Les éditeurs se prononcent: Les prix valent-ils leur pesant d’or?

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En Europe, les maisons d’édition misent sur les prix littéraires pour faire rayonner leur production, augmenter leur prestige et stimuler leurs ventes. Mais une enquête auprès des éditeurs québécois montre que l’impact des prix est sans doute moins significatif ici, même si ceux-ci constituent un pan incontour­nable de l’activité littéraire, et que chacun joue le jeu et participe à sa façon à la course aux trophées. Et si, clairement, le prix fait partie intégrante de la stratégie de mise en marché des livres, il semble ne pas constituer un outil majeur pour les ventes, ou alors, plutôt exceptionnellement.

Sur la question de l’approche des éditeurs par rapport aux prix littéraires, on pourrait en fait parler d’une sorte de paradoxe, puisqu’un peu partout on admet que l’impact des prix ne se fait que marginalement sentir sur les ventes, mais dans le même souffle, on nous indique partout ou presque que ceux-ci sont devenus incontournables et mobilisent une bonne somme d’énergie.

Aux Éditions Hurtubise HMH, Arnaud Foulon, président-directeur général, confirme que le travail de soumission des ouvrages aux prix littéraires s’inscrit clairement dans la planification de la saison. Pour lui, le fait qu’un ouvrage soit primé est un gage de qualité auprès des lecteurs. La sélection de romans que la maison présente aux prix tels que ceux du Gouverneur général s’effectue en amont, donc au moment de décider de la publication d’un ouvrage, de le placer dans telle collection plutôt que dans telle autre. M. Foulon précise que, contrairement à d’autres, seuls les prix spécifiquement littéraires intéressent sa maison. Tous les livres publiés en littérature sont donc systématiquement soumis aux GG car, fait-il remarquer, comment peut-on demander à un éditeur de refuser à certains de ses auteurs le droit de concourir?

Cette stratégie qui consiste à soumettre une grande partie des ouvrages, sinon la totalité, aux divers prix, semble courante dans l’édition au Québec, peut-être à cause du désir des auteurs de concourir et de courir la chance de se voir récompensés. Cette tendance se confirme chez Dominique et compagnie, qui publie entre autres des livres jeunesse. Responsable de la promotion et du marketing, Stéphane
Villeneuve remarque que l’on soumet également de façon assez systématique les ouvrages, tout en essayant de bien cibler pour maximiser les chances. On s’attarde tout particulièrement aux prix spécialisés, comme ceux dédiés à la littérature policière ou jeunesse.

Chez un autre des grands éditeurs d’ici, Québec Amérique, le «plan de match» habituel est aussi de proposer le maximum d’ouvrages à un maximum de prix. Luc Roberge, directeur général, voit pour sa part beaucoup de positif dans l’existence des prix littéraires, mais il reconnaît que ceux-ci mobilisent des forces vives: «En tous les cas, la gestion de la mise en candidature des ouvrages mobilise beaucoup d’énergie chez nous, entre la sélection des prix par rapport aux collections et aux ouvrages, les envois, le suivi, etc.»

Idem aux Éditions du Boréal, où le président-directeur général, Pascal Assathiany, souligne que les prix, multiples, exigent dépenses et travail de la part des éditeurs: «On ne peut pas tout envoyer partout; si on répondait à toutes les demandes, on enverrait 4 ou 500 exemplaires [de chacun des livres soumis].» Cet exercice exige du temps et engendre des coûts. D’où l’importance, précise M. Assathiany, de bien cibler les candidatures: «On ne sélectionne pas les ouvrages à soumettre aux prix mais, par contre, on cible bien le type de prix selon l’ouvrage, que ce soit de la fiction ou de la philosophie… Il y en a tellement!»

Chez Dominique et compagnie, Stéphane Villeneuve confirme qu’associer le bon ouvrage au bon prix est un exercice essentiel. Fondamental, même. Sachant que pour les auteurs, les prix constituent une reconnaissance non négligeable de leur travail, Québec Amérique se fait tout autant un devoir de bien diriger ses ouvrages vers les bons prix, aidé, dit Luc Roberge, par les critères de sélection de ces derniers.

Le coût de cette course perpétuelle et de ce savant ciblage, le PDG du Boréal ne le chiffre pas, non plus que ses homologues des autres maisons consultées. Toutefois, Pascal Assathiany estime qu’il est parfois plutôt élevé en regard du résultat qu’apportent les prix, à savoir de faire parler des œuvres, «car c’est cela le but, n’est-ce pas?».

Une question de prestige plutôt que de gros sous
Les auteurs, reflet d’un système, exercent souvent sans s’en rendre compte une pression sur leurs éditeurs afin que leurs livres soient mis en lice pour la myriade de prix existants. Cette pression se traduit, on l’a vu, par une masse de travail, mais les éditeurs retirent aussi clairement certains dividendes des prix gagnés par leurs «poulains». Tout en se refusant à dénoncer la multiplication des honneurs attribués aux belles-lettres, Luc Roberge de QA se rapproche d’une certaine critique du
système actuel quand il déclare que tant de récompenses, dans tous les genres littéraires (roman, BD, essai, biographie, etc.) et de plus en plus pointues se traduisent forcément par une dilution de l’impact de chacune d’entre elles. «La multiplication des prix fait en sorte que ceux-ci entrent en compétition les uns avec les autres», croit-il.

