Petit conte du Temps des Fêtes : Un best-seller avec ça ?

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À la fois éditeur et romancier, Robert Soulières écrit pour la jeunesse, c'est-à-dire qu'il n'écrit pas des "vrais livres", comme on dit. Illustré par Marjolaine Bonenfant, son plus récent ouvrage s'intitule L'abécédaire des animots (Les Heures bleues). Autrement, sa bibliographie compte une trentaine de titres et c'est d'ailleurs le même nombre de livres – d'une tout autre nature, cette fois -, qu'il s'engage à perdre après Noël.

J’écris des romans pour adultes (1). Il n’y a pas de mal à ça. Des romans extraordinaires! me crie ma blonde. Mais dans les journaux, il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard. Jusqu’ici, j’en ai écrit trois. Trois de plus que Tiger Woods, quand même! Trois romans et personne ne me regarde sur la rue. Personne ne déchire mes vêtements lorsque je traverse les foules au centre commercial, dans les salons du livre ou quand je vais dans les bars branchés. Personne ne me prend pour Jacques Godbout (2). Après dix ans, je vis encore dans la dèche de l’anonymat littéraire… sauf au cégep où j’enseigne, et encore. Mes ventes stagnent à 26 exemplaires par saison littéraire, car je n’ai qu’un groupe d’étudiants. Le reste du temps j’enseigne l’anthropologie… gardant l’entrepôtlogie pour mes invendus.

Il y a toujours peu de gens à mes lancements sinon les employés de la librairie que mon éditeur paye sûrement au noir pour qu’ils restent jusqu’à la fin. Il les paye aussi sans doute pour qu’ils achètent des romans que je leur dédicace. Il y a des éditeurs qui sont gentils. On ne les connaît pas tous, mais il y en a. Après avoir bu deux verres de Baby Fuck et avalé trois petits fours (tiens, c’est le même nombre que mes romans), je rentre chez moi la queue entre les jambes – c’est une bonne place. Au moins là, j’ai une lectrice fidèle qui m’adore et qui me lie (!) au lit.

Mais l’ensemble du portrait est plutôt décourageant et je ne parle pas de ma photo. L’autre matin, lorsque ma mie m’a dit, en beurrant son pain :

– La célébrité court tellement vite des fois qu’elle en perd son b.

Elle est comme ça. Elle me lance des vérités cruelles alors qu’il n’est même pas huit heures du matin.

– C’est vrai lui, réponds-je (non, mais quel style!), je cours après la célébrité comme un Bruny Surin blessé au talon d’Eschyle (3) .

Puis, elle ajoute, en brassant son café et laissez-moi vous dire qu’elle n’y va pas avec la petite cuillère :

– Va te faire cuire un œuf. Les œufs, ça stimule la création littéraire.

Elle m’avait quand même dit ça, avec une politesse de bénédictine.

Je devais bien sûr prendre cette phrase au premier degré, mais vous me connaissez, je ne suis pas ce genre d’homme. Alors : « Va te faire cuire un œuf », ça m’a tout de suite fait penser à coco et qui dit coco dit lapin de Pâques et je ne sais plus encore pourquoi, Va savoir, comme titrait si bien Ducharme, Pâques m’a fait penser à Noël et qui dit Noël, dit carte de Noël okay, mais surtout carte de crédit, mais si on creuse plus loin, on pense à Père Noël et c’est là où je voulais en venir et c’est là que je vous amène avec une phrase longue comme ça, car je ne déteste pas faire mon petit Proust du dimanche, moi aussi.
Revenons à nos moutons : qui redit Père Noël, sous-entend magie, pensée magique et cadeau du ciel et je me suis dit que ce vieux bougre pourrait bien régler mon petit problème de notoriété, lui qui est connu à travers le monde entier il doit certainement en connaître la recette ou du moins quelques ingrédients pour mettre du piquant dans ma vie littéraire.

Vous croyez comme tout le monde que le Père Noël habite le pôle Nord. Grave erreur, païens que vous êtes ! Mais je vous pardonne. C’est pour berner les enfants et de un, mais c’est surtout à cause du code postal du Père Noël : H0H 0H0. En fait, le Père Noël campe au Mail Champlain à Brossard et son code postal est le J4W 2Z7, c’est moins commercial que H0H 0H0, je vous le concède aisément, comme disait si bien mon concessionnaire (4).

