André Vanasse et l’abc d’XYZ

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Le mot «carrière» n'a plus guère de sens aujourd'hui sans un «choix» qui le précède et, pourtant, la littérature n'est toujours pas une «option alimentaire» crédible. Au début des années 60, le constat n'en est que plus marqué pour André Vanasse, né en 1942 : «Ç'a été une engueulade monstre avec mon papa. Quand j'ai dit que je m'en allais en lettres, j'aurais dit que je m'en allais dans les poubelles, c'était la même affaire. J'étais le seul à aller en lettres parmi les finissants du collège Sainte-Marie… on était cent et quelques.»

On peinerait à répertorier les innombrables implications d’André Vanasse, qui fut professeur de littérature québécoise à l’UQÀM de 1969 à 1997. Participant à la création de l’Association for Canadian and Québec Literatures et de l’Association des éditeurs de périodiques culturels québécois (qui deviendra, en 1980, la SODEP), lié de près à la revue Lettres québécoises depuis sa création en 1976 par Adrien Thério, directeur des revues universitaires Voix et Images et Nouvelles Fraîches, il s’impose, surtout, comme un éditeur de haut vol. Son passage chez Québec Amérique, de 1986 à 1990, lui fera entre autres découvrir Christian Mistral et Louis Hamelin.

«En 1990, c’est l’heure des communications», chantait Jean Leclerc-Leloup-Massoud Al-Rachid. Pour André Vanasse, c’est l’heure de l’édition. Née de l’association de Gaétan Lévesque avec Maurice Soudeyns, XYZ existe depuis 1985. En plus de XYZ, la revue de la nouvelle, publication trimestrielle, elle lance alors, bon an mal an, trois recueils : «Le point d’ancrage de l’association Lévesque-Vanasse, c’est Lettres québécoises. Adrien Thério voulait que j’en sois le directeur. Gaétan, secrétaire de la revue, est venu me voir.» Solution: Vanasse achète Lettres québécoises et intègre la revue à XYZ. C’est le début d’une belle collaboration. Si l’un est capable d’assumer une part du travail de l’autre, chacun excelle dans un domaine particulier : «Chacun a son champ. Gaétan aime l’ordre, les choses bien faites, les chiffres. Moi, je suis plutôt bohème. Tout ce qui concerne les justifications, les prospectives, c’est moi. Tout l’aspect financier, c’est Gaétan.»

La maison passe alors à une vingtaine d’ouvrages publiés, sans compter les 4 numéros des deux revues. En 1995, on s’arrêtera à trente-cinq livres par an, nombre d’or aux dires de Vanasse: «Si on fait plus, il va falloir qu’on augmente le personnel et on est sûrs de faire des déficits. J’ai vu chez Québec Amérique comment une transformation peut causer des séismes graves. Je me souviens qu’ils étaient au bord du gouffre lorsqu’ils sont passés de 5-6 personnes à 25-30 après le Dictionnaire visuel… ça a brassé dans la cabane.»

Si Québec Amérique est aujourd’hui l’un des fleurons de l’édition québécoise, les exemples d’entreprises ayant mal digéré une croissance rapide pleuvent. Aussi, bien qu’il faille ajouter au portrait d’ensemble de XYZ l’activité éditoriale anglophone, la maison fait sien l’adage «Small is beautiful»… Établie depuis 1999 en Colombie-Britannique, XYZ Publishing, sous la direction de Rhonda Bailey, en arrive à environ 35 titres édités et traduits. L’enjeu repose donc d’abord sur la diffusion. XYZ n’a certes pas le rayonnement dont peuvent bénéficier des joueurs de premiers plan comme Random House ou Hachette. Histoire d’enfoncer le clou, Vanasse rappelle une scène imaginée par Yves Beauchemin pour un numéro de Liberté: «Imaginons une partie de poker entre un Américain et un Québécois. L’Américain dispose d’un million, le Québécois de cinq cents. Qui va gagner la partie? Le pouvoir d’imposer un auteur, c’est ça».

Ce qui expliquerait qu’un Hamelin (Cowboy, Stock, et Ces spectres agités, Flammarion), qu’un Kokis (Negao et Doralice, Le Pavillon des miroirs, De l’Aube), publiés en France, ne connaissent pas les succès d’un certain Yann Martel. «Dans le cas de Yann, il y a eu un moteur [NDLR : et comment! succès public, Man Booker Prize 2002 et Hugh McLennan 2002], mais après ça, ça s’est mis à rouler à une vitesse de fou. Souvent les gens me demandent combien j’ai mis d’argent pour la publicité du livre: je n’en ai pas mis plus que pour Donald Alarie (Tu crois que ça va durer et Au café ou ailleurs). Sauf pour la campagne de presse : là, j’ai mis le paquet. La seule chose qui fallait que je fasse, c’était veiller à ce que les exemplaires soient toujours disponibles. » Chose moins simple qu’il y paraît. Le tirage initial moyen de XYZ va de 1000 à 1200 exemplaires pour le roman à 500 pour les ouvrages de la collection «Études et documents», dirigée depuis sa création par le professeur Simon Harel. Après avoir mesuré l’impact du succès de Life of Pi, on imprime, peu avant les vacances de 2003, 12 000 exemplaires de L’Histoire de Pi : «Il a fallu recommencer. Il n’était même pas encore sur le marché et les demandes étaient passées à 15 000.» Les ventes actuelles du livre, avec l’édition de poche parue plus tôt cette année, dépassent 100 000 exemplaires. Compte tenu du fait que le territoire français est réservé à l’étiquette Denoël (Gallimard), il s’agit d’un chiffre monumental.

Bénéficiant de retombées commerciales infiniment plus faibles, la collection «Les Grandes Figures», constituée de biographies romancées, taraude un peu l’éditeur: «C’est une collection qui n’arrête pas de recevoir des compliments, mais les écoles n’ayant pas d’argent, elle ne peuvent acheter. Ça se vend constamment, mais petitement. On réimprime à coups de 500. C’est un peu déprimant parce qu’on devrait en vendre sept fois plus que ça.» Vanasse ne cache pas s’être inspiré de la littérature religieuse éducative qui fleurissait au Québec avant 1960. La valeur d’édification du sacrifice des saints martyrs canadiens ou du courage de Paul de Maisonneuve, abattant les «méchants» Iroquois à la crosse de son pistolet, a toutefois cédé sa place à l’exposé des vies peu communes d’Émile Nelligan, Gabrielle Roy ou Marshall MacLuhan, éveillant le jeune public à l’histoire de plaisante manière.

Le directeur des collections «Romanichels» et «Étoiles variables» s’allume lorsqu’il parle du travail avec les auteurs: «C’est ça qui est ma vie. Je peux ne pas faire changer une ligne, je peux faire changer 50% du roman! C’est ma passion! Quand je vois comment le roman a changé du début à la fin, je me dis: on a-tu bien travaillé!» Et lorsqu’il s’agit de retravailler ses propres œuvres? «Terrible! Je me suis planté une fois… [Avenue de Lorimier, en 1992, a été mal reçu]. Alors maintenant j’ai des lecteurs sévères.»

Mais plutôt que de parler des échecs et des auteurs manqués, Vanasse préfère tabler sur ce qu’il appelle sa «moyenne au bâton»: «Sur 35 livres, on retrouve toujours autour de 15 nominations à des prix, ce qui n’est quand même pas n’importe quoi!»

XYZ ÉDITEUR
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