Si les romans sont nombreux à sonder la parentalité, son côté obscur ou ses innombrables petites joies, l’autofiction est également à son zénith avec ce sujet de niche. Récits, bandes dessinées ou fictions pures, ce qui relie tous les ouvrages de notre sélection non exhaustive est cette chose nommée « enfant » qui vient totalement bouleverser, pour le meilleur ou pour le pire, l’existence des protagonistes.

Ces histoires qui nous unissent
La parentalité débute toujours par une naissance. Et dans la pièce Venir au monde (Atelier 10), d’Anne-Marie Olivier, on plonge dans une multitude d’histoires de naissance — toutes liées à un même point central, celui d’un accouchement dans une voiture —, allant d’une femme qui accouche devant sa mère prête à exhumer son dernier soupir, à une autre qui donne la vie devant ses enfants qui l’encouragent constamment, à une autre, autochtone victime de viol, qui fuira l’hôpital. Issus de témoignages, tous ces récits sont portés par une force vitale d’une intensité émouvante. Autres séries d’histoires d’accouchements, cette fois écrites par la main de celles qui l’ont vécu, dans Dans le ventre (XYZ). Ce collectif dirigé par Elsa Pépin réunit une palette impressionnante d’auteures — et un homme — qui prennent la plume pour partager ce moment précieux et magique pour certains, étrange et blessant pour d’autres. Un pur bonheur de lecture, une leçon d’écriture à chaque récit et un beau brin d’humanité de part et d’autre de la couverture. Myriam Beaudoin aborde quant à elle avec limpidité cette attente, ces rendez-vous, ce désir de grossesse tellement grand qu’il ronge tout dans Épiphanie (Leméac), un récit poétique personnel, rédigé comme une lettre à cet être attendu, où l’on découvre son entêtement, ses peines, et finalement cette joie immense inattendue. Dans Des nouvelles du père (Québec Amérique), on plonge dans les textes signés par une pléthore d’auteurs de talent, dont Dominic Bellavance, Matthieu Simard, Pierre Szalowski, Martin Michaud et Patrick Senécal, qui racontent que, s’ils ne sont pas toujours les plus forts ou les plus connaissants, ils sont toujours présents, toujours aimants pour leur enfant, et ce, à travers plein de petits moments du quotidien. De belles réflexions sont au cœur de cet ouvrage, notamment autour de la naissance.

Dépression et crise identitaire
La dépression post-partum n’est pas qu’affaire de femmes. Dans Dérives (Nomades), Biz lève le voile sur une période sombre de sa vie, alors qu’il vient de devenir papa et que s’abat sur lui la lourdeur du quotidien, le désarroi de son existence. Mais puisque son écriture est empreinte de finesse, on pense notamment à cette métaphore filée de lit comme un radeau à la dérive, on ne sent cette lourdeur que dans son protagoniste — et non dans la lecture de cette œuvre. Elif Shafak, auteure turque de talent, s’attaque également à la dépression qu’elle a vécue, en prenant la littérature comme instrument exutoire dans Lait noir (10-18). Ingénieuse, l’auteure présente six créatures comme autant de petites voix intérieures aux personnalités distinctes qui, chacune, défendent leur vision du monde, de la féminité, de l’écriture, de la maternité. Les discours se répercutent dans une crise identitaire vécue par celle qui tergiverse entre rester une femme indépendante, écrivaine, et devenir une mère dévouée, le tout oscillant entre l’Orient et l’Occident.

Odes aux parents imparfaits
« J’ai voulu un texte court. Plus que jamais, j’avais envie de tranchant, d’aigu, et surtout pas d’une langue enrobante ou maternante », écrit Amandine Dhée dans La femme brouillon (Folio), alors qu’elle dénonce, par le biais de son expérience, le mirage de la mère parfaite. Son arme? Une montagne d’aveux de petites faiblesses assumées avec humour. On saluera également l’exubérance agréable de Lucia Etxebarria dans Un miracle en équilibre (10-18), alors qu’elle livre à son lecteur ses pensées, interrogations et gestes en lien avec son nouveau statut de mère. Quelle paradoxale expérience que celle de la maternité, découvre-t-on avec celle qui entremêle avec brio passé et présent dans une langue désopilante et juste assez crue pour donner un petit coup de fouet à celles et ceux qui auraient lu trop de textes mièvres sur le sujet!

