Quatre visages d’Amérique

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Aux États-Unis, la campagne présidentielle s'intensifie ; Bush et Kerry sont plus que jamais au coude à coude : cela leur vaut probablement que l'on écrive des pages et des pages à leur sujet. Du côté de l'Amérique latine, le président brésilien Lula et l'inébranlable et infatigable révolutionnaire cubain qu'est Castro, personnages politiques aux parcours plus intéressants, font couler un peu moins d'encre, mais quand même.

Le président… et ses hommes

Il n’y a pas à redire, le 11 septembre a fait de l’insipide George W. Bush, un « homme livresque ». Tout d’un coup, il vaut la peine qu’on s’y attarde, à lui, sa politique et à tous les oisillons et autres vautours qui l’entourent à la Maison-Blanche. On écrit livre sur livre, analyse sur analyse, thèse sur thèse : plus que jamais la Maison-Blanche est devenue la tour de contrôle du monde entier, et pour notre plus grand malheur, c’est un certain W. qui est aux commandes.

Bob Woodward, ce journaliste du Washington Post qui avait révélé le scandale du Watergate en 1974, est décidément inspiré par Bush et ses conseillers. Après Bush s’en va-t-en guerre (Denoël, 2002), voici qu’il récidive avec Plan d’attaque (Denoël, 2004). Dans ce document, l’auteur, qui a interviewé plusieurs protagonistes de la CIA, de la Maison-Blanche et du Pentagone, dont le président lui-même, nous fait le récit chronologique et détaillé des seize mois qui ont précédé la guerre en Irak : négociations, discussions, tractations, jeux de coulisses, intérêts des uns et des autres se confondent et s’entrecroisent. Le plan d’attaque des Etats-Unis en ce qui concerne l’Irak, nous dit Woodward, est apparu dès le 11 septembre. L’Irak aurait été la priorité de plusieurs membres de l’administration, dont le vice-président Dick Cheney. On commençait à s’en douter un peu : Merci, M. Woodward.

Plus agaçant encore, dans ce récit linéaire, très minutieux et méthodique, c’est cette façon qu’a l’auteur de nous présenter un Bush « personnage secondaire », qui n’y est pratiquement pour rien, comme si tout avait été plus ou moins tramé à son insu… Le pauvre, il a été berné ! Pour la somme d’informations, les entrevues exclusives qui sont reproduites dans l’ouvrage, ça peut valoir la peine. Pour le reste…

Le prétendant

De son côté, John Kerry, qui peine à faire parler de lui dans les médias — surtout en bien —, et qui n’arrive pas à dépasser Bush dans les sondages, fait l’objet d’une attention plus modeste. Une modeste maison d’édition française, Alban, vient de faire paraître John F. Kerry : L’anti-Bush. Un portrait quelque peu complaisant de celui qui serait certes un meilleur président que n’a pu l’être son actuel adversaire, mais tout de même. De toute évidence, les auteurs, Sean Besanger et Alex Thomas, respectivement expert économique à Washington et spécialiste du droit international, ont été vite en besogne. Bizarre, par ailleurs, que le bouquin n’ait pas été d’abord publié en anglais…

Nos critiques, les auteurs les avaient un peu prévues, sans doute conscients qu’ils tournaient les coins ronds. C’est ainsi qu’ils écrivent en conclusion : « Face aux lecteurs qui nous reprocheront de donner une vision trop partisane des candidats aux élections présidentielles de novembre 2004, nous plaidons d’avance « coupables » d’avoir une terrible envie de voter John Kerry. Là où l’administration Bush a traité les Canadiens de vassaux et les Français en adversaires, une administration Kerry reviendrait à des rapports plus amicaux et sensés. »

Faut-il en conclure que les auteurs sont eux-mêmes canadiens et européens ? Ont-ils le droit de vote aux États-Unis ? Questions demeurées sans réponses devant notre « pas tellement grand envie de faire trop de recherches, pour si peu ». C’est aussi mal écrit. Visiblement, aucun correcteur réviseur n’est passé par là. Et on se demande exactement pourquoi les auteurs ont choisi de s’adresser aux Canadiens et aux Européens, avec la volonté de les inciter à voter pour Kerry, qu’ils nous disent être héritier de Gide (rien de moins), Roosevelt, Kennedy, et parent tant de la reine d’Angleterre et que de Janis Joplin. Bref, c’est déjà trop de lignes pour si peu.

Le Sud…

Beaucoup plus intéressant, mieux fait, et sans prétention aux allures d’outrecuidance, est l’ouvrage de Candido Mendes, Lula : Une gauche qui s’éveille, chez Descartes et Cie. Mendes est un compagnon de lutte de longue date du petit cireur de chaussures devenu président du Brésil, 10e puissance économique au monde. Luis Ignacio da Silva, mieux connu sous le diminutif de Lula, est le nouveau président du pays, élu il y a un peu plus d’un an, convaincu qu’un autre monde était possible, et que cela passait par un autre Brésil. Dure tâche à laquelle son équipe du Parti des travailleurs (PT) et lui se sont attelés.

C’est au récit du parcours de ces hommes et femmes rassemblés autour de Lula que nous convie Mendes. Le chemin a été long jusqu’au pouvoir, il a fallu encaisser pas mal de coups. Mais sans doute, à partir de maintenant, le chemin sera-t-il encore plus long. Le Parti des travailleurs brésiliens, incarné par Lula, est un parti de réflexion et d’action qui met de l’avant non seulement une nouvelle façon de gouverner, mais une nouvelle façon de gauche de gouverner. Tranquillement, on assiste à la construction d’un nouveau Brésil, plus juste, plus équitable, sans trop de bousculade et avec beaucoup de compromis. Ce qui n’est pas sans conséquence sur le reste de l’Amérique latine.

Un beau témoignage, de la part de Candido Mendes, quoiqu’un peu scolaire. On se prend à imaginer un ouvrage sur Lula à la manière d’un Montalban, qui en 1996, publiait au Seuil Et Dieu est entré dans La Havane. Si vous n’avez pas lu ce superbe récit prenant pour prétexte la visite du pape à Cuba, courez chez votre libraire immédiatement et demandez qu’on vous le commande. Que vous soyez castriste ou pas (je ne le suis pas), vous prendrez un véritable plaisir à lire ce petit bijou sur Castro, bien sûr, mais sur Cuba, La Havane et les Cubains en général.

Bibliographie :
Plan d’attaque, Bob Woodward, Denoël, 34,95 $
Bush s’en va-t-en guerre, Bob Woodward, 10/18, 24,95 $
John F. Kerry : L’anti-Bush, Sean Besanger & Alex Thomas, Alban Éditions, 29,95 $
Lula : Une gauche qui s’éveille, Candido Mendes, Descartes et Cie, 24,95 $
Et Dieu est entré dans La Havane, Manuel Vazquez Montalban, Seuil, 39,95 $

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