Bibliothèques : le scandale !

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Collections désuètes, équipements insuffisants, manque de personnel spécialisé, volumes en quantité anémique, disparités importantes entre les municipalités : tel est, en gros, l'état du réseau des bibliothèques publiques au Québec. Mais les bibliothèques scolaires sont dans un état plus lamentable encore.

Durant la campagne électorale, le Parti libéral, jouant son va-tout sur les baisses d’impôt, la santé et le dégraissage de la fonction publique, s’était bien gardé de faire des promesses au milieu du livre. Sauf une, tout de même, qui consistait à « doter le Québec d’une véritable politique gouvernementale de développement des bibliothèques basée sur une saine alliance avec les municipalités responsables et ouverte avec des partenariats du secteur privé ». Quel type de partenariats, allez savoir. Reste que, selon la conception libérale de la culture, seuls existent les créateurs… et les bibliothèques.

À titre de créateurs, les écrivains auraient tout lieu de se réjouir… s’ils ne cherchaient toujours quelles sommes supplémentaires ont bien pu leur être accordées depuis juin dernier. De même, les responsables des bibliothèques municipales eurent peut-être préféré, à tout prendre, zéro promesse, car en 2003 ils ont dû attendre plus longtemps que de coutume les subventions du ministère de la Culture et des Communications. De fait, ils ont été forcés de retarder leurs traditionnelles acquisitions de l’automne. Comme les achats institutionnels comptent en moyenne pour un peu plus de 40 % du chiffre d’affaires des libraires — et jusqu’à 50 % en région —, ces derniers ont également été pénalisés.

Bien que promises à des lendemains radieux, les bibliothèques municipales n’ont quant à elles rien gagné en 2003. Bon, elles conservent pour l’heure leurs acquis, soit des subventions du MCC qui, pour l’acquisition de documents, se chiffrent au total autour de 15 millions de dollars par année. Mais voyez comme les choses sont subtiles. Jusqu’en 2001, les municipalités étaient tenues de consacrer à leurs bibliothèques un budget d’acquisition au moins égal à la subvention ministérielle. Puis, cette année-là — la troisième, et la dernière, de l’application de la Politique de la lecture et du livre —, changement au programme : les municipalités peuvent se contenter d’une contribution équivalant à la moitié de celle du ministère. Cette mesure du gouvernement précédent, la nouvelle ministre Line Beauchamp s’est bien gardée de la remettre en cause.
« Les subventions du ministère sont insuffisantes, et par surcroît les municipalités ont maintenant la permission de contribuer pour deux fois moins. Cette mesure nous a fait bondir ! Le financement demeure donc un problème majeur », dit Micheline Perreault, présidente des Bibliothèques publiques du Québec.

Un jeu d’autruche

Toutes bibliothèques municipales confondues, le Québec compte autour de 2,55 livres par habitant. Une moyenne atteinte grâce, par exemple, à Roxboro (plus de neuf), à Westmount (plus de sept), à Sillery (près de cinq), ou encore La Sarre (un peu plus de quatre). En revanche à 1,53 livre par habitant en 2000, Sherbrooke, fief de notre premier ministre, n’obtiendra pas d’étoile ! Selon Jacques Morrier, responsable du secteur des bibliothèques publiques au MCC, l’État vise 3 livres par habitant, les bibliothécaires fixent plutôt le standard à 3,5, ce qui néanmoins nous laisserait loin de la Suède avec ses 5,35 livres par habitant, ou de la Finlande avec ses 7,15. Les bibliothèques publiques de Toronto comptent presque cinq livres par habitant et celles de Vancouver, plus de quatre.

