On les tient souvent pour acquis, ces noms de maison d’édition, discrètement apposés sur les couvertures des livres. S’il y a certes les appellations données en l’honneur de leur créateur, il y a également celles qui se démarquent par leur originalité. Et en s’y attardant, on réalise que plusieurs ouvrent vers un monde encore plus riche qu’on pourrait le croire. Gageons que vous porterez dorénavant davantage votre regard vers le nom de ceux qui travaillent fort pour éditer tous ces auteurs de talent…

ALTO
Recherchant les textes qui nous emportent loin, je cherchais un nom qui évoquait l’évasion, l’envol, le dépaysement. Idéalement, il afficherait une certaine musicalité pour qu’on s’en souvienne, il serait court pour être décliné dans un logo pur. Le dictionnaire latin-français est venu à ma rescousse. Eurêka! Alto : élever, rendre haut. C’était un brin prétentieux, aérien, gonflé : j’avais un nom. Ne restait plus qu’à dénicher des auteurs… Dans le même ordre d’idées, j’ai développé plus tard la collection Coda qui, en musique, est un « passage terminal d’une pièce ou d’un mouvement, et également un signe de reprise ». On peut ainsi dire que j’ai eu de la fuite dans les idées.
– Antoine Tanguay

 

LUX
Au moment de la fondation en 1995, la maison portait le nom de ses deux animateurs, Robert Comeau et Jean-François Nadeau, selon la vieille tradition des enseignes de libraires éditeurs. Le nom de l’éditeur comme enseigne ne convenait plus lorsque Robert Comeau s’est éloigné au début des années 2000 et que Jean-François Nadeau est parti enseigner à l’université. C’est Florence Noyer, aujourd’hui responsable de Gallimard au Canada, qui s’est alors mis le nez dans la maison, souhaitant y produire plus de littérature. C’est elle qui a pensé à Lux, selon la locution latine fiat lux (« Et la lumière fut »). Le logo d’origine de la maison – le chien rongeant son os dessiné par Robert LaPalme – a été gardé pour assurer la continuité. Mark Fortier, Marie-Eve Lamy et Alexandre Sanchez assurent aujourd’hui la direction éditoriale de la maison. Ils publient des essais qui ont du mordant à l’enseigne d’un chien qui libère.
– Mark Fortier

 

LES ÉDITIONS DE LA BAGNOLE
Lorsque Jennifer Tremblay et Martin Larocque décidèrent de fonder leur maison d’édition, moult tergiversations eurent cours concernant le nom que pourrait prendre l’entreprise. Ils souhaitaient un nom qui ouvrait sur un univers, un nom duquel pourraient découler plusieurs analogies, un nom qui donnerait lieu à d’intéressants noms de collection. C’est alors qu’elle dégustait un muffin de mauvais goût – il faut croire que le moment reste gravé avec tous ses détails dans sa mémoire! – dans un centre commercial que Jennifer Tremblay vit passer dans le stationnement une vieille voiture. Voilà : le nom des Éditions de la Bagnole s’imposa ainsi de lui-même. Il y eut ensuite plusieurs semaines de fous rires durant lesquelles le duo trouva les différents noms de collections que sont Klaxon, Taxi, Parking et Bazou. Au bout du fil, Jennifer Tremblay rigole encore en se disant qu’il est cocasse d’imaginer un client entrer dans une librairie et dire : « Je veux acheter une bagnole! »

 

LES HERBES ROUGES
Dans le numéro 1 de la revue Les Herbes rouges, une note indique : « La revue tire son titre d’un recueil de poèmes de Jean-Paul Filion publié en 1962 aux Éditions de l’Hexagone, Demain les herbes rouges. » Ce que ce titre dit, en substance, c’est « demain, c’est maintenant ». Nous sommes en 1968 et Les Herbes rouges sont fondées avec une intention claire de faire neuf, inédit. Plus tard, à l’occasion d’une entrevue accordée à Lettres québécoises pour les vingt ans de la maison, les frères Hébert affirmeront trouver une certaine ironie à ce nom « trop “poétique” » pour une maison qui allait devenir assez formelle. « On disait entre nous qu’on aurait pu appeler ça Les Pamplemousses roses, ça aurait été plus intéressant », ajoute François Hébert.
– Roxane Desjardins

