Réforme de la loi canadienne sur le droit d’auteur: Équitable pour qui?

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Le moins qu'on puisse dire du gouvernement Harper et de ses politiques à l'égard des arts et des lettres, c'est que le premier ministre canadien et ses députés font preuve d'une cohérence que je n'oserais cependant qualifier d'admirable.

Dénoncé par l’ensemble des créatrices et créateurs de même que par leurs diffuseurs, le projet de
réforme de la Loi canadienne sur le droit d’auteur (C-32) fait néanmoins son petit bonhomme de chemin, même s’il propose essentiellement une spoliation de l’idée même de la propriété intellectuelle, par surcroît dangereuse pour une industrie dont l’équilibre est déjà précaire.

À vrai dire, bien avant l’accession au pouvoir des troupes conservatrices, du temps du gouvernement libéral de Paul Martin déjà, les bénéficiaires du droit d’auteur reconnaissaient la nécessité de moderniser certains aspects de la législation, mais redoutaient que cette mise à jour se fasse à leurs dépens. À la lumière des attentats répétés perpétrés au fil des dernières années par l’administration Harper contre la santé culturelle et intellectuelle, on sait que ces craintes étaient fondées.

Le gouvernement conservateur a en effet manifesté sa volonté explicite de brader la notion de la
propriété intellectuelle pour des économies de bout de chandelle, en traitant les créatrices et créateurs du Canada ainsi que leurs diffuseurs comme des quantités négligeables. Avec le projet de loi C-32, il entend notamment faire passer leurs œuvres dans le domaine public de leur vivant, par le biais de concepts aussi fumeux que l’usage équitable et que cette «exception pédagogique», qu’on n’oserait jamais appliquer dans des domaines comme celui de ces fameuses nouvelles technologies. On voit mal notre gouvernement décréter, par exemple, l’immunité pour les pirates de logiciels comme ceux de la multinationale Microsoft sous le fallacieux prétexte d’une utilisation dans un cadre scolaire.

Il est primordial que l’ensemble de ceux qui ont les arts, les lettres et le savoir à cœur, autant les
artisans que le grand public, lancent un message sans équivoque: à savoir que non seulement cette mise à mal des droits chèrement acquis est inacceptable, mais qu’elle contreviendrait aussi aux engagements internationaux du Canada en matière de droit d’auteur. Récemment, l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) et l’Asso­ciation internationale des éditeurs de matériels scientifiques et techniques (STM Publishers) ont conjointement tenu à rappeler aux conservateurs que l’exception générale d’utilisation équitable pour l’éducation aurait un effet désastreux. De fait, cela découragerait les auteurs de créer et les éditeurs de publier pour le monde éducatif, et ce, au détriment des lecteurs canadiens. Les publications scientifiques étant dédiées à la création et à la diffusion du savoir, c’est justement les collectivités, comme les bibliothèques et les maisons d’enseignement, qui sont les premiers acheteurs. Le projet de loi C-32 interfère donc avec l’exploitation normale du marché des matériels conçus pour l’éducation et met en danger tant les créatrices et créateurs que les éditeurs et
les libraires.

Enfin, pour citer la position commune de la Writers Union of Canada et de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois à propos de la soi-disant exception pédagogique, les créatrices et créateurs de notre pays n’accepteront de céder gratuitement le droit de reproduire le fruit de leur labeur dans un contexte scolaire que le jour où l’ensemble des personnes œuvrant dans des écoles canadiennes, des membres de la direction aux concierges en passant par les professeurs, acceptera, en échange, de pratiquer son métier sans aucune rémunération.

Seulement alors pourrait-on, à mes yeux, évoquer l’équité pour justifier ce qui n’est au fond que
l’institutionnalisation complaisante d’une forme de vol et de viol par un État voyou.

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