Une autre guerre mondiale

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L'Irak est le Vietnam du début du XXIe siècle. Le conflit israélo-palestinien enflamme le monde musulman et alimente la haine contre les Occidentaux. Ces crises risquent de devenir les sources d'un conflit généralisé, d'une guerre mondiale aux dimensions terribles. Voilà la thèse de deux spécialistes des relations internationales, Gwynne Dyer et Pascal Boniface. Deux spécialistes aux visions du monde différentes, la première, anglo-saxonne, la deuxième, francophone, sinon européenne, mais qui se rejoignent dans le diagnostic qu'ils posent sur les affaires du monde.

Chaque jour, au petit écran ou dans les journaux, la tragédie irakienne se rappelle au monde entier. La guerre criminelle engagée par une administration républicaine hors de contrôle étale ses méfaits : attentats, assassinats, corruption, élections et référendum truqués. La grande illusion d’une action généreuse, encore entretenue par des «intellectuels» et quelques médias en service commandé, révèle ses aspects nauséabonds, ses côtés carnassiers. L’occupation américaine a causé la mort de 30 000 Irakiens. Au rythme où vont les choses, dans cinq ans, il y aura plus de morts que sous le règne de Saddam Hussein. Pourtant, cette tragédie n’était pas nécessaire. Elle a été choisie et voulue par un groupe d’individus, ceux qu’on appelle les néoconservateurs. Ces derniers ont imposé leur agenda à la faveur des attentats du 11 septembre 2001, où quelque 3000 Américains ont été assassinés. Leur projet, écrit Gwynne Dyer, existait bien avant le drame et a pour objectif d’imposer  pour toujours» la suprématie militaire américaine à l’ensemble du monde.

L’ivresse du pouvoir

Au lendemain de la chute de l’Union soviétique, les États-Unis se sont retrouvés seule grande puissance. La victoire sur l’autre avait été acquise sans un coup de feu, ou presque, malgré 40 ans de guerre froide. Ayant atteint le sommet de l’Olympe, les États-Unis ne pouvaient plus, ne voulaient plus en descendre. Il fallait s’y maintenir d’autant plus que bien des experts prédisaient que ce moment d’ivresse du pouvoir n’allait pas durer, que d’autres puissances allaient émerger, que les États-Unis eux-mêmes verraient leur poids dans le monde diminuer lentement. Mais comment imposer la Pax Americana au plus vite, pendant qu’il était encore temps? Il fallait un prétexte. Le 11 septembre, un événement tragique, mais mineur, écrit Dyer, s’est présenté. La guerre au terrorisme est devenue le cri de ralliement, même si la menace terroriste a été et est largement exagérée. Et pourquoi cette menace a-t-elle entraîné l’immense perturbation que nous connaissons depuis quatre ans? Tout simplement, parce que « le projet terroriste d’Al-Qaida est entré en collision, en le stimulant, avec un projet beaucoup plus dangereux visant à changer le monde : celui des néoconservateurs américains», écrit l’analyste militaire canadien.

Et c’est ici que Dyer et l’analyste français Pascal Boniface se rejoignent. Tous deux pensent que «Ben Laden et les néoconservateurs américains sont une bénédiction l’un pour l’autre, car chacun conforte le discours de celui qu’il veut annihiler». Ils veulent tous les deux changer le monde et sont prêts à tout pour le faire.

Une guerre mondiale ?

La convergence particulièrement vicieuse des intérêts de ces deux groupes peut-elle mener à une guerre mondiale, comme l’écrit Dyer? Cela dépend de la voie dans laquelle les États-Unis s’engagent. Pour Dyer, les États-Unis doivent perdre la guerre en Irak le plus tôt possible, car s’ils restent sur place encore longtemps, c’est tout l’ordre international patiemment bâti depuis 60 ans autour du multilatéralisme et de l’interdiction des guerres d’agression qui va disparaître, faisant ainsi sauter le dernier obstacle au retour des guerres entre les grandes puissances. En se retirant d’Irak rapidement, les États-Unis n’auront d’autre choix que de réintégrer le monde, et le système multilatéral revivra.

Pour Pascal Boniface, le règlement du conflit israélo-palestinien explique en grande partie le terrorisme d’aujourd’hui et est au cœur de la paix ou de la guerre. Sans banaliser l’invasion américaine de l’Irak, il estime cependant qu’elle ne fait qu’ajouter de l’huile sur un feu déjà incandescent. Il pose alors deux questions centrales : «L’actuelle politique des États-Unis ne nourrit-elle pas autant le terrorisme qu’elle le combat ? N’est-on pas précisément, au Proche-Orient, en Irak et ailleurs, en train de créer les conditions d’un choc des civilisations qu’on affirme refuser?», écrit-il. Pour lui, Israël et les États-Unis en portent la responsabilité principale. Israël, dans sa volonté d’humilier chaque jour un peu plus les Palestiniens et donc les musulmans ; les États-Unis, qui protègent indûment Israël en lui permettant de se soustraire à toutes les lois internationales. Puisque le conflit israélo-palestinien est «la matrice d’un éventuel choc des civilisations», écrit Boniface, il faut de toute urgence s’attaquer à son règlement, sinon la guerre mondiale «d’ineptie stratégique deviendra réalité et le XXe siècle, qui aura été le siècle de la guerre, sera dépassé en horreur par le XXIe.»

La lecture de ces livres et de leurs conclusions provoque un profond malaise. Les auteurs ont-ils raison? Je crois que oui. En Irak, les États-Unis doivent perdre sans possibilité de sauver la face, comme le suggère Dyer. Une défaite cinglante est le prix à payer pour forcer le peuple américain à répudier ses dirigeants actuels et à repenser le rôle et la place de leur pays dans le concert des nations. Quant au conflit israélo-palestinien, il est effectivement une source considérable d’instabilité dans le monde et alimente la haine contre les États-Unis et contre l’Occident. Nous, au Canada, en France ou ailleurs, n’avons pas à payer pour les folies des administrations en place à Washington et à Tel- Aviv. Il existe un plan de paix. Il est sur la table depuis cinq ans. Réclamons son application et engageons-nous concrètement à protéger et à aider tant Israël que la future Palestine.

Au cours de la guerre froide, nous avions choisi notre camp, car les enjeux étaient clairs. Aujourd’hui, une administration blessée par le 11 septembre, et dès lors rendue dangereuse, tente de nous entraîner dans des aventures criminelles. Soyons lucides. Combattons les effets du terrorisme, mais aussi ses causes. Choisissons notre propre vision du monde. Ce sera le prix de notre liberté.

Bibliographie :
Futur Imparfait. L’avenir du monde après l’invasion américaine de l’Irak. Gwynne Dyer, Lanctôt éditeur, 225 p., 19,95 $
Vers la 4e guerre mondiale ?, Pascal Boniface, Éditions Armand Colin, 165 p., 35,95 $

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