 

LA PEUPLADE
Les premiers pas des Éditions La Peuplade se sont faits entre 2002 et 2005 sous le nom « Le Banc public ». Le Banc public présentait des soirées littéraires à Tadoussac, à Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans, à Montréal; le Banc public lançait des appels de texte; le Banc public s’intéressait à la fabrication des livres, à l’art et au spectacle littéraire. En 2005, lorsque le projet de maison d’édition s’est matérialisé à travers l’écriture d’un plan d’affaires et que Simon Philippe Turcot et moi interrogions plus sérieusement sa nature intrinsèque, nous avons jugé qu’il fallait trouver un nouveau nom. Le mot « peuplade » s’est présenté à nous, dans le dictionnaire, pour imaginer sur le territoire ce formidable « groupement d’humains » nomade et voyageur que nous allions devenir.
– Mylène Bouchard

LA PASTÈQUE
Le nom provient du roman Sucre de pastèque de Richard Brautigan. Nous cherchions un nom à l’époque (1997) qui ne faisait aucunement référence à la BD : bulle, phylactère, case… Nous cherchions un nom neutre, sympathique et nous avions noté très tôt La Pastèque dans notre liste et, au final, c’est lui qui l’a emporté. On voulait aussi que ça sonne bien en anglais et que ça puisse être facilement identifiable. Près de vingt ans plus tard, on est encore très fiers de ce nom. 
– Frédéric Gauthier

 

LE QUARTANIER
Un quartanier est un sanglier de 4 ans, c’est-à-dire un sanglier dans la force de l’âge. Je voulais, pour nommer la maison et la représenter visuellement, une figure animalière. Je pensais à L’Oie de Cravan, à Penguin, à Knopf. Le hasard des livres et des films m’avait mis à quelques reprises sur le chemin malcommode du sanglier, chez Quignard, Michon, Miyazaki et ailleurs. J’aime son caractère farouche, fouisseur, et le fait qu’il se déplace constamment et sur de grandes distances. Rendu à 4 ans, le sanglier (de porcus singularis, porc solitaire) commence à s’éloigner de sa harde. Il vit alors entre la compagnie des autres et la solitude. Ça me semblait sans doute à l’époque une métaphore pas trop débile de l’écrivain. Le mot « quartanier » lui-même me plaisait, sa rareté aussi, presque l’effet d’un nom propre. Je me disais qu’avec le temps, il en viendrait à désigner une certaine façon de publier, d’exister en littérature, notre contenance.
– Éric de Larochellière

 

MÉCANIQUE GÉNÉRALE
C’est à Jimmy Beaulieu, le fondateur de la maison, qu’on doit ce nom. Il vient d’une famille de garagistes, son père et ses oncles étaient dans ce domaine. Lui, l’artiste de la famille, a donc pensé à Mécanique générale au moment de choisir le nom de sa maison d’édition. Ce nom a permis d’amener la notion « d’écurie » pour parler de l’équipe gravitant autour de la maison et de nommer les premières collections « Avons-nous les bons pneus? » et « Service au volant ». De plus, Jimmy trouvait pratique que, partout sur les garages du Québec, on lui faisait une publicité gratuite!
– Marie-Claude Pouliot

 

SÉMAPHORE
Du nom du poème de Gilles Hénault, cette « grande suite, un des plus beaux poèmes de la littérature québécoise » (Jacques Brault). Ainsi la maison d’édition rend hommage à ce poète indépendant et lucide dont l’œuvre, enracinée au Québec mais ouverte sur le monde, dépasse les tendances, les modes et les catégorisations. En publiant des textes littéraires de portée signifiante et en mettant en valeur des voix nouvelles et audacieuses, nous croyons perpétuer l’héritage intellectuel de Hénault, qui croyait en l’indissociabilité de l’art et de la vie, comme au pouvoir de l’art de transformer la vie.
– Tania Viens

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