Livres comme l’air: les mots qui libèrent

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Pendant qu’au Québec nous produisons des œuvres romanesques qui clament la diversité d’opinions politiques ou sociales, ailleurs dans le monde, certains subissent encore des coups de fouet, l’emprisonnement, le bâillonnement voire la condamnation à mort pour n’avoir esquissé qu’une bribe de ce qu’ici nous défendons avec conviction et appelons liberté d’expression. 

C’est en guise d’appui symbolique et moral aux écrivains de par le monde qui sont emprisonnés, en exil ou soumis au pouvoir d’un État qu’a été créé l’événement Livres comme l’air. Cette initiative portée par Amnistie internationale, l’Union des écrivaines et écrivains québécois et le Centre québécois du P.E.N. international verra, cette année, ses manifestations placées sous l’égide du porte-parole Michel Marc Bouchard. Le concept de Livres comme l’air est le suivant : demander chaque année, depuis 2000, à dix écrivains, d’offrir un livre dédicacé à un écrivain – auteur, journaliste, blogueur – incarcéré afin de braquer les projecteurs sur la nécessité de militer pour une liberté d’expression partout sur la planète, afin de sensibiliser les gens, tout comme les gouvernements d’ici et d’ailleurs, à cette réalité. « C’est une espèce de solidarité d’écrivains, de solidarité humaine qui fait en sorte qu’on n’oublie pas cet écrivain-là, explique Michel Marc Bouchard. Mais certaines batailles sont plus difficiles que d’autres, puisqu’on s’aperçoit qu’il y a des écrivains qui sont condamnés à mort ou encore qui sont dans des régimes extrêmement hermétiques. »

Sur le site de Livres comme l’air, les témoignages font frissonner : « Le simple fait de savoir que le monde “extérieur” ne m’avait pas oublié et continuait à œuvrer pour ma libération a été une immense source d’encouragement durant ces jours sombres. Je vous dois ma liberté et je ne l’oublierai jamais », confie Thich Quang Do, moine, romancier et traducteur vietnamien, jumelé à Yann Martel en 2001; « Votre projet Livres comme l’air est très beau et va droit au cœur », témoigne Sihem Ben Sedrine, une éditrice tunisienne, jumelée à Antonine Maillet en 2000, « Je suis consciente qu’en m’honorant, vous avez rendu hommage au combat de tous les Tunisiens qui se battent dans cette grande prison aux barreaux invisibles », poursuit-elle. 

Livres comme l’air rappelle que le combat n’est pas gagné. Ils sont plusieurs, et ces deux témoignages ne sont qu’un mince aperçu de tous ceux dont on veut taire la voix ou les opinions. Certains sont emprisonnés pour avoir écrit des romans, d’autres pour avoir créé des blogues ou des sites Internet. Certains n’ont fait que des recherches sur les droits de l’homme, d’autres ont dénoncé des assassinats perpétrés par les autorités. Ils ont 25, 36, 59 ans, ils ont des enfants, des parents, des amis, ils viennent de l’Arabie Saoudite, de Chine, d’Iran… Les cas sont nombreux, trop pour que nous fermions les yeux.

Michel Marc Bouchard, pour sa part, dédicacera sa pièce Christine, la reine-garçon au Syrien Jihad Asad Mohamed. « Dans mon cas, ce qui est un peu tragique, c’est que Mohamed serait détenu depuis octobre 2013, mais que nous n’avons aucune idée d’où il est. Et comme on le sait, présentement, la situation en Syrie est un tel chaos que nous n’avons aucune nouvelle de lui. Je fais donc une dédicace à quelqu’un dont je ne sais même plus s’il est vivant… » Et quel effet cela lui fait-il? « C’est un réflexe extrêmement nord-américain, c’est très égoïste, mais ça me met dans une position où je considère l’ensemble de mes libertés. Dans ma dédicace, je lui dis que, moi, ma famille sait où je suis et je m’aperçois que même cela peut devenir une forme de liberté. C’est étonnant comment c’est à travers les autres, à travers un cas semblable, que l’on découvre l’ensemble des privilèges qu’on a ici. Moi, je peux provoquer, j’ai même le droit à l’insouciance! Alors que dans ces pays-là, personne n’a droit à l’insouciance… »

Ce jumelage n’est pas sans rappeler au dramaturge québécois l’aventure qu’il avait vécue il y a quelques années, alors qu’il s’était impliqué personnellement dans le cas du réalisateur canadien John Greyson, emprisonné en Égypte à la suite des émeutes au Caire, puis accusé de terrorisme. Cet ami, avec qui Michel Marc Bouchard avait notamment travaillé pour la réalisation du film, en anglais, tiré de sa pièce Les Feluettes, a finalement été libéré. Dans ce cas précis, il y eut mobilisation d’énormément de gens au Canada, du premier ministre lui-même à la mairie de Toronto. « Je voulais libérer un ami. Et c’est drôle puisque, même si je ne connais pas Mohamed, je me sens dans la même forme d’implication… », explique celui, qui, sagement, conclut en disant que « c’est par le dialogue qu’on fait la paix, et non pas par les armes ».

 

Lecture publique des dédicaces

Le 15 novembre est la Journée internationale des écrivains emprisonnés. Durant le Salon du livre de Montréal, une lecture publique des dédicaces aura lieu, afin de sensibiliser la population à l’importance de la liberté d’expression. C’est un rendez-vous à ne pas manquer, le 21 novembre, à 19 h 30, à la Place Confort TD de la Place Bonaventure. Outre Michel Marc Bouchard, neuf écrivains sont jumelés : Nora Atalla, Oana Avasilichioaei, Jean Bédard, Richard Dallaire, Pauline Gélinas, Bertrand Gauthier, Linda Leith, Larry Tremblay et Ouanessa Younsi.

 

Crédits photo: Julie Perreault

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