État des lieux
« Ils ne savent plus comment c’était de n’être responsables que d’eux-mêmes. Ils se questionnent mais ils ne peuvent revivre cet état comme on enfilerait un vieux vêtement retrouvé par hasard. » : voilà ce qu’écrit Valérie Mréjen dans Troisième personne (Folio), un court récit sur les deux premières années d’une petite fille, une réflexion sur ce changement de vie, ce changement de regard porté sur le monde et sur les gens. Ceux qui ont soif d’intellectualité et de culture se gaveront — parents ou pas — du petit ouvrage intelligent Le bébé de Marie Darrieussecq (P.O.L), où l’auteure nous livre avec la grâce de son écriture les pensées, les contradictions, les joies, les interrogations autour de son poupon et de la nouvelle vie qui en découle.

Petite incursion dans le quotidien d’un nouveau papa dans Mon petit nombril (La Pastèque), du bédéiste Pascal Colpron, qui nous dépeint son quotidien depuis l’arrivée de sa fille. S’il se démarque par la qualité de son dessin, il le fait également avec le réalisme des situations qu’il rend avec une justesse attachante. Retour à la fiction : on sourira bien souvent à la lecture des pages de Mépapasonlà (Éditions David), roman d’Alain Pierre Boisvert qui saupoudre du bonheur ici et là dans la vie de trois garçons — deux papas et un petit surnommé « hibou » — qui demeurent au Nouveau-Brunswick. Bien que tout ne soit pas toujours rose, on assiste à une histoire colorée, joyeuse, qu’il fait bon lire, et pas seulement pour son approche de l’homoparentalité.

Les défis que la vie impose
Dans cette catégorie, deux BD méritent absolument le détour, toutes deux écrites par un homme et mettant de l’avant le point de vue du père. Dans Les petites victoires (Rue de Sèvres), Yvon Roy se présente comme un père aimant, mais imparfait, et bien décidé à entrer en contact avec son fils autiste. Loin d’être facile, leur relation tranquillement s’endurcira, au fil des efforts et de l’instinct déployés par ce père porté par l’ambitieux projet de bien réussir son accompagnement parental. Dans Ce n’est pas toi que j’attendais (Delcourt), Fabien Toulmé ouvre son cœur au lecteur en y dévoilant son expérience de papa d’une petite fille trisomique, lui pour qui cette condition représentait une hantise terrible dès la procréation. Véritable histoire touchante d’acceptation, ce récit donnera du courage à quiconque doit surmonter un défi parental. Toujours signé par un homme, mais cette fois sous la forme romanesque, La vie en chantier (Gallmeister) de Pete Fromm dépeint l’histoire d’un homme dont la femme meurt en couches et qui se retrouve, sans son amoureuse, à devoir élever leur fille, à devoir tout apprendre de la parentalité, mais en mode solo.

Quand le passé pèse lourd
Dans le tout récent Les dévorantes (Eyrolles) de Marinca Villanova, on nous présente trois générations de femmes — 1942, 1981 et 2004 — qui n’arrivent pas à éprouver l’amour qu’elles souhaiteraient pour leur fille, perpétuant sans cesse une chaîne filiale de dévorées par des dévorantes. Une mise de l’avant sans pareil de la souffrance des femmes, en lien avec cet amour manquant de la mère. Dans La gaieté (Le Livre de Poche) de Justine Lévy — fille de Bernard-Henry Lévy —, l’auteure se questionne : comment être une bonne mère alors que notre propre passé défaillant ressurgit? En choisissant la joie à la tristesse, tente-t-elle de répondre.

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