Si, selon Luc Roberge, l’impact d’un prix sur les ventes d’un ouvrage est difficilement quantifiable, les trophées ont tout de même deux rôles: couronner la qualité du travail d’un auteur et constituer un argument de relance auprès des médias pour ranimer la carrière d’un ouvrage publié depuis quelque temps. Sur le plan pécuniaire, outre les bourses qui accompagnent certains honneurs et qui peuvent permettre à un écrivain de continuer à écrire sans contrainte, on observe à l’occasion un certain pourcentage d’augmentation des ventes, explique Luc Roberge. Cela a été le cas, par exemple, de Jean-François Beauchemin qui, en remportant le Prix des libraires du Québec en 2007 avec La fabrication de l’aube, a vu ses ventes gonfler substantiellement.

D’ailleurs, de l’avis général des éditeurs et libraires sondés, ce prix compte parmi les plus «rentables». Encore chez Boréal, Pascal Assathiany cite, en plus du Prix des libraires du Québec, celui des collégiens et de la Ville de Montréal comme des trophées faisant une différence dans les chiffres de ventes, contrairement à beaucoup de récompenses qui, selon lui, n’ont pas su acquérir, au fil des ans, une cohérence — et donc une véritable crédibilité auprès des lecteurs. «Par exemple, le Prix littéraire du Gouverneur général a très peu d’impact, explique Assathiany; il semble ne pas avoir trouvé ses marques.» Selon lui, la cohérence recherchée dans un prix va sans doute de pair avec une certaine stabilité du jury. «Dans le cas du GG, poursuit-il, [il s’agit d’]un tout petit jury composé de trois personnes, qui changent chaque année et qui doivent se prononcer sur un très gros volume de textes, très rapidement.» Par contre, toujours selon Pascal Assathiany, le Prix littéraire des collégiens se démarque par le large spectre des lecteurs qu’il touche, confirmant ainsi une opinion assez générale.

Du reste, le responsable du Boréal souligne, comme certains de ses confrères, que le Québec ne compte pas de grand prix majeur qui surpasse tous les autres en termes de prestige comme le Goncourt en France, le Giller au Canada anglais ou le Pulitzer aux États-Unis, autant de rendez-vous
incontournables qui permettent à l’auteur comme à son éditeur d’obtenir une considération certaine.

Chez Libre Expression, les échos sont sensiblement les mêmes. La relationniste en chef, Natalie Dion, explique que sa maison se spécialise dans la littérature grand public, entre autres le roman policier. Elle privilégie les prix donnés par le lectorat qui ont, pense-t-elle, plus d’impact sur la promotion du livre, contrairement (encore une fois!) à des prix plus «pointus» comme ceux du Gouverneur général. Elle cite un prix de littérature policière tel que le Crime’s Writers Association of Canada, mais aussi le Gourmand World Cuisine Award et le Cuisine Canada (avec l’Université de Guelph), qui récompensent des livres de cuisine. «Nous misons beaucoup sur celui remis par l’Association québécoise des enseignants de français», ajoute Natalie Dion,indiquant que ce prix est fort d’une solide crédibilité, puisque le lauréat est choisi par les professeurs de français, qui vont donc en recommander la lecture à leurs élèves.

Une confirmation plus qu’une consécration
Pour elle, un prix représente avant tout un outil de relance destiné à paver la voie au prochain ouvrage d’un auteur en conférant à ce dernier une crédibilité accrue qui servira, à terme, à le rendre plus attrayant auprès des libraires, qui le positionneront ainsi de façon plus évidente sur le plancher. Elle cite le cas de Mario Bolduc, qui a remporté le prestigieux Arthur-Ellis pour son polar intitulé Tziganes. «Cela lui a permis de mieux publiciser son livre suivant, une biographie de Nanette Workman, car souvent les auteurs de bio­graphies sont peu ou mal connus. Il y a fort à parier, renchérit-elle, que ce prix fera en sorte que son prochain polar sera bien placé en librairie.»

Chez Hurtubise HMH, Arnaud Foulon ajoute qu’un prix, avant toute chose, confirme les efforts de l’écrivain et de l’éditeur, qui ont travaillé en synergie. «Certaines années, dit-il, apportent de meilleures moissons que d’autres.» Pour sa maison, les plus importants des prix sont les GG, le Anne-Hébert, le France-Québec et celui Salon du livre de Montréal, mais il précise que les prix décernés par les autres salons, donnant en exemple l’Abitibi-Consolidated (rebaptisé Abitibi-Bowater en 2008) remis pendant le Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, sont également «très intéressants».

Pour les Éditions Dominique et compagnie, Stéphane Villeneuve précise que, bien que les prix constituent une forme de promotion particulièrement intéressante en ce qu’elle est extérieure à la maison d’édition, l’impact sur les ventes est assez minime. Deux grands prix comptent avant tout pour son équipe: le prix TD de littérature cana­dienne pour l’enfance et la jeunesse ainsi que les GG dans le même genre, parce qu’ils représentent un gage de qualité.

Finalement, Pascal Assathiany est, pour sa part, assez tranchant: «Ce ne sont pas les prix qui font les auteurs, mais les auteurs qui font les prix.» L’éditeur voit en ces récompenses une confirmation pour un écrivain prometteur ou déjà implanté dans le paysage littéraire: «Parfois, [les prix] permettent de belles découvertes, comme dans le cas de Nadine Bismuth, qui était une auteure relativement inconnue avant qu[’elle ne gagne] le Prix des libraires du Québec.»

En somme, les distinctions littéraires, qu’elles soient d’envergure nationale, provinciale ou régionale, viennent surtout confirmer ce que l’éditeur, et le lecteur, avait pressenti chez un auteur: le talent.

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