Longtemps confinée à la comédie, la bande dessinée québécoise élargit de plus en plus ses horizons, investissant ces dernières années le genre avec une indéniable fougue. Déjà, l’année 2017 nous offre un florilège de récits de science-fiction tout aussi éclectique que réjouissant.

Sci-fi dystopique
Né dans les pages du fanzine Strange Memories, puis repêché par le magazine de contre-culture Iceberg au début des années 90, le pilote de guerre à la retraite Bob Leclerc aura mis plus de 25 années à boucler son aventure martienne. Après des débuts exploratoires sous la forme de courts récits ponctués de chutes à la EC Comics, l’auteur a jeté lentement les bases de Vers les mondes lointains, iconique récit de 150 pages publié en 2008 chez l’éditeur suisse Paquet. Depuis longtemps épuisé, ce premier volet campe l’action en 1959 au cœur d’un quartier ouvrier montréalais, alors que Bob Leclerc y erre, accablé par la chaleur d’un été servile, mais aussi par les souvenirs de hauts faits d’armes. Bien que Vers les mondes lointains se présente comme une histoire autonome, l’album met la table pour le diptyque constitué de Cauchemar argenté et Terminus, la Terre, tous deux publiés coup sur coup le printemps dernier chez l’éditeur européen Mosquito.

L’humanité est en péril : les Martiens se préparent à envahir la Terre. Bob Leclerc, émérite pilote de guerre ayant cassé du Jaune durant la Deuxième Guerre, est recruté afin de joindre une petite équipe chargée d’aller larguer sur la planète rouge une bombe bactériologique capable d’éradiquer une race entière. Si Cauchemar argenté lève le voile sur les préparatifs secrets en vue de l’expédition, Terminus, la Terre nous convie à l’éprouvant voyage.

Bouchard se dégage rapidement des paramètres du genre, nous offrant un récit-fleuve étonnant, anxiogène, hypnotique, au rythme psalmodique. Il s’amuse à dérouter le lecteur, parsemant l’histoire de sulfureux dialogues, optant pour un graphisme détaillé face auquel on s’extasie, nous préparant longuement pour le voyage martien dont nous verrons somme toute très peu de choses – le héros n’y met même pas les pieds! Loin des Dan Cooper et Steve Canyon, Leclerc n’est ni vertueux ni même intrépide. Il frôle plutôt la catatonie.

Il se dégage de cette grisante lecture un sentiment de douce étrangeté qu’on côtoie très peu en bande dessinée. En cette époque de surproduction – plus de 5000 titres sont publiés annuellement sur le marché européen –, Grégoire Bouchard investit un des genres les plus fréquentés afin de nous livrer une œuvre personnelle, intelligente atypique, dense, au charme suranné et magistralement dessinée. Un pur chef-d’œuvre.

Sci-fi dynamique
Excellente nouvelle série prépubliée dans le magazine scientifique Curium destiné aux adolescents, Jimmy Tornado raconte les aventures de Jimmy, un gorille âgé de 15 ans doté d’une conscience de la parole, et de sa demi-sœur Lupo, une scientifique de quatre ans son aîné. Ensemble, ils combattent des robots géants, découvrent un vaisseau extraterrestre échoué il y a plus de 3000 ans sous les glaces de l’Antarctique, en dessoudent avec des araignées et la méduse. Puisant tant dans le 7e art (Godzilla, Aliens) que le 9e (Monkeyman & O’Brien, Atomic Robo), Jimmy Tornado est une série porteuse de belles promesses, qui de surcroît comble un créneau vacant chez le lectorat de la bande dessinée québécoise : les 12-17 ans.

Sci-fi politique
Après avoir publié à ses débuts l’iconoclaste satire science fictionnelle Motel Galactic, voilà que les éditions Pow Pow investissent à nouveau le genre avec la passionnante fable politique Titan. Un inspecteur terrien se rend dans une colonie minière déficitaire opérée par des Titans, des êtres génétiquement modifiés pour accomplir le sale boulot. Aidé d’une ouvrière dont il s’amourache, l’inspecteur tente par tous les moyens d’éviter l’éclatement d’un conflit interplanétaire. D’abord publié au format comics chez l’éditeur américain Indie Study Group Comics, le haletant récit du Montréalais François Vigneault est assemblé pour la première fois sous forme d’intégrale en traduction française. La justesse des dialogues, la souplesse de son trait et la sensualité qui s’en dégage assouplissent un genre hélas trop souvent guindé. De l’admirable sci-fi comme il s’en fait trop peu.

Sci-fi post-apocalyptique
À la suite d’un fracassant succès en salle et dans les festivals, le film Turbo Kid du collectif québécois Road Kill Super Star fait l’objet d’une série d’antépisodes en comics. Mené de main de maître par un Jeik Dion au sommet de sa forme, ce second chapitre explore les origines de Skeletron. À la fois baroque, mangaesque et rythmé, Skeletron déchaîné se dévore d’un seul trait, permettant ainsi aux admirateurs de poursuivre l’exploration de ce riche univers digne des Escape from New York et Madmax.

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