À la découverte des contes

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Des textes qui n’appartiennent à personne mais forment la culture collective, des histoires qui sont libres de se glisser à l’oreille de qui ose bien la tendre. Transmis de génération en génération, les contes, qui forment un genre littéraire protéiforme et ancestral, possèdent la qualité de s’adresser à un public multiple, aux petits qui y voient le merveilleux et aux grands qui y cherchent des réponses. Écrits en vers ou en prose, ces récits brefs aux actions rapides ont comme principales caractéristiques d’être issus de la tradition orale. Destinés à instruire, à amuser ou à faire réfléchir, ils ont parcouru le monde, les âges et les époques, pour nous rattacher au passé de l’humanité, pour sceller des ponts entre les générations. Voici venu le temps de leur rendre hommage.

Quelles sont les particularités du conte québécois que vous avez observées en colligeant les textes de Contes, légendes et récits du centre-du-québec?

Jean-Pierre April, auteur et critique, mais également conteur qui a remporté récemment le Prix Contes et légendes du GalArt (CALQ), répond :

L’anthologie Contes, légendes et récits du Centre-du-Québec (Trois-Pistoles) accueille divers contes qui relatent les méfaits d’êtres surnaturels sévissant dans de petites communautés imprégnées de l’omniprésente religion catholique. Si ces textes devaient autrefois susciter des frissons de peur, leur aspect naïf et leur dénouement moral nous portent aujourd’hui à sourire. Depuis que le catholicisme est ici en perte de vitesse, ces manifestations diaboliques tendent à disparaître, de même que le conte écrit. Pour compenser, j’ai senti le besoin d’écrire des contes sans compromis afin de révéler, avec un humour noir, certaines situations scabreuses et bien réelles que les auteurs d’hier devaient taire. C’est ainsi que dans Méchantes menteries et vérités vraies (Septentrion), je révèle quelques pratiques honteuses de notre passé, comme l’avortement, la zoophilie, les infanticides et les escarmouches avec des anglophones ou des religieux.

 

Comment se détacher des images traditionnelles, voire éculées, de personnages mythiques de contes lorsque vient le temps de dessiner l’un d’eux à nouveau?

Rebecca Dautremer, illustratrice française et auteure du récent Le bois dormait (Sarbacane) répond :

J’ai travaillé à plusieurs reprises sur des personnages de contes familiers de l’imaginaire collectif. Alice au pays des merveilles, le petit poucet, la baba yaga ou même les personnages de la bible. Je crois qu’une des pistes que j’ai toujours essayé de prendre a été de me poser simplement et avec empathie la question de la personnalité de chacun des personnages. De faire en sorte qu’ils ne soient plus des icônes, des fantasmes ou des figures abstraites, mais des individus, uniques, avec leur caractère propre, leurs qualités et leurs défauts. Caractériser les personnages est le mot-clé. C’est ce qui va m’éloigner du cliché. C’est une réflexion sur l’attitude, la mise en scène de leur personne, et aussi plus facilement sur les détails de leur apparence, une posture, un élément de costume qui fera du petit poucet, par exemple, un petit garçon bien singulier si je lui mets un collier de lézards autour du cou. Ou de l’image de Jésus si je l’habille d’un pantalon trop grand. J’ai aussi toujours essayé de relire ces contes comme si je ne les avais jamais entendus; ce n’est pas facile! Mais l’exercice est amusant. Retrouver la fraîcheur d’une première découverte, sans a priori. J’avoue aussi que je me laisse le droit de reprendre cependant des caractéristiques reconnues de tous. L’originalité à tout prix peut être contre-productive. C’est aussi un plaisir d’user d’une partie des poncifs de l’imaginaire collectif. Un portrait familier, un sourire bien connu, une silhouette reconnaissable. Il faut savoir équilibrer les deux; le souvenir commun et la singularité du personnage. Au-delà de tout, il faut aimer ses personnages, et se fier à son instinct. C’est encore ce que je sais faire le mieux. Travailler intuitivement. La théorie, je ne la pratique en réalité pas beaucoup!

 

Vous avez signé Contes de Grimm (illustré par Shaun Tan, Gallimard). Pourquoi avoir voulu réécrire ces contes traditionnels?

L’auteur anglais Philip Pullman (« À la croisée des mondes ») répond :

Lorsque l’éditeur Penguin Classics m’a contacté pour me proposer d’écrire une nouvelle version des contes de Grimm, j’ai immédiatement acquiescé. J’ai toujours aimé les contes traditionnels, et le corpus réuni par les frères Grimm est si important et influent que j’ai pensé qu’il serait intéressant d’essayer d’en faire une version qui serait, comme je le dis dans l’introduction de mon livre, « aussi claire que de l’eau de roche ». Il y a eu tant de tentatives différentes au cours des années que je me suis dit qu’il y avait de la place pour une autre.

Hormis l’importance historique des contes, je me suis intéressé à eux comme un conteur : pourquoi certains sont mieux connus que d’autres? Pourquoi certaines histoires très bonnes ne sont-elles pas mieux connues? Comment puis-je les améliorer? Cette dernière question peut sembler un brin prétentieuse, mais, dans ce contexte, je cite l’observation – apparemment un proverbe de la Toscane – du grand écrivain italien Italo Calvino dans l’introduction de sa collection de contes folkloriques italiens : « Une histoire n’est pas aussi belle si rien n’y est ajouté. » En outre, les contes de Grimm ne sont pas une œuvre littéraire comme (disons) les nouvelles de Guy de Maupassant, mais plutôt la transcription d’une version racontée à un moment précis par une des nombreuses personnes qui ont déjà raconté cette histoire. Si je racontais oralement une vieille histoire, je ferais de mon mieux pour mettre tout mon talent au service du récit; et c’est ce que je me permets avec cette version écrite.

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