Revue Relations : Imaginer un monde meilleur

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La perspective d’une société plus juste est au cœur de la proposition de la revue Relations, créée en 1941. Si les opinions qui y sont véhiculées prennent le parti des exclus et des démunis, c’est avec un regard critique sur les enjeux sociaux, économiques, politiques et religieux qu’elles y sont présentées. Pour souligner le 75e anniversaire de cette revue, Jean-Claude Ravet, rédacteur en chef, répond à nos questions et nous propose trois lectures.

Avec des collaborateurs réguliers tels Natasha Kanapé Fontaine, Bernard Emond, Jacques Goldstyn et Hélène Dorion, pour ne nommer qu’eux, la revue Relations peut se targuer d’avoir au cœur de ses rangs des intellectuels autant féminins que masculins, autant athés que croyants. Tous les mois, on y retrouve aussi en rétrospective les grandes questions de l’actualité, détricotées sous des plumes qui nous en dévoilent un nouvel angle afin d’approfondir nos réflexions.

Qu’est-ce qui fait l’unicité de Relations par rapport aux autres médias?
D’emblée, ce qui caractérise le plus Relations, ce qui fait un peu sa marque de commerce – à savoir l’analyse sociale d’un point de vue critique et son parti pris en faveur des laissés-pour-compte de la société – la démarque fortement de la plupart des revues québécoises. Peu de publications grand public peuvent en effet se dire de gauche dans cette perspective. Mais ce qui rajoute à son unicité, c’est son souci d’embrasser, dans ses analyses de grands enjeux de société, les dimensions collectives de l’existence, en y intégrant aussi des questions d’ordre éthique, spirituel et religieux. Autre fait inusité : une place importante est laissée à l’art et à la littérature dans les chroniques et les illustrations qu’on trouve dans Relations.

En 75 ans, quels sont les principaux jalons autour desquels la revue s’est articulée?
Une revue de 75 ans en accumule nécessairement beaucoup. Dans l’exposition anniversaire qui circule actuellement, dont le titre est « Relations, une revue engagée dans son époque », on a ciblé par décennies certaines thématiques qui ressortent davantage : « l’Affaire silicose » et les luttes ouvrières, de 1941 à 1959; la Révolution tranquille, la question nationale et la théologie de la libération, de 1960 à 1979; la lutte contre le néolibéralisme et la pauvreté ainsi que la question autochtone et l’immigration, de 1980 à 1999; et enfin, les résistances à la mondialisation financière et aux dérives guerrières, les alternatives et les chemins d’humanité, de 2000 à aujourd’hui. Les gens pourront voir cette exposition dans le hall de l’Hôtel de Ville de Montréal en octobre et à la Bibliothèque de l’Université Laval en octobre et en novembre prochains.

Pour paraphraser Albert Beaudry (directeur de Relations de 1980 à 1988), l’idée derrière cette revue est d’avoir l’Église comme témoin et la société québécoise comme projet. Qu’est-ce qui fait de Relations une revue jésuite? S’adresse-t-elle également aux agnostiques?
Le mot d’Albert Beaudry décrit bien en effet ce qui anime la revue depuis ses débuts, si on comprend « Église » non pas comme institution hiérarchique, mais comme communauté de croyants rassemblés autour du message subversif de Jésus, centré sur le partage, l’attention aux plus vulnérables et la lutte contre l’injustice. Ce souci pour la justice, indissociable de la foi et partagé particulièrement par les jésuites, a été ce qui a relié les différentes équipes de rédaction, les collaborateurs et les lecteurs de Relations. Ceux-ci, d’abord principalement catholiques et à l’image de la société québécoise d’alors, sont maintenant composés indistinctement de croyants, d’autrement croyants et de non-croyants. Ce qui nous unit tous, c’est de vouloir une société juste.

Vos célébrations anniversaires s’articulent autour de trois grands axes : l’amour du monde, la résistance, la création. De quelle façon prennent-ils place dans la revue ?
Chacun de ces axes a été le thème du dossier des trois premiers numéros de l’année. Ils ont formé ainsi une trilogie par laquelle nous voulions remémorer et célébrer le souffle qui nous porte. « Amour du monde », parce que c’est là le socle de toute résistance, qui nous fait embrasser à la fois les êtres et les choses, l’espace public, la vie et la Terre. « Résistance », parce que c’est unimpératif pour toute personne libre dans un monde menacé par le fantasme de la toute-puissance, la rapacité financière, la soumission à des dogmes inhumains. Enfin « Création », parce qu’elle évoque la force de la vie, l’élan de liberté, la capacité d’innover inhérente à l’humanité. On ne peut se contenter de chemins conçus comme des ornières ou des impasses; le chemin s’ouvre en marchant, comme le disait le poète Antonio Machado.

 

Jean-Claude Ravet nous présente trois livres qui font avancer la justice sociale :

Où irez-vous armés de chiffres?
Hélène Monette (Boréal)
Toute l’œuvre de la poète québécoise nous confronte avec les injustices et les travers du monde. Son dernier recueil, paru un an avant sa mort fulgurante, témoigne de manière remarquable de sa sensibilité à l’égard des poqués, des vies brisées et de sa voix incendiaire à l’égard des élites de notre époque, centrée de manière obsessive sur la finance, la rentabilité, l’efficacité. S’y dégagent particulièrement la violence et le cynisme ambiants, et le cri des sacrifiés – des loosers – sur l’autel du capital. On n’en sort pas indemne. Collaboratrice de Relations, Hélène Monette nous manque beaucoup.

Mémoire du feu
Eduardo Galeano (Lux)
Les veines ouvertes de l’Amérique a fait connaître mondialement cet essayiste uruguayen. Il dévoilait dans ce livre les massacres et pillages commis en Amérique latine par les puissances européennes, les États-Unis et leurs sous-fifres latino-américains. Il est aussi un grand écrivain. Dans Mémoire du feu, il retrace en de très courts récits, toujours merveilleusement écrits, de manière parfois incisive, parfois humoristique, l’histoire, entre autres, de milliers de grandes figures d’humanité du continent américain, trop souvent oubliées de l’Histoire officielle ou défigurées par elle.

L’impasse de la globalisation
Michel Freitag (Écosociété)
Ce livre, sous forme d’entretiens, nous introduit de manière accessible à la pensée d’un des plus grands sociologues du Québec, trop méconnu : Michel Freitag. Décédé en 2009, il a su mieux que quiconque jusqu’à présent comprendre la logique qui meut la société capitaliste et l’impasse tant humaine qu’écologique où elle nous conduit. Sous couvert de promouvoir la liberté individuelle et le libre-marché, cette logique a pavé la voie à un système impersonnel, technique et financier, qui relègue l’humain à la marge, et transforme toutes choses, et la vie même, en marchandises.

 

Biographie éclair
Jean-Claude Ravet est à la barre de la revue Relations depuis novembre 2005. Celui qui a étudié la sociologie a également travaillé durant cinq ans dans les milieux défavorisés chiliens. Sa vision d’une société plus juste, qui l’anime profondément, transparaîtra dans son premier ouvrage, à paraître en novembre chez Nota Bene.

Photo : © Emiliano Arpin-Simonetti

 

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