Du chemin parcouru à celui qu’il reste à faire

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Dans les derniers mois, nous avons vu paraître en librairie plusieurs ouvrages qui parlent d’homosexualité et d’identité sexuelle ou de genre. Il est vrai que, de l’attentat d’Orlando à la légifération sur l’union de partenaires de même sexe, de la résurgence du sida chez les jeunes aux traitements réservés aux gais en Russie, en passant par la « guerre des toilettes » aux États-Unis, la question LGBTQ+ est toujours présente dans l’actualité. À la veille de la Journée mondiale contre l’homophobie du 17 mai prochain, il semble pertinent de présenter quelques ouvrages parmi les publications récentes qui abordent cette thématique. Chacun des ouvrages présentés ici, d’auteurs d’expériences ou de nouvelles plumes, faisant dans la fiction ou dans le récit autofictionnel, sont, avant tout, des plaidoyers pour la tolérance.

D’entrée de jeu, N’essuie jamais de larmes sans gants plonge le lecteur au tout début des années 80, au plus fort de l’épidémie de sida qui décime la communauté gaie à la vitesse grand V, sème la panique dans la population générale et divise la communauté médicale. Marqué par une écriture remarquable, ce roman met en scène une galerie de personnages réalistes et touchants, dont Rasmus et Benjamin. Ces deux jeunes hommes que tout sépare tomberont amoureux et devront d’abord se battre pour faire accepter leur relation à leurs familles avant de devoir mener une ultime bataille contre la maladie. Fait d’allers-retours entre la vie des protagonistes et l’impact médical et sociologique de la maladie (représentation médiatique, récupération politique, évolution des symptômes, traitements, etc.), ce roman de Jonas Gardell est un véritable monument de littérature et d’humanité.

Tout comme Gardell, l’auteur français Philippe Besson est ouvertement gai. Au fil de ses romans, il a souvent parlé d’amours contrariés et, aussi, d’hommes qui préfèrent les hommes. Avec Arrête avec tes mensonges, il se penche sur un épisode marquant de sa jeunesse dans lequel il voit la genèse d’une bonne partie de sa bibliographie. Alors qu’il donne une entrevue dans le hall d’un hôtel, il croit reconnaître en un jeune passant son premier amour, un camarade de classe, fils de fermier assumant mal son orientation sexuelle, avec qui il a découvert sa sexualité alors qu’il avait 14 ans. Cette rencontre fera ressurgir chez l’auteur tous les sentiments et les déchirures reliés à cette relation passionnée qui s’est terminée abruptement et dont il a gardé le secret toutes ces années. Des décennies plus tard, Besson brise le silence et nous donne ce roman autofictionnel empreint de sensualité et d’une beauté douloureuse, à la fois hommage à un être aimé emmuré dans ses propres mensonges et vibrant appel à l’acceptation de soi. 

C’est aussi vers l’autofiction que se sont tournés Simon Boulerice et Nicholas Giguère avec, respectivement, Géolocaliser l’amour et Queues, qui apparaissent comme les deux côtés d’une même médaille. Se situant quelque part entre le récit littéraire et la suite poétique, les deux ouvrages baladent le lecteur au gré des rencontres éphémères décomplexées, mais souvent décevantes, d’un protagoniste gai. Par contre, là où le personnage de Boulerice cherche l’amour et aspire à une relation à long terme, l’alter ego de Giguère s’érige contre l’hétéronormativité qui force les homosexuels à s’établir en couple pour devenir acceptables aux yeux de la société. Possédant tous deux une verve remarquable et un talent certain, les deux jeunes auteurs usent d’un lexique diamétralement opposé. Alors que les mots de Queues sont volontairement crus, désillusionnés, presque choquants, ceux de Géolocaliser l’amour sont imagés, parfois empreints d’une douce tristesse, mais portés par l’espoir. Ultimement, les deux ouvrages se rejoignent dans le portrait d’une génération, d’une époque.

Avec Moi aussi j’aime les hommes, le prolifique Boulerice se commet encore une fois dans un portrait de société mais, cette fois-ci, dans une correspondance avec Alain Labonté. En octobre 2015, ce dernier, révolté par les images télévisées d’un homosexuel condamné à l’exécution publique par l’État islamique, se tourne vers Boulerice pour partager sa tristesse. Ainsi s’entame un échange épistolaire de quelques mois entre les deux auteurs ouvertement gais qui, s’ils sont conscients d’être entourés de gens aimants et de vivre dans une société somme toute tolérante face à leur orientation, se souviennent des embûches rencontrées et se rendent compte du chemin qu’il reste à parcourir collectivement vers l’acceptation.

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