Les bibliothèques manquent de livres, mais aussi de personnel spécialisé. « Le travail en bibliothèque comprend l’exploitation et la diffusion des collections, l’animation, les suggestions de lecture aux usagers, les services de référence. Pour ces tâches, il faut des bibliothécaires et des techniciens en documentation », fait valoir Mme Perreault. D’autant que, souligne-t-elle, la mission des bibliothèques évolue, connaît un certain virage axé de plus en plus sur l’éducation et l’information. Voilà bien le paradoxe : alors que les bibliothèques sont appelées à offrir des services autrement plus élaborés que le seul prêt de volumes, les ressources spécialisées, jugées trop chères en regard de budgets anémiques, se raréfient. Pendant ce temps, les gouvernements successifs se demandent pourquoi la population ne lit pas davantage et cherchent des façons d’augmenter le taux de fréquentation des bibliothèques, mais leur refusent un financement conséquent. On peut applaudir le MCC d’avoir injecté un million supplémentaire, en novembre, dans les centres régionaux de services aux bibliothèques publiques (CRSBP), qui desservent les petites municipalités et les zones périphériques. Et d’avoir ainsi haussé leur budget annuel total à 8,5 millions de dollars. Mais il n’y a pas là, encore, l’ombre d’une esquisse d’une « politique gouvernementale de développement ».

L’insultante misère des bibliothèques scolaires

À côté des bibliothèques scolaires toutefois, les bibliothèques municipales roulent en carrosse et sont des hauts lieux du savoir. En 2002, un rapport émanant du ministère de l’Éducation même (MEQ), dont dépendent les bibliothèques scolaires, révélait que 80 % de ses établissements ont des collections « moins que satisfaisantes ». Ces collections, occasionnellement élaguées, ne répondent même pas aux critères des organismes en alphabétisation qui acheminent des livres aux pays en développement !

Le rapport du MEQ avait convaincu Pauline Marois, ministre des Finances du gouvernement précédent, de délier les cordons de la bourse : un budget spécial de 70 millions, sur cinq ans, devait aller aux bibliothèques scolaires. « De l’argent fictif dans un budget fictif », décrétait le nouveau ministre de l’Éducation Pierre Reid au lendemain des élections. Mais les problèmes, eux, ne sont pas fictifs. « Disons-le : la situation, au Québec, est désastreuse », affirme Jocelyne Dion, présidente de la Coalition en faveur des bibliothèques scolaires. « Dans plus de la moitié des écoles, les collections sont à renouveler au grand complet. Au primaire, les services de la bibliothèque sont très souvent assurés par des parents bénévoles laissés à eux-mêmes. Les bibliothèques du secondaire disposent de techniciens en documentation, mais n’ont que très rarement de véritables bibliothécaires. Les équipements sont désuets et les budgets, tant au primaire qu’au secondaire, sont infimes », explique Mme Dion.

Les bibliothèques scolaires sont financées à une hauteur de 3,75 $ par élève par année. Même pas le prix d’un exemplaire de L’Actualité ! Certaines écoles ou commissions scolaires ont heureusement la tradition de bonifier ce montant. Mais plusieurs autres aussi, puisque les budgets ne sont pas attribués, utilisent l’argent du ministère à d’autres fins. Un comité conjoint MEQ-MCC se penche actuellement sur le dossier. La solution est pourtant simple : augmenter les budgets — selon Mme Dion, la seule mise à niveau des bibliothèques exigerait une injection de 100 millions de dollars —, et obliger les écoles à les réserver aux bibliothèques. Le cabinet de Pierre Reid n’ayant pas retourné nos appels, il est impossible de faire part des intentions du ministre. Mais on peut aisément les imaginer puisque le comité conjoint n’examine pas la question budgétaire, et ne projette pas de le faire. Le comité est plutôt en train de plancher sur les moyens de « favoriser la concertation entre bibliothèques scolaires et bibliothèques publiques », dit Jacques Morrier. Or, cette concertation existe déjà, « nous offrons beaucoup de services au scolaire », soutient Micheline Perreault. De toute façon, renvoyer la misère des bibliothèques scolaires à la pauvreté des bibliothèques municipales n’est sûrement pas une idée lumineuse. « Les jeunes doivent avoir accès aux livres sur place. Ne serait-ce que pour la recherche en classe », dit pour sa part Jocelyne Dion.

Remarquez qu’à l’heure actuelle la recherche en classe, avec la collection complète de la vieille encyclopédie Tout l’univers que Jocelyne Dion a encore vue récemment dans une école, doit conduire à de drôles de résultats. Ça n’empêche pas que pendant ce temps, l’État québécois se demande pourquoi ses beaux documents comme la Politique de la lecture et du livre — que les bibliothèques scolaires n’ont assurément pas les moyens d’acheter aux Publications du Québec —ne portent pas fruit.

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