Les Éditions du Noroît: 35 ans dans l’amitié du poème

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Créées en 1971 par René Bonenfant et Célyne Fortin, les Éditions du Noroît ont encore le vent dans les voiles et poursuivent dans le même esprit leur travail de diffusion de la parole poétique. À la barre du navire depuis 1991 (d'abord aux côtés d'Hélène Dorion et de Claude Prudhomme, et désormais en solo depuis l'an 2000), le poète Paul Bélanger réaffirme à chaque saison littéraire sa vision de la poésie comme acte de résistance «contre le prêt-à-penser, contre le bruit d'une société de distractions soucieuse d'uniformiser et de quantifier, plutôt que de singulariser et de qualifier.» Rencontre avec un passionné.

Depuis sa fondation, le Noroît s’est essentiellement consacré à l’édition de poésie, d’essais littéraires et de livres d’artiste, selon le vœu de René Bonenfant et Célyne Fortin, pour qui poésie et art visuel avaient partie liée. Après avoir présidé durant vingt ans au destin de la maison, le couple cède la direction au trio que formaient les poètes Paul Bélanger et Hélène Dorion avec leur ami Claude Prudhomme. «René et Célyne avaient appelé Hélène, qui m’a proposé de me joindre à Claude et à elle, se souvient Paul Bélanger. J’ai réfléchi un peu. Je n’avais jamais eu comme projet de devenir éditeur. Je me voyais comme poète et comme écrivain, même s’il m’était arrivé d’être lecteur pour le Noroît. Mais c’était la maison que j’avais choisie pour publier, comme Hélène. Claude a été administrateur pendant sept ou huit ans. La passation des pouvoirs s’est faite sans heurts; René et Célyne nous ont vraiment facilité les choses. Le train allait déjà pas mal vite. Mais je ne regrette rien. C’est une aventure formidable.»

Assis à son bureau, rue d’Iberville à Montréal, au milieu des manuscrits et des caisses de livres, Paul Bélanger ne cache pas son enthousiasme pour cette aventure qui a généré au-delà de cinq cents ouvrages signés par des poètes issus de plusieurs générations, du vétéran Jacques Brault à une étoile montante comme Patrick Lafontaine. À cet impressionnant fonds, réparti dans huit collections, viennent s’ajouter annuellement une vingtaine de nouvelles parutions. La réalisation de ceci suppose une somme considérable de travail pour un homme seul, même s’il peut compter sur une petite équipe de collaborateurs et de collaboratrices fidèles. L’éditeur-poète ne regrette-t-il pas l’époque de la direction à trois, avec Dorion et Prudhomme? «On avait une réelle collégialité et la répartition des taches faisait l’affaire des trois. Moi, j’étais beaucoup moins pris par la gestion quotidienne de la maison, puisque j’habitais Montréal et que le Noroît avait alors son siège social à Saint-Hippolyte. Ça fait maintenant six ans que je suis seul à la barre. Une chose est sûre, c’est que les réunions du C.A. sont plus courtes ! (rires) Mais je me suis constitué un comité de lecture, je me suis entouré de poètes de la maison sur qui je peux compter pour lire. Avec elles et eux, je procède par rencontre en tête à tête pour recueillir leur avis sur les manuscrits qui m’apparaissent incontournables.»

Un héritage de rigueur
En édition comme ailleurs, les équipes et les approches se suivent sans pour autant se ressembler. Au Noroît cependant, les successeurs des fondateurs ont eu pour principe de respecter l’esprit de la maison, marquée au double sceau de la rigueur et du respect de la singularité des voix poétiques. «Hélène et moi avions décidé de poursuivre dans cette voie de la rigueur et aussi avec la volonté de faire du Noroît un lieu d’accueil pour les poètes, un carrefour, renchérit Bélanger. Notre approche a différé un peu par notre choix de marquer certaines avenues par des collections, qu’on a tenues depuis 1991, ce dont je suis très content. Dans la collection «Initiale», consacrée à des premières œuvres, on compte une bonne quarantaine d’auteurs qui poursuivent leur travail dans d’autres collections chez nous. C’est vraiment la collection de l’accueil pour les nouveaux poètes, et comme elle est désormais passablement connue, les lecteurs de poésie vont peut-être porter plus d’attention à un poète qui y publie son premier ouvrage.»

Au fil des ans, avec la prolifération exponentielle de maisons grandes et petites, parfois éphémères, les poètes ont vu le nombre de débouchés possibles pour leurs œuvres augmenter. Comment expliquer la fidélité des auteurs au Noroît? «Pour moi, comme c’était le cas pour mes prédécesseurs, il faut que le travail se fasse dans ce que j’appellerais l’amitié du poème, en plus de l’exigence de rigueur, dit Paul Bélanger. Comme il n’y a pas d’enjeux commerciaux en poésie, les attentes de part et d’autre se situent sur le plan de ce lien de confiance, de ce dialogue entre éditeur et poète. Et cette confiance continue d’être précieuse et extraordinaire, parce que les poètes ont toujours eu cette même sympathie pour la maison, depuis les débuts du Noroît.»

Pour la suite du monde
Que la poésie fasse, en partie, l’économie des enjeux commerciaux à proprement parler ne dispense pas la maison de déployer les efforts nécessaires pour qu’elle trouve sa place en librairie et dans les médias. À ce chapitre, le Noroît s’est fait un animateur culturel exemplaire en maintenant sa présence dans les Salons du livre, en multipliant les activités en librairie et les soirées de lecture publique : «Il n’y a pas d’enjeu commercial, mais un enjeu d’attention, d’abord à la personne qui nous confie son texte, ensuite au livre que deviendra ce manuscrit», explique l’éditeur.

À l’instar de tous les éditeurs, le Noroît se sent le devoir de se donner les outils pour faciliter l’autre dialogue nécessaire, celui qui s’établit entre le poète et le lectorat dans un monde qui ne réserve pas toujours le temps et l’espace qu’il faut à la poésie, pense Paul Bélanger: «D’où l’inauguration de la collection « Lieu dit »; mon idée était d’ouvrir le lectorat du Noroît sans trahir l’esprit de la maison avec ces textes qui proposent la rencontre d’un écrivain et d’un lieu, d’un texte et de photographies. C’est un pari dont je ne connaîtrai le résultat que dans cinq ans, le pari d’attirer chez nous des écrivains qui ne sont pas poètes. Dans l’édition littéraire indépendante, mes collègues et moi sommes amenés à nous questionner sur les subventions, dont la palette ne cesse de diminuer. Évidemment, on est heureux de recevoir cette aide gouvernementale, mais nous devons trouver des moyens pour susciter des revenus supplémentaires tout en restant fidèles à nos vocations.»

ÉDITIONS DU NOROÎT
4609, rue d’Iberville, espace 202
Montréal (Québec) H2H 2L9
Tél. : (514) 727-0005
[email protected]
www.lenoroit.com

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