Alors, je ne fais ni une ni deux et je fonce vers le Mail avec mon bolide. Lorsque je me pointe (… de pizza, c’est bizarre, tiens j’ai un petit creux et si on faisait venir de la pizza pour Noël, ça ferait différent et sûrement plus italien en tout cas). Bon, je m’égare aussitôt que j’essaie d’écrire pour les adultes, c’est immanquable, il y a un jaloux quelque part qui met des substances olympiques dans mon café !

Bon, où en étais-je ? Dans mon bolide… Je file vers le Mail Champlain. On est jeudi, et c’est jour de paye (5) et tous les Pères Noël sont contents surtout le vrai, celui qui crèche (encore un jeu de mots ! Je suis vraiment impayable, arrêtez-moi quelqu’un !) au Mail Champlain. En fait, le Mail m’a promis cent beaux dollars canadiens si je mentionnais subtilement son nom au moins dix fois dans ce petit conte du temps des Fêtes. Oh ! my my ! (en v’la deux autres de plus).

Je reprends. J’arrive au Mail. J’ouvre la porte. Je longe le corridor A qui mène au couloir B. Je tourne à gauche. Là, j’abrège, car je sens chez vous un brin d’impatience. Donc paf ! me voici devant la chaise du Père Noël. Elle est vide ! Vide de tout trucage, catastrophe ! Pas de panique, Éric, je sais où se planque le gros : à la cantine des employés du Mail (et de 8). Je ne fais ni une ni deux et j’entre dans le lieu saint.
Il est là. Pour ceux qui l’ont déjà vu, vous savez qu’il est facilement reconnaissable ; c’est le seul qui est habillé tout en rouge comme un compte de banque après Noël. Il dévore un sandwich tout en flirtant élégamment avec la Fée des Étoiles. Il s’arrête parfois pour griffonner des choses sur un papier.

Je l’aborde avec beaucoup de doigté en lui tapotant gentiment l’épaule.

– Pardon, père Noël, est-ce que je peux vous déranger ?

– C’est déjà fait, jeune homme, me dit–il dans un sourire aussi large que sa ceinture … noire, ce qui m’incite à la prudence et à la politesse. Je rougis comme son costume, mais je poursuis :

– Je suis écrivain et…

– Toutes mes condoléances ! HO ! HO ! HO !

Je reste de glace à cette pointe d’ironie.

– J’écris des livres, continues-je et j’aimerais vous demander, pour Noël, un sac de célébrité. Je sais que c’est une demande inusitée, mais j’aimerais bien devenir célèbre. Jusqu’à présent, j’ai tout fait pour être connu, car j’étouffais dans l’anonymat. J’ai vainement tenté de m’en sortir, croyez-moi. mais même mort, je crois qu’on ne parlerait même pas de moi.

– Ho ! Ho ! Ho ! Vous n’êtes pas le premier à me faire cette demande.

– Ah ! non ! balbuchie-je, sur le bout de ma chaise, légèrement déçu.

– Bien sûr que non, d’autres sont passés avant vous : les Godbout, Kokis, Hébert, Brouillet, Gravel, Plante, Laferrière et Tutti Quanti.

– Je ne le connais pas celui-là.

– C’est un jeune écrivain italien, il vient tout juste de débarquer en Amérique. Plus fort que Baricco, vous verrez. Et qu’avez-vous fait, enchaîne-t-il, pour attirer la célébrité ?

– Oh ! un peu de tout et un peu n’importe quoi. J’ai pratiqué le vaudou, sans succès, sur Réginald Martel, puis de fil en aiguille, j’ai fait appel aux boules de cristal en vrai silicone de Jojo Savard, ensuite, j’ai envoyé quelques lettres de menaces à gauche et à droite, à Jean Fugère, Marie-France Bazzo, Christiane Charette, Danielle Laurin, Marie-Claude Arsenault, Maxime-Olivier Moutier, Sophie Durocher (mais pour elle, c’était une lettre d’amour ! ) et même à Francine Grimaldi.

– Ciel !vous étiez vraiment désespéré à ce que je vois.

– En effet, lui dis-je et je poursuis : j’ai rencontré des milliers d’étudiants dans les cégeps et les universités. J’ai parcouru la belle province et tous ses salons du livre, de Sept-Îles à La Sarre. Je suis même membre de l’UNEQ… et Dieu sait que je déteste le crabe.

