Je vous propose cette fois deux essais qui abordent, avec sensibilité et intelligence, des sujets controversés.

Le long et virulent débat sur la laïcité qui s’est tenu au Québec depuis des années, et qui se poursuit malgré l’adoption de la loi 21, a fait connaître Nadia El-Mabrouk du grand public.

Arrivée au Québec en 1997, Mme El-Mabrouk est une Québécoise (« [je me sens] ici chez moi. Le Québec m’a accueillie à bras ouverts. J’y ai fondé ma famille ») d’origine tunisienne et de culture musulmane.

Professeure d’informatique et de recherche opérationnelle à l’Université de Montréal, elle est souvent intervenue sur la question de la laïcité; notamment par écrit, dans les journaux, et dans l’arène politique. Elle réunit plusieurs de ces interventions dans le livre Notre laïcité. Pour son travail, Nadia El-Mabrouk a remporté en 2018, avec Andréa Richard, le prix Condorcet-Dessaulles, décerné par le Mouvement laïque québécois.

Voici, parmi d’autres, trois thèmes importants qui traversent et structurent cet ouvrage clair et fort bien écrit.

Le premier est justement une vigoureuse et solide défense de la laïcité comme socle du vivre-ensemble et de la cohésion sociale — ou plutôt d’une certaine conception de la laïcité, contre laquelle s’est déployée chez nous une autre conception de celle-ci, parfois désignée comme « ouverte ».

L’auteure est particulièrement éclairante quand elle expose et défend cette conception de la laïcité, notamment comme garante des droits des femmes et de la liberté de conscience, et comme bouclier contre le fondamentalisme religieux. On notera qu’on apprend ici, si on l’ignorait, qu’il existe bien entendu des immigrants et des musulmans qui défendent cette conception de la laïcité et qui se méfient du fondamentalisme religieux, que certains défendent au nom de la diversité.

Un deuxième thème important de cet ouvrage est d’affirmer, selon moi avec raison, que « la laïcité est une coquille vide sans une école vraiment laïque ». L’auteure consacre de solides pages à rappeler de ce point de vue les importants défauts et carences du cours d’éthique et culture religieuse (ECR). Parmi eux : l’absence de perspective critique sur les religions, et la propagation de stéréotypes et de préjugés sexistes. Depuis que ces pages ont été écrites, on a annoncé que ce cours serait remplacé par un autre, dont le contenu reste toutefois à préciser.

Un troisième thème important qui traverse ce livre est la délicate (et hautement polémique) question du genre et du sexe. Mme El-Mabrouk y voit un troublant remplacement d’un fait biologique (le sexe) par un ressenti (le genre), un remplacement aujourd’hui étrangement sanctionné par la loi, et néanmoins dangereux pour les droits des femmes.

Il s’agit là d’un livre important, lucide et informé, qui mérite d’être lu par tout le monde, que l’on partage ou non les positions de l’auteure; dans ce dernier cas, on connaîtra mieux ce à quoi on s’oppose, et on sera en mesure de donner de meilleurs arguments pour ce faire.

Car il faut le dire pour finir : nos débats sur la laïcité (et sur d’autres sujets), trop souvent, ont pris et prennent encore la forme d’invectives, d’injures et d’appels à la censure. Le sujet mérite plus, et mieux : il mérite ce que l’auteure appelle « un débat loyal ».

MGF

MGF. Savez-vous ce que ces trois lettres signifient? « Mutilations génitales féminines. » C’est le terrible sujet qu’abordent Luce Cloutier et Andrée Yanacopoulo dans Silence, on coupe! Les mutilations génitales féminines au Québec.

Les MGF — l’acronyme désigne l’ablation partielle ou encore plus complète du clitoris, l’infibulation, et d’autres opérations de ce genre — sont de très anciennes pratiques, à l’évidence patriarcales. Elles sont souvent, ce qui est exact, associées à d’autres régions du monde, à d’autres cultures (où elles sont en effet pratiquées) ainsi qu’à des traditions religieuses qui s’en sont emparées et qui les ont justifiées.

Mais ce que les auteures discutent ici, c’est leur troublante et terrifiante présence en Occident en général, et même chez nous, ici et maintenant. Ces pratiques y sont absolument illégales et totalement interdites; pourtant, comme l’établissent Luce Cloutier et Andrée Yanacopoulo, « des exciseuses exercent [chez nous] leur métier, pire, pendant les vacances et sous couvert d’aller rendre visite à une grand-mère ou à une tante, certaines familles envoient leur petite fille se faire exciser dans leurs pays d’origine. »

En plus de se pencher sur la présence des MGF au Québec, l’ouvrage les définit et en fait l’historique; également, il examine et réfute les arguments qui leur sont favorables. Mais c’est bien sûr le silence entourant chez nous cette question qui est de la plus grande importance.

On suggère de nombreuses pistes de réflexion pour expliquer ce troublant silence. Parmi elles : le secret professionnel que persiste à garder le corps médical, et un certain relativisme culturel exacerbé au point qu’il peut aller jusqu’à préconiser que les MGF se fassent sous supervision médicale. La préfacière du livre, Djemila Benhabib, parle de son côté d’un certain féminisme actuel « tiraillé par des courants relativiste, racialiste, indigéniste, islamiste ».

Quoi qu’il en soit, à la lecture de ce troublant ouvrage, je pense que vous ne pourrez que conclure avec les auteures que « ce silence, qui nous semble dans certains cas volontairement entretenu, il faut à tout prix le briser : c’est le seul effort […] auquel nous devons nous atteler. »

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