Capital, vie et liberté version 2000

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Le passé et la question nationale font le pain quotidien de plusieurs éditeurs. Quarantième anniversaire de la Révolution tranquille, trentième anniversaire de la Crise d'octobre, voilà autant de prétextes pour rééditer ou publier des textes qui n'apportent aucun éclairage nouveau sur ces périodes que l'on ausculte et explique avec le souci inavoué d'influencer les débats d'aujourd'hui. Cela ne fait pas une "histoire populaire", cela fait une histoire tronquée, trafiquée par le prisme du présent.

Réédition heureuse cependant, celle du livre de André d’Allemagne, un des fondateurs du Rassemblement pour l’indépendance nationale, Le colonialisme au Québec. Heureuse et souhaitable ne serait ce que pour rappeler que le mouvement indépendantiste voulait bien sur un pays, mais un pays qui soit autant libéré d’Ottawa que du grand capital. Nostalgiques de gauche du PQ qui vous sentez abandonnés depuis des lustres, précipitez vous sur ce petit livre d’un de vos pères. Cet ouvrage paraîtra anachronique à tous ceux qui proclament la fin des idéologies, de même que celle de l’histoire et qui s’émerveillent l’air béat devant les prouesses des nouvelles technologies. Les nouveaux prophètes s’extasient devant le surhomme en train de naître, non pas nouvel apprenti sorcier, mais nouveau créateur. Devant son ordinateur, le nouveau surhomme transforme l’univers économique ; devant son microscope, le démiurge non seulement perce t il les secrets de la vie, mais il la prolonge, la multiplie et en réalité, la réinvente. Mais peut être que tous ces nouveaux héros des médias ne sont après tout que les nouveaux colonisateurs, les nouveaux marchands, prêts à tout pour dégager des profits et renouveler les formes d’aliénation et les rapports de production – pour reprendre des termes anciens.

On ne soupçonnera jamais Maurcen McTeer de radicalisme, ne serait ce que parce qu’elle est la femme du chef conservateur Joe Clark. Avocate, spécialiste du droit médical, elle a entre autres siégé à la Commission royale d’enquête sur les technologies de la reproduction. Mais dans son livre Vivre au XXIe siècle: choix et enjeux, elle pose des questions hallucinantes, non pas sur l’avenir, mais sur le présent, car nous vivons déjà l’avenir.

La vie n’est plus un mystère, mais un chantier. La science modifie des embryons, sélectionne des gamètes, élimine du sperme. Le marché propose des organes, des ovaires, des mères, des pères, des tissus. Elle crée de nouvelles semences. Elle repousse les limites de la vie, soutient des morts vivants, transplante et redonne la vie à des condamnés.

Maureen McTeer aborde toutes ces questions avec l’application et la froideur des membres du Barreau et elle les analyse plus du point de vue du droit que de l’éthique ou de la morale. Mais le droit constitue aussi une sorte de concentré de l’éthique et de la morale que souhaite se donner une société. Or, l’État fédéral autant que les provinces, constate t elle,  » se contentent comme des vaches placides de regarder passer le train de la science. Dans presque tous les domaines qui vont du commerce des embryons, des brevets sur la vie humaine au suicide assisté, nos gouvernements se satisfont d’un vide juridique qui ne peut qu’encourager l’établissement de faits accomplis par les marchands de la vie « .

Si vous n’êtes pas convaincu par le cri d’alarme juridique de Maurean McTeer, lisez Le désir du gène, du biologiste Jacques Testart, un des pionniers de la fertilisation in vitro. Testart démontre avec une efficacité effroyable comment les nouveaux génies de la reproduction, nos héros modernes, réintroduisent subtilement une idéologie honnie, celle de l’eugénisme qui n’est rien d’autre que le nazisme planétaire. Le bébé sur mesure, l’enfant idéal, le blond aux yeux bleus : cela est possible aujourd’hui, mais rares sont les gouvernements qui s’en préoccupent vraiment.

Dépassés par la course folle des généticiens et des biologistes, les États le sont tout autant par la nouvelle économie qui carbure à l’argent virtuel et aux concepts. L’apparition de géants économiques plus que gigantesques et les nouveaux modes de création de la richesse ont jusqu’ici réussi à rendre plus d’un état obsolète. Le politique devient de plus en plus une sorte de sous traitance de l’économique. Depuis quelque temps, les gourous de la post-modernité, particulièrement les Américains avec leur myopie bien caractéristique, se penchent sur ce « brave new world ». Jeremy Rifkin dans L’âge de l’accès, décèle la naissance d’un nouveau capitalisme qu’il qualifie d’hypercapitalisme. Les rapports à la propriété ont été radicalement modifiés. La nouvelle entreprise ne vend plus des biens, mais des services, des réseaux, de l’accès et des expériences culturelles. La démonstration est instructive surtout dans sa description des nouveaux modes de création de la richesse. On pourrait résumer en disant que les nouvelles entreprises  » achètent » notre vie pour par la suite pouvoir orienter et contrôler notre consommation. Microsoft un jour, Microsoft toujours : «…le consommateur, écrit Rifkin, risque progressivement de perdre toute capacité de contrôle étant donné que n’importe qu’elle décision d’achat à court terme peut donner lieu à des relations commerciales à long terme…et que toute acquisition d’un bien débouche sur la consommation de toute une gamme de services qui couvrent pratiquement le moindre aspect de son existence ».

Quel monde ! Mais est ce vraiment le monde ou seulement celui de la « upper middle class » américaine dans laquelle évoluent tous ces prospecteurs d’avenir, revenus obligent ? Rifkin répond lui même : « bien entendu, on ne doit pas oublier que 80% des habitants de la planète en sont encore à lutter pour un minimum de patrimoine matériel », page 308. Et ce n’est qu’une référence passagère. Le nouveau prophète ayant jeté la majorité des habitants de la planète dans la poubelle de l’obsolescence, proclame comme un écho de Bill Gates « Être connecté, c’est être libre. ». Et ta sœur ! Les nouveaux magiciens de la liberté sont aveugles. Ils ne voient pas que la liberté individuelle dont ils parlent ne profitent qu’aux riches.

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Le colonialisme au Quéhec, André d’Allemagne, Agone
Vivre au XXe siècle: choix et enjeux, Maurcen McTeer, Libre Expression
Le désir du gène, Jacques Testart, Flammarion
L’âge de l’accès, Jeremy Rifkin, Boréal

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