Lunettes roses, lunettes noires

4
Publicité
Ces derniers temps, lunettes roses sur le nez, on aime bien affirmer que la culture et ses industries tiennent le coup au Canada et au Québec, en dépit de la suppression des programmes de soutien à la création et à la diffusion des œuvres (au pays comme à l'étranger), en dépit de la crise qui afflige l'ensemble des secteurs de l'activité économique.

Lunettes roses sur le nez, on aime bien répéter cette demi-vérité, encore plus facile à propager quand on se plaît à mélanger les cartes, à brouiller les pistes et à entretenir sciemment une confusion entre le showbiz d’une part et les arts et les lettres de l’autre.

Qu’il soit néanmoins permis de contredire la synecdoque fort répandue, sans se voir taxer d’élitisme. Après tout, si la partie n’est pas le tout, si la pointe n’est pas l’iceberg, le fait de reconnaître et d’exiger qu’une culture nationale ne soit pas réduite et amalgamée à la seule dimension du divertissement populaire ne relève pas du snobisme.

De récentes statistiques émanant de l’Observatoire de la culture et des communications du Québec nous apprenaient que nos librairies indépendantes ont connu une baisse des revenus depuis 2004. Selon ces données rendues publiques le 1er juin dernier, les ventes seraient passées de 157,5 M$ à 144,4 M$, ce qui représente une diminution de 2,1% alors que les ventes de livres chez les librairies franchisées auraient augmenté de 8,5% par année durant la même période.

Loin de moi l’intention de relancer le débat stérile sur les mérites des unes opposés aux lacunes des autres. Je crois cependant qu’on peut affirmer, avec une lucidité contraire à la candeur, que le réseau des librairies indépendantes a davantage contribué au rayonnement de la littérature d’ici que les autres points de vente — ne serait-ce qu’en raison de l’obligation qui leur est faite de maintenir présentes sur les rayons un certain nombre d’œuvres appartenant au fonds du corpus. Parce qu’il leur a été
interdit de céder au réflexe mercantile qui consiste à ne tenir en stock que les produits plus faciles à écouler, les libraires indépendants ont par la force des choses œuvré plus que leurs confrères des chaînes et des grandes surfaces au soutien et à la promotion de notre littérature.

L’ennui, on l’a compris, c’est que les œuvres de nos écrivains ne récolteraient que 16% des ventes totales de livres chez nous. L’ennui, c’est que notre littérature dans son ensemble n’a toujours pas la faveur du
public, dont je ne conteste pas la souveraineté. Voilà qui a de quoi préoccuper ceux et celles qui ont à cœur le sort de la culture d’ici et de ses artisans. De là à attribuer à ce manque d’intérêt du lectorat pour la production littéraire locale les déveines de nos libraires indépendants, il n’y a qu’un pas… que je me refuse cependant à faire. D’abord, parce que je n’aime guère cette équation qui voudrait que du soutien à la littérature québécoise résultent inévitablement des insuccès commerciaux. Le problème est plus complexe qu’il le paraît, alors méfions-nous de la démagogie et des raccourcis de la pensée.

Sans pour autant substituer aux lunettes roses de tantôt des lunettes noires, reconnaissons toutefois que, malgré les progrès de l’édition québécoise lancée depuis quelques années à la conquête de son propre marché, la littérature d’ici demeure le parent pauvre de notre industrie éditoriale. Raison de plus pour que les divers intervenants du milieu se retroussent les manches, se serrent les coudes et redoublent d’efforts dans le soutien et la promotion de notre littérature et de ses indispensables partenaires commerciaux que sont nos libraires
indépendants.

Je m’en voudrais de ne pas le rappeler en terminant: le rapport publié par l’Observatoire de la
culture et des communications du Québec nous informait également que les ventes totales de livres en 2008 avaient connu une diminution de 3% par rapport à l’année précédente, la première diminution en sept ans.

C’est dire que la problématique ne se limite pas au seul essor de la littérature québécoise.

Publicité