Les hasards existent-ils?

L’histoire débute plus tôt qu’on ne l’aurait cru. Elle commence en fait alors que Sébastien Gnaedig, bédéiste mais également éditeur pour Futuropolis, lit Profession du père de Sorj Chalandon. « J’étais sidéré par ce roman », nous dit-il en entrevue lors de son passage à Québec. Puis il nous raconte. Depuis longtemps, Gnaedig avait en tête de faire passer un roman au niveau du 9e art. Et depuis longtemps, il avait lu tous les romans de Chalandon. Mais c’est avec Profession du père qu’il a décidé de prendre les crayons, de voir si une adaptation serait viable. Il travaille alors, en dilettante et presque dans le secret, sur ce projet.

Mais voilà qu’un jour, pas très longtemps après qu’il eut commencé à adapter le roman, l’éditeur de Chalandon, Grasset, communique avec Futuropolis afin de leur signifier le souhait de Sorj Chalandon de voir se concrétiser une adaptation de son roman autobiographique chez eux. Bang! La coïncidence ne pouvait être plus épatante. Comme le projet a été présenté en réunion, Sébastien Gnaedig n’a eu d’autre choix que d’avouer à ses collègues qu’il avait déjà commencé à y travailler. Oui, tout semble organisé avec le gars des vues.

Lorsqu’il présentera à Chalandon un dossier comprenant des dessins de personnages et le montage jusqu’à la moitié du roman, il n’aura qu’à attendre au lendemain pour recevoir le « go » d’un Chalandon conquis. Lors de leur première rencontre en personne, Sorj lira devant le bédéiste les 100 pages apportées (on imagine la tension dans l’air!) puis se mettra à chercher dans son téléphone. Au bout de quelques minutes, il montrera, ému, une photo de son père au bédéiste. L’auteur était conquis – on doit le répéter – par le portrait qui en avait été fait.

Si Gnaedig soutient que toutes les œuvres littéraires n’ont pas un potentiel d’adaptation en bande dessinée, c’est parce que toutes n’ont pas de potentiel visuel, d’images qui ressortent. « Par exemple, explique-t-il, les œuvres dont l’écriture est précieuse, compliquée, ne sont pas toujours évidentes à adapter, mais ça dépend toujours de celui qui s’y penche. Ce dernier peut trouver une solution graphique. » Pour Profession du père, il a immédiatement eu envie de se confronter au texte, de confirmer si ses envies formelles pouvaient s’y prêter : par exemple remettre dans l’ordre chronologique des événements, avoir des phylactères dont le texte est issu des discours direct et indirect écrits textuellement dans le livre, et faire en sorte que, visuellement, on soit toujours avec le gamin. « Je voulais utiliser les armes de la BD, soit la narration en images et le rythme du texte. Dans ce cas, il faut alors être synthétique », justifie celui qui s’est lui-même placé devant beaucoup de défis à relever.  

Du côté du dessin, les traits simples et humoristiques de Gnaedig convenaient parfaitement pour l’histoire – celle du délire d’un père qui fait souffrir, physiquement et psychologiquement, son fils. « Chaque roman a un style graphique qui lui convient », soutient l’éditeur qui s’est rendu dans le Vieux-Lyon afin de donner du réalisme à son œuvre, qui se déroule dans les années 60. « Je voulais que l’évocation des décors soit vraie pour les Lyonnais, et même si c’est traité avec un aspect un peu théâtral, ça devait être réaliste. »

Et qu’en est-il du résultat après deux ans de création à « un rythme stratosphérique »? Sorj Chalandon en est tellement heureux qu’il fait la tournée de promotion avec Sébastien Gnaedig afin de présenter cette BD, dans laquelle il reconnaît son enfance. Quand le hasard fait bien les choses…

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