L’histoire et le cinéma vus autrement

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Tout le monde connaît désormais la célèbre Histoire populaire des États-Unis, du regretté Howard Zinn. L'ouvrage incarnait de manière exemplaire ce souci relativement récent d'écrire une autre histoire que celle des batailles et des rois et qui prendrait en compte les préoccupations et les perspectives de ceux et celles (minorités, femmes, classes populaires, civilisations autres que l'occidentale, notamment) que l'histoire traditionnelle négligeait. L'ouvrage de Chris Harman (1942-2009), énorme pavé paru en anglais en 1999, s'inscrit dans cette nouvelle historiographie pour proposer, rien de moins, qu'Une histoire populaire de l'humanité — sans prétendre à l'exhaustivité, bien entendu.

Histoire populaire des États-UnisHarman était socialiste et la perspective historiographique est ici ouvertement marxiste, mettant l’accent sur le collectif, les forces productives, la lutte des classes, mais sans pour autant négliger les individus et les idées. L’auteur s’efforce en outre d’éviter deux écueils qu’il juge particulièrement pernicieux: celui qui fait croire à une nature humaine posée comme fondamentalement mauvaise et celui qui fait croire que nous vivons la fin de l’histoire dans un capitalisme triomphant, qui ne représente pourtant qu’un bref moment dans les quelques 100 000 ans que compte l’aventure humaine.

On commence donc avec les sociétés sans classes, puis on examine l’apparition des classes sociales avec la révolution agraire dans le Croissant fertile, la révolution néolithique, l’oppression des femmes. Le survol de l’Antiquité fait une large place à la Chine et à l’Inde et pose un regard que beaucoup trouveront inattendu sur la Grèce et sur Rome. On poursuit avec les divisions classiques (le Moyen-Âge, la Renaissance et ainsi de suite) sur 300 pages, avant d’en arriver aux deux derniers siècles, auxquels la moitié de l’ouvrage environ, est consacré. Harman a eu la bonne idée de faire précéder chacune des sept parties de son livre d’une très utile chronologie et de le fermer par un glossaire des noms de personnes et des concepts. Il y a sans doute — comment pourraitil en être autrement? — des maladresses, des imperfections, des oublis et des affirmations discutables dans cette imposante mine de renseignements. Les spécialistes de chacune des périodes ou des thèmes traités trouveront sans doute à redire ici et là. Pour ma part, j’avouerai avoir été agréablement surpris de la grande qualité des pages consacrées à des périodes ou à des questions que j’estime mieux connaître.

En somme, il s’agit d’un ouvrage remarquable par son érudition et sa pédagogie. Surtout, il porte un message d’urgence et d’espoir que certains jugeront contestable, mais qui me paraît être une grande leçon de l’histoire qui doit être réaffirmée avec force: des luttes qui jalonnent le passé émergent sans cesse «de nouvelles tentatives pour remodeler la société autour de valeurs de solidarité, de soutien mutuel, d’égalitarisme, de coopération collective et d’usage des ressources démocratiquement planifié. Les classes dominantes du monde, comme leurs prédécesseurs pendant quelque 5 000 ans, feront tout ce qui est en leur pouvoir pour faire avorter ces tentatives.» Pour éviter le pire, qui est pour nous «la fin de la vie humaine organisée», il faut que «les gens s’attellent à la tâche», pour laquelle «comprendre le passé peut aider».

Plein la vue
Romancier, essayiste, musicien, militant altermondialiste, Claude Vaillancourt est aussi cinéphile. Dans Hollywood et la politique, il nous propose «une sorte de guide pour interpréter les films [d’Hollywood] et leurs messages politiques», étant admis que «les cinéastes donnent un sens aux sujets politiques qu’ils abordent». Pour cerner les messages politiques du cinéma hollywoodien, Vaillancourt s’est doté d’une taxinomie dont il se sert pour distinguer trois grandes catégories de films.

Pour commencer, il considère une classe de cinéma de statu quo, qui se caractérise par la reprise du discours officiel. On retrouve ici le film patriotique, comme Rocky IV; le film catastrophe, comme Armageddon; et le film favorisant le placement de produits, comme les James Bond.

Ensuite, l’auteur se penche sur un cinéma du questionnement, qui émet des critiques du système en place sur des sujets d’importance variable. On retrouve ici le film qui détourne, désamorce la critique, comme Nothing but the Truth; le film allégorique, qui crée un monde fantastique où se transposent les maux du monde réel, comme Blade Runner; le film sur la vie de banlieue, comme American Beauty; et le film présentant un héros ou une héroïne seul(e)s contre tous, comme Erin Brockovich.

Enfin, Vaillancourt distingue un cinéma subversif, qui aborde de manière dérangeante de grands problèmes. Dans cette dernière catégorie, il range des films et des documentaires (comme ceux de Michael Moore) qui sont typiquement conçus loin des grands studios et qui bénéficient d’une diffusion moins importante, comme ce fut le cas du film Munich qui, bien que signé par le très populaire Steven Spielberg, présente une critique des politiques antiterroristes d’Israël.

Vaillancourt propose ensuite une histoire et une analyse institutionnelle d’Hollywood et de sa conception du cinéma — à la fois forme d’art et produit commercial — et une réflexion sur les rapports entre art, cinéma et politique. Il applique ensuite la grille adoptée à de nombreux films — l’index du livre en recense quelque 200, même si tous ne sont pas traités systématiquement. Son verdict est le suivant: «[…] le cinéma hollywoodien défend surtout les valeurs qui conviennent aux patrons des grands studios [et] contribue à fabriquer le consentement»; mais «il permet aussi l’expression d’un prisme assez large d’opinions, y compris certaines qui divergent radicalement du discours officiel».

Ce livre se prête à deux lectures: la première permet de prendre une salutaire distance critique face à ces armes de séduction massive que sont les films d’Hollywood et Vaillancourt est ici un merveilleux professeur; la deuxième est de considérer ce livre comme une manière de guide du cinéma hollywoodien, ce qu’il est aussi. Vaillancourt, cinéphile éclairé, est sur ce plan encore un remarquable compagnon, capable de nous orienter vers des oeuvres importantes mais méconnues et de nous aider à repérer ces oeuvres rares qui appartiennent au grand cinéma.

Bibliographie :
UNE HISTOIRE POPULAIRE DE L’HUMANITÉ, Chris Harman, Boréal, 736 p. | 32,95$
HOLLYWOOD ET LA POLITIQUE, Claude Vaillancourt, Écosociété, 164 p. | 20$

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