Le Canada : en voie de sous-développement culturel?

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Il n'y a pas tout à fait un an que les troupes conservatrices de Stephen Harper ont accédé au pouvoir, portées notamment par la vague de dégoût des Canadiens pour les pratiques de gouvernance douteuses du Parti libéral. Comme toute formation politique en campagne électorale, le Parti conservateur promettait beaucoup; mais les citoyennes et citoyens savent désormais que c'est la norme en la matière : une fois en poste, les politiciens ont une fâcheuse tendance à invoquer le gâchis laissé par le gouvernement sortant comme excuse pour ne pas respecter leurs engagements.

Dans les domaines qui nous intéressent plus particulièrement, celui de la culture, notamment, on continue de déplorer que l’actuelle ministre du Patrimoine canadien, Mme Beverly Oda, ait louvoyé avant de confirmer que le gouvernement Harper n’avait pas intention de doubler le budget insuffisant alloué au Conseil des arts du Canada, comme l’avaient annoncé les Libéraux de Paul Martin avant d’être chassés du pouvoir. Réclamée par l’ensemble des milieux culturels de ce plusse-meilleur-pays-au-monde, cette hausse aurait permis à la vénérable institution, bientôt cinquantenaire, d’avoir les moyens de ses ambitions en bénéficiant d’un budget équivalant à 10$ par citoyen canadien. Le Conseil des Arts du Canada se rapprocherait ainsi de la moyenne des institutions semblables dans le Commonwealth. (Rappelons que l’Irlande et l’Angleterre dominent ce palmarès, avec des Conseils des arts dotés de budgets d’opération représentant environ 20$ et plus par personne.)

Ce financement accru aurait non seulement permis à la crème des créateurs et créatrices de s’investir dans leur travail corps et âme avec un peu moins de tracas financiers, mais aussi de faciliter le rayonnement de leurs œuvres sur le territoire et à l’étranger. Au lieu de cela, le Conseil des Arts du Canada a eu droit à une augmentation substantielle de son budget, certes, mais sensiblement inférieure aux engagements de Mme Liza Frulla. Son successeur, la ministre Oda, avait pourtant appuyé ces engagements en chambre au temps où elle était encore porte-parole de l’opposition en matière de culture.

Comme si ce n’était pas suffisamment décevant, voilà que le gouvernement Harper, si prompt aux déclarations publiques sur la nécessité de la protection de la diversité culturelle, a annoncé récemment d’importantes compressions budgétaires dans les programmes d’alphabétisation, sans égard aux impacts désastreux de cette décision. Quelle ironie quand on sait que ce sont les troupes conservatrices de Brian Mulroney qui avaient mis sur pied un programme national d’alphabétisation en 1987, en prévision de la tenue, en 1990, de l’Année internationale de l’alphabétisation! Voilà qu’en moins d’un quart de siècle, un nouveau gouvernement conservateur donne à croire que l’alphabétisation ne fait plus partie des priorités de la société canadienne.

L’annonce gouvernementale est d’autant plus choquante que le travail réalisé par les différents organismes canadiens œuvrant dans ce domaine a donné des résultats probants, en particulier au Québec. Selon les résultats de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes, rendus publics cette année, le nombre de Québécois de 16 à 65 ans souffrant de difficultés de lecture est passé de un million à 800 000 en dix ans. Le niveau de compétence des plus jeunes (16-25 ans) est globalement en progression, même si près de 350 000 d’entre eux (36 %) n’ont pas le niveau de compétence « souhaité ». Il y a encore du pain sur la planche, et on voit mal comment les compressions budgétaires annoncées contribueront à la solution d’un problème criant pour une société prétendument moderne comme celle du Canada.

Ajoutons à cela la volonté de réformer la législation canadienne sur le droit d’auteur pour y inclure une clause d’« exception pédagogique », qui permettrait aux intervenants du milieu scolaire de reproduire des ouvrages protégés par un copyright sans obligation de verser des redevances aux ayants droit, reléguant du coup écrivaines et écrivains au domaine public de leur vivant… et on obtient le portrait d’un gouvernement culturellement irresponsable, dont les politiques en la matière semblent viser le sous-développement culturel de cette grande nation dont on nous répète, pourtant, qu’elle est un modèle pour le reste du monde.

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