Musique country : Contrée(s)

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Depuis le tournant des années 2000, la musique country connaît un regain d’intérêt de la part du grand public. Hélas, c’est habituellement sous une forme édulcorée que nous est proposée cette dernière, telle une panoplie de cowboy d’un kitsch insupportable, alourdie par la somme des clichés qui lui sont associés, souvent avec raison, et qui nous font perdre de vue le riche et méconnu terroir dans lequel est ancré ce valeureux fleuron de la culture états-unienne.

Heureusement, il existe plusieurs ouvrages très éclairants sur le sujet. Compte tenu de l’espace qui m’est alloué en ces pages, il m’a bien fallu faire un choix. Et, dans le tas, j’ai opté pour trois titres qui m’ont ouvert des perspectives nouvelles sur cette musique, à des milles de ce seul horizon si récurrent avec son coucher de soleil vers lequel s’avance le fameux et indécrottable cowboy solitaire.

Et si on commençait par le commencement, depuis les lointaines origines du genre, avec un livre indispensable, à mes yeux, à tout amateur de musique populaire américaine, un essai remarquable et efficacement intitulé Americana. Histoire des musiques de l’Amérique du Nord, de la préhistoire à l’industrie du disque (éditions Fayard, 2005). Cet ouvrage du musicologue français Gérard Herzaft, dont la riche bibliographie mériterait à elle seule d’être citée au grand complet dans ce dossier, dévoile dans toute sa complexité le terroir musical nord-américain. Au fil des pages, se déploie sous nos yeux une vaste courtepointe bariolée de multiples couleurs et cousue au gré de filiations inattendues et souvent surprenantes. Et, en ce qui concerne la musique country, on en ressort avec une idée beaucoup plus nuancée que celle qui est habituellement vendue. Les composantes hispaniques, hawaïennes, afro-américaines, etc. que contient l’ADN de ce genre associé la plupart du temps à la seule communauté blanche tranchent avec la vision plutôt étroite qu’en ont même ses plus farouches représentants!

À propos de vision étriquée et de musique country, il y a Frantz Duchazeau, ce génial Duchazeau, qui nous a offert un bel album de BD il y a quelques années. Les jumeaux de Conoco Station, que ça s’appelait (éditions Sarbacane, 2009). Caricature éloquente du péquenaud blanc attardé du Sud, ce récit nous narre en noir et blanc la désopilante épopée de deux frères jumeaux évadés de prison. En plus de faire payer celui qui les y a mis, ils ont aussi la ferme intention de reformer leur groupe de country pour montrer au rock and roll de quel bois ils se chauffent. Chaussés de magnifiques bottes de cowboy et guidés par l’esprit de leur idole, le légendaire chanteur Hank Williams, ils aboutiront au Grand Ole Opry, temple de la musique country, à Nashville. Ils y rencontreront une grande déception, qui les conduira à renier leur bien-aimée idole, ainsi que la justice qui s’occupera d’eux en leur montrant la direction de la prison d’Alcatraz.

Et un petit dernier pour la route, mais non le moindre, qui, avalé cul sec, peut vous allumer un feu de tous les diables dans l’imaginaire : Country. Les racines tordues du rock’n’roll de Nick Tosches (Allia, 2000). L’écrivain new-yorkais nous entraîne dans le sulfureux et foisonnant musée des horreurs et des curiosités de la musique country. « J’ai voulu explorer les zones obscures de l’histoire de la country music, pas sa popularité actuelle; écrire un livre pour ceux qui s’intéressent davantage à la question de savoir d’où vient cette musique et ce qu’elle est profondément, plutôt qu’à son développement récent. » Et c’est avec le bagou qu’on lui connaît qu’il mène cette entreprise. Comme dans ces autres ouvrages (toujours chez Allia), cette grande gueule de Nick Tosches, qui semble toujours s’écouter écrire, impressionne avec cette érudition sauvage qui est la sienne et lui permet des acrobaties d’écriture à travers lesquelles les mythes les plus anciens de la culture occidentale viennent se coller aux destinées les plus trash de la musique populaire américaine.

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