La culture, les taxes et la mort

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J'ai en tête cette scène de polar, dont je ne saurais vous dire de quel bouquin elle est tirée. Son arme braquée sur sa victime, un tueur à gages rappelle l'adage selon lequel «dans la vie, il n'y a que deux trucs auxquels on ne peut pas échapper: la mort et les taxes». Puis, en appuyant sur la gâchette, il renchérit: «Prépare-toi à n'avoir plus qu'à te soucier des taxes!»

Pendant la récente campagne électorale, Jean Charest a sorti de son chapeau de magicien l’idée d’abolir la taxe de vente québécoise sur les produits culturels d’ici. Mea maxima culpa: interrogé par la presse, j’avais réagi à brûle-pourpoint en qualifiant la mesure d’improvisation électoraliste et ajouté qu’il vaudrait mieux, selon le souhait de certains membres de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), réappliquer la TVQ sur le livre et réinvestir dans l’industrie éditoriale les revenus de cette taxe. À défaut de tourner ma la langue sept fois avant de parler, je me la suis mordue après, en songeant qu’aucun citoyen au budget familial déjà grevé par l’impôt n’applaudirait le retour d’une taxe de plus.

On s’est depuis beaucoup interrogé sur les moda­lités d’application de la mesure, qui exige que l’on puisse clairement distinguer le produit culturel québécois des autres. Chez les disquaires, quel sort réserverait-on par exemple aux disques d’une Céline Dion made in USA? Aux guichets de ces salles de cinéma détenues par les majors hollywoodiennes, comment verra-t-on l’obligation de taxer le plus récent opus de Spielberg, mais d’exempter le Falardeau nouveau? En librairie, cela impliquerait-il que l’on réintroduise la taxe de vente sur les livres étrangers? Est-ce qu’un roman de Jacques Godbout publié par les Éditions du Seuil est un produit québécois? Un recueil de poésie du Mexicain Eduardo Lizalde traduit et publié aux Écrits des Forges, maison d’édition basée à Trois-Rivières, serait-il exempté de cette taxe?

Sur le plan «pratico-pratique», il sera à peu près impossible de gérer efficacement cette exemption et ces inévitables exceptions qui en confirmeront la règle. Mais poussons plus loin la réflexion sur la pertinence de la mesure. «Il est important de soutenir la culture en période économique plus difficile, a martelé M. Charest, dans un de ces élans lyriques dont il a le secret. Dans un budget familial, lorsqu’on doit resserrer les dépenses en raison d’une incertitude économique, les produits culturels peuvent malheureusement apparaître comme un luxe. Au Québec, la culture n’est jamais un luxe. Elle est identitaire, elle est nécessaire.»

Même si on appuie cette volonté fort louable d’inciter à la «consommation» de produits culturels, de lutter contre cette idée reçue qui fait de la culture un luxe réservé à l’élite et enfin de soutenir nos arts et nos lettres, il y a quelque chose de vaguement tordu dans le moyen proposé pour arriver à ces fins. D’abord, cette disposition laisse entendre qu’il en va de la culture comme des produits de consommation courante. Or, nous savons qu’il n’en est rien, qu’on ne vend pas des disques ou des pièces de théâtre comme des souliers ou des autos usagées. Croit-on sincèrement, au gouvernement, qu’en situation de choix, un consommateur privilégiera un roman québécois au détriment du Goncourt sous prétexte que le premier n’est pas soumis à la taxe?

Plus encore, ce chauvinisme, que l’on cherche à encourager par le biais de dispositions fiscales et qui voudrait que le Québécois opte systématiquement pour le «produit culturel local» au détriment de grandes œuvres venues de l’étranger, est-il même souhaitable sur le plan idéologique? Est-il seulement réaliste dans un Québec qui hésite à conférer à sa littérature nationale un statut particulier pourtant légitime dans tout cheminement scolaire?

Le tueur à gages du polar du titre duquel je ne me souviens pas n’avait que partiellement raison: au nombre des trucs auxquels on ne peut échapper, il faut ajouter la culture. La question est de déterminer comment on doit faire pour lui conférer un statut aussi essentiel que celui des deux autres, sans en signer l’arrêt de mort.

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