone sont à présent édités ou réédités en notre langue, et l’éditeur québécois Lux participe à ce mouvement bienvenu de redécouverte. Lux propose, cette fois, préfacée par le Belge Jean Bricmont, une réédition de Le Monde qui pourrait être.

Initialement paru en 1919, l’ouvrage présente trois grandes voies vers la liberté (le titre original est justement Proposed Roads to Freedom) avancées au sortir du carnage de la Première Guerre mondiale : le socialisme marxiste, l’anarchisme et l’anarchosyndicalisme.

Après avoir rappelé les sources historiques de ces idéologies puis les propositions pour l’avenir que chacune met de l’avant, Russell, farouche défenseur des libertés individuelles et critique de l’expérience soviétique, opte finalement pour ce qu’en Grande-Bretagne on appelait alors le « socialisme de guilde » et en France, l’anarchosyndicalisme. Il en décrit les grandes lignes, en rappelant par exemple qu’on devrait verser à chacun, qu’il ou elle travaille ou non, un revenu de base permettant de vivre. Mais qui accepterait de travailler, en ce cas? Personne, dira-t-on, confiant.

Russell répond que ce serait vrai si le travail restait ce « morne esclavage » qu’il est actuellement. Mais il ajoute aussi que, dans la société qu’il envisage, il serait agréable de travailler, comme cela l’est justement en général, en ce moment, pour « le travail le mieux payé, celui des affaires et des professions libérales ». « Tant que notre société n’aura pas rendu le travail partout agréable, elle ne pourra pas prétendre être arrivée à un degré convenable de civilisation. »

Un livre à savourer et qui reste étonnamment actuel et riche.

Renouer avec les humanités
Dans Le cimetière des humanités, un petit ouvrage vif et incisif, Pierre-Luc Brisson déplore la grande rupture par laquelle nous nous coupons désormais des humanités gréco-latines.

Son plaidoyer s’appuie sur ce fait que « la civilisation et la culture que nous avons en partage » exigent de nous « un travail de transmission et de redécouverte qu’il nous incombe de poursuivre inlassablement ».

L’ouvrage est accessible et rappelle, page après page, la richesse de cette tradition et l’urgence d’ouvrir la discussion sur la question que pose Georges Leroux dans sa belle préface : « Comment faire pour rapatrier [les mérites de ce répertoire humaniste] au sein d’une éducation qui semble avoir coupé tout lien avec la source antique? »

Je tiens à dire moi aussi que cette rupture, parfois radicale, avec la tradition et les humanités, une rupture que nous sommes aujourd’hui nombreux à constater et à déplorer, peut être dramatique. Je pense en particulier à la situation qui prévaut en éducation, là où les classiques (Platon, Rousseau, Fröbel, Pestalozzi, etc.) sont extraordinairement négligés. Je pense encore à l’économie, où c’est aussi largement le cas, un domaine dans lequel une pétition vient d’ailleurs d’être lancée par des étudiants, conscients des périls qu’il y a à n’être initiés qu’à une seule école de pensée et qui réclament donc qu’on remette au programme l’étude des classiques et de la tradition.

Souhaitons à ce livre tout le succès qu’il mérite et surtout de contribuer à lancer le débat qui s’impose.

Comment Lesage a pris le pouvoir
Dans un tout autre registre, j’ai lu avec bonheur et profit Lesage, le chef télégénique, le beau livre d’Alain Lavigne consacré au marketing de « l’équipe du tonnerre ».

Nous sommes donc en 1960 et l’équipe de Jean Lesage est élue. C’est le début, consolidé avec la victoire de 1962, de la Révolution tranquille. Puis, étrangement, l’équipe du tonnerre est défaite en 1966.

Ce que ces événements signalent, montre Lavigne, outre une certaine entrée dans la modernité économique et sociale, est l’avènement d’une nouvelle manière de promouvoir le politique ou plutôt d’en faire le marketing : sondages d’opinion, utilisation de firmes de relations publiques, usage concerté et planifié des nouveaux moyens de communication de masse (radio, télévision, publicité, notamment).

C’est le recours à ces moyens (on s’inspire alors de ce qui se fait aux États-Unis) qui explique en grande partie les victoires de 1960 et 1962. La firme qui prend alors en charge la campagne libérale est l’agence de publicité Collyer. Mais, en 1966, cette agence est vendue à une compagnie de Toronto : les libéraux changent donc d’agence et c’est en partie parce que la nouvelle firme est moins efficace dans son utilisation de ces stratégies innovatrices que le Parti libéral sera défait.

L’ouvrage est très richement illustré et permet de voir (et pour certains, de revoir) de très nombreux documents d’époque. Il est aussi d’une singulière actualité puisque ce qui se met alors en place en matière de marketing politique constitue la forme balbutiante de ce que nous connaissons désormais, dans des versions radicales.

Pierre-Luc Brisson ne serait certainement pas surpris que le passé, en ce cas précis à la fois si proche et si éloigné de nous tant le temps semble aujourd’hui s’accélérer, nous aide à comprendre le présent.

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