– Bon, bon, bon, je vois. Laissez-moi compléter la liste de mes cadeaux pour vos amis, dit celui qui ne ressemble pas du tout au Bonhomme Carnaval, et je suis à vous dans une minute.

Et là, par-dessus son assiette et à l’envers s’il vous plaît, ce qui n’est pas donné à tout le monde soit dit en passant, j’ai pu lire sa petite liste d’emplettes :

Pour Tiger Woods : la série Harry… putter
pour Bruny Surin : Alice court avec René de Bruno Hébert
pour Pierre Renaud : Éloge de la fragilité de Pierre Bertrand
pour Pascal Assathiany : Le dernier coyote de Michael Connelly
pour Hervé Foulon : Les clés du pouvoir sont dans la boîte à gants de San Antonio,
pour Jacques Godbout : rien, pour faire encore plaisir à Stanley, ça vous la coupe, hein… Stanley, la coupe… bof !
pour Robert Lévesque même s’il n’en mérite pas : L’encombrant de William Olivier
pour Daniel Pinard : Le pénis illustré ou encore Le bonheur a la queue glissante de Abla Farhoud

De temps en temps, le joyeux barbu lève les yeux au ciel – au plafond, en fait – comme s’il y cherchait quelque inspiration. Puis, comme un bon élève, il poursuit son pensum :

pour Sonia Sarfati : Soie de Baricco
pour Agnès Maltais : Le rapport Larose et c’est bien suffisant
pour Lucien Bouchard : Celui qui attend de Ray Bradbury
pour Pauline Marois : La maladie de Sachs, le livre bien sûr de Martin Winkler
pour Lise Bissonnette : Notre cher stade olympique de Roger Taillibert, chez Stanké, Un chez-moi à mon coût de Éric Brassard et La mystérieuse bibliothécaire de Dominique Demers
pour Dany Laferrière : Vers chez les blancs de Philippe Djian
pour Bertrand Gauthier : Métaphysique des tubes de Amélie Nothomb
pour tous les libraires indépendants : La loi du plus faible de John Grisham, Extrêmes urgences de Cuthbert ou encore Bouillon de poulet pour l’âme des libraires ou mieux encore : Des ventes pour Noël de San Taclausse
pour le Conseil des Arts du Canada, le CALQ, la S0DEC et Patrimoine Canada : Dépensez tout et vivez heureux.

Sa liste étant presque terminée, il se tourne vers moi et dit :

– Vous êtes encore là !

– Oui, comme un seul homme, dis-je mollement.

– Et c’est pourquoi déjà ? redemande celui qui a la mémoire plus courte que sa barbe.

– C’est pour ma célébrité…

– Ah oui. La célébrité, je me souviens maintenant. Et bien mon petit, c’est bien simple et il suffisait d’y penser. La célébrité arrive quand tout le monde parle de vous en bien comme en mal, mais croyez-moi, en bien c’est beaucoup mieux. Donc, pour faire parler de soi, il faut passer dans les médias. Et pour passer dans les médias…

– Il faut être connu.

– Oui, mais il faut être avant tout et surtout être journaliste ou chroniqueur, c’est la clé de tout. C’est le passe-partout. Le sauf-conduit. Le sésame. Le prêt-à-critiquer. Le prêt-à-encenser. Soyez journaliste et on parlera de vous. Soyez journaliste et on vous lira. Vous aurez des extraits de votre œuvre à pleines pages, des entrevues à bouche-que-veux-tu, la une sera tapissée avec votre photo. N’est-ce pas merveilleux ?

– C’est un bon début. Et pour Paris, Pivot et les 100 000 exemplaires vendus en deux semaines, le Goncourt ?

– Eh Ho ! ça va pas la tête? Et un best-seller avec ça ?

***

1. Hého ! c’est une fiction. Je n’ai pas de temps à perdre.
2. Une première petite vacherie pour faire plaisir à Stanley Péan sans déplaire à Jacques Godbout, bien évidemment.
3. Bon, on a des lettres, il faut quand même que cela se sache.
4. Essayer la position du concessionnaire, c’est l’adopter !
5. C’est aussi un jeu qu’on peut se procurer pour $12,95 chez tous les bons libraires.
6. Écoute bien, chose, y en as–tu ben des renvois en bas de page de même, on est dans un journal gratis mais sérieux là.

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