Stimulants engagements

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Jean-Marc Piotte, membre fondateur de la revue Parti pris dont nous commémorons cette année les 50 ans, philosophe, politologue et professeur émérite à l’UQAM, a, avec une remarquable constance, maintenu un profond engagement dans de nombreux combats progressistes.

Démocratie des urnes et démocratie de la rue présente le dernier état de sa réflexion, en même temps qu’une mise en perspective de son activité. L’auteur commence ainsi par situer son travail d’intellectuel et son action militante à distance aussi bien d’un dogmatisme scientiste que d’un intenable et sclérosant relativisme. Son rapport à Marx, qui reste pour Piotte une référence importante, se comprend dans cette perspective : c’est un marxisme en quelque sorte ouvert et révisé « à la lumière des connaissances que nous ont apportées les sciences sociales depuis la mort de [Marx] » qu’il s’agit de construire. Piotte revient notamment, pour les critiquer, sur l’historicisme de Marx, sur son réductionnisme économique et sur les nombreux points aveugles qui en résultent. Les dix chapitres qui suivent abordent des questions aussi variées que la liberté, la définition de la culture, les intellectuels et le peuple, les transformations de l’université, la laïcité, la démocratie des urnes et celle de la rue, la droite, le syndicalisme et les casseurs. Piotte ferraille notamment, et de belle façon, avec les idées de Jean-Claude Michéa, de Michel Freitag, de Gérard Bouchard et de nombreux autres, dont des auteurs appartenant à cette relativement nouvelle droite québécoise à laquelle il a d’ailleurs consacré un récent ouvrage rédigé avec Jean-Pierre Couture.

Où en est Piotte aujourd’hui, lui qui avoue avoir « inconsciemment transposé dans [son] engagement laïque les valeurs théologales chrétiennes, la foi, l’espérance et la charité »? Sa position rappelle celle de Chomsky, qui suggère que tout révolutionnaire sérieux est aussi un réformiste : Piotte demeure donc un combattant pour la liberté et l’égalité qui en appelle à la solidarité, mais qui place ses espoirs dans des formes de militantisme logeant souvent, sans toutefois s’y enfermer, dans des contre-pouvoirs. Ce livre riche est à la fois un survol non seulement d’une vie de militant et de théoricien, mais aussi du contexte social et politique dans lequel elle s’est déroulée. J’en ai tout  particulièrement apprécié les passages très personnels où l’auteur se raconte : à quand cette autobiographie qu’on pressent déjà dans de nombreux passages?

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Philippe Bernier Arcand a publié cette année un intéressant ouvrage consacré au populisme, qui ne perd rien de sa pertinence devant certains excès des débats sur la laïcité. L’objet du livre est cette lente et douce dérive populiste « des politiciens, des intellectuels et des médias », en un mot, donc, « de nos élites ». Ce populisme est un « culte du peuple », une manière supposée authentique, mais au fond démagogique, de s’adresser à lui, en disant parler au nom de la « majorité silencieuse » en dénonçant les élites et en créant une rhétorique identitaire « qui exprime la crainte et le rejet des étrangers qui menaceraient le peuple ». On retrouve certes ce populisme ailleurs dans le monde, mais l’ouvrage l’analyse surtout tel qu’il apparaît au Québec sous ses formes politique, intellectuelle et médiatique.

Sur le plan politique, on rencontre tour à tour le populisme politique de droite et de gauche, la montée de l’extrême droite populiste et xénophobe ainsi que diverses figures charismatiques québécoises dont la popularité a bénéficié de la fragilisation de la structure sociale et de la crise, de la représentation politique : Mario Dumont, Andrée P. Boucher, ou Régis Labeaume, entre autres. L’auteur souligne aussi le balancement vers le populisme, par la pente du nationalisme identitaire, du Parti québécois et la place que prend de plus en plus, chez nous, une certaine xénophobie ainsi que la peur de l’islam et du multiculturalisme. Les pages consacrées au populisme intellectuel rappellent ensuite que si la spécialisation des savoirs et des compétences nous rend de plus en plus dépendants des experts, le populisme, lui, incite à les déconsidérer. Nous devinons le péril que cette attitude fait courir à la conversation démocratique. Les « climatosceptiques », les « complotistes » de tout poil et les intellectuels populistes en fournissent d’éloquentes illustrations.

À propos du populisme médiatique, enfin, l’auteur examine comment, en ces jours d’accès jamais égalé à l’information, nos médias sont travaillés par le populisme, par « le règne du quidam, du vrai monde », jusque dans le choix de leurs sujets et de leur traitement. Deux chapitres particulièrement intéressants s’attardent l’un à la « radio poubelle », l’autre à Internet et aux blogues, où le populisme sévit en conquérant de nouveaux territoires. L’essai appelle, pour finir, les intellectuels, les personnes travaillant dans les médias et les politiciens à faire œuvre de pédagogie, et donc à prendre leur place propre dans l’espace public, notamment en luttant contre la « tyrannie de l’opinion ».

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