Dix ans après le Sommet

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Il n'y a pas que notre magazine qui célèbre son dixième anniversaire. En avril 1998, se tenait à Québec le Sommet sur la lecture et le livre, au terme duquel le gouvernement Bouchard adoptait sa Politique de la lecture et du livre, qui devait faire office de ligne directrice des interventions de l'État dans ce domaine d'activité. «Le livre doit survivre et répondre au double défi que s'est donné le Québec, celui de l'intégration économique et celui du succès identitaire», avait alors lancé le premier ministre, conscient de la nécessité d'une action réfléchie, conséquente et échelonnée sur plusieurs années.

Dix ans plus tard, il n’est pas futile d’évaluer les répercussions de l’adoption de cette politique, des mesures préconisées ainsi que de tous ces projets mis de l’avant avec pour objectifs de définir le rôle et la place du livre et de la lecture dans notre société. D’autant plus qu’il apparaissait indéniable à l’époque (et encore plus aujourd’hui) que l’avènement de la société de l’information modifiait
considérablement le champ des habiletés nécessaires à la maîtrise de la lecture et de l’écriture. Une décennie après le grand chantier de réflexion qui avait mené à la Politique, Marcel Lajeunesse et Éric Leroux, deux historiens, bibliothécaires et enseignants de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (Université de Montréal), publiaient une évaluation des avancées et des reculs dans l’application de cette politique, et dressaient un tableau comparatif nuancé des résultats par rapport aux objectifs énoncés1.

Au rayon des réalisations durables, Lajeunesse et Leroux citent la création de la Grande Bibliothèque (qui, depuis sa fusion aux Archives nationales du Québec, fait figure de «vaisseau amiral de l’information au Québec») et de l’Observatoire de la culture et des communications du Québec (une initiative heureuse offrant aux décideurs l’accès régulier à «un portrait statistique fiable, complet et évolutif des secteurs de la culture et des communications»). Au même rayon des réussites, les chercheurs rangent des mesures de soutien financier à l’industrie de l’édition comme le crédit d’impôt aux éditeurs québécois en mars 2000, l’octroi d’un fonds substantiel pour l’enrichissement des collections des bibliothèques publiques et scolaires et l’instauration du Programme d’éveil à la lecture et à l’écriture dans les milieux modestes (Toup’tilitou et Une naissance, un livre).

Si, en dépit d’efforts considérables, le Québec n’a guère amélioré sa performance en comparaison des autres provinces canadiennes, c’est en partie à cause des choix du gouvernement Charest (élu au printemps 2003) de ne pas reporter la Politique de la lecture et du livre, d’amputer de 2 M$ le budget de la SODEC (en 2003-2004) et de 10% celui octroyé à nos salons du livre, de diminuer le crédit d’impôt aux éditeurs et de mettre au rancart les investissements supplémentaires promis par le PQ dans le réseau des bibliothèques scolaires. Et bien que des initiatives de rattrapage aient depuis été prises par l’administration Charest, selon Lajeunesse et Leroux, c’est «un euphémisme de dire que depuis 2003, les vues du gouvernement libéral ne sont pas claires dans ces secteurs».

Au-delà des réussites et des (semi-) échecs de cette Politique, ses détracteurs comme ses champions conviennent de la nécessité pour l’État de poursuivre son engagement dans un domaine crucial pour la spécificité culturelle du Québec. Et à la veille de la victoire probable de Jean Charest dans ces élections déclenchées par pur opportunisme politique, sans doute faut-il encore une fois rappe­ler aux libéraux provinciaux cette idée
qu’ils aiment davantage brandir qu’illustrer, à savoir que la culture fait partie des missions essentielles de l’État.

À défaut de quoi, après dix ans de hauts et de creux de vague en matière de politique culturelle cohérente, nous ne ferons que continuer de nous éloigner collectivement de l’idéal du sommet, au sens propre comme au figuré.

1. «Le gouvernement du Québec et sa Politique de la lecture et du livre de 1998: les objectifs et les réalisations», par Marcel Lajeunesse et Éric Leroux, Documentation et bibliothèques, janvier-mars 2007, pp. 27-42.

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