S’il y a une chose qui vient presque immédiatement quand on se met à discuter avec Nadine Robert, c’est la conviction qu’elle est dans son élément. De bachelière en littérature, elle devient scénariste pour jeux vidéo, pour ensuite passer dans l’édition par La courte échelle, puis finalement lancer sa propre aventure… deux fois plutôt qu’une.

Il y a cinq ans, Nadine Robert fondait avec Mathieu Lavoie la maison d’édition Comme des géants. Rapidement, celle-ci a su s’imposer comme un joyau de la littérature jeunesse au Québec, tant auprès des libraires que du grand public. Maintenant seule à la barre du navire, l’éditrice poursuit son patient travail. Cela ne l’a pas empêchée de lancer en janvier dernier une autre maison d’édition, Le Lièvre de Mars, toujours dédiée à l’album jeunesse, mais avec un charmant accent vintage. « Dans le livre, il y a toujours un élément qui a déjà été publié sous une forme ou une autre », commence Nadine Robert pour expliquer la nature du projet. « Ça peut vouloir dire un titre épuisé ou encore un classique revisité. Parfois, j’achète les droits d’un texte et le fais illustrer par un contemporain. » Plusieurs scénarios sont possibles. N’est essentiel que le coup de cœur pour ensuite tout mettre en œuvre pour que l’édition du livre puisse se réaliser.

La transmission d’une œuvre
L’origine de cette aventure vient d’une passion personnelle pour les livres anciens. Nadine Robert a sa propre collection et elle est particulièrement attirée par les livres jeunesse remontant aux années 50 à 70 aux États-Unis, une période foisonnante selon elle. Plusieurs de ces œuvres intéressantes sont toujours pertinentes, mais ne circulent plus, parfois pour une raison commerciale ou parce que le temps les aura simplement laissées à l’écart. Mais elle fait remarquer qu’il y a toujours de nouveaux lecteurs et pour eux, Nadine Robert souhaite assurer la transmission de ces œuvres rares ou disparues. Avec son projet de publier ces albums, elle élargit son champ d’exploration et découvre des artistes de plusieurs pays, dont le Japon ou ceux de l’Europe de l’Est, qui parfois sont des auteurs phares dans leur coin d’origine, mais qui ne sont pas connus ici. Elle se plaît beaucoup à dénicher des titres singuliers, mais aime aussi tout le processus de recherche qui accompagne l’éventuelle publication d’un livre. « C’est une enquête à chaque fois. Qui est l’auteur ? Est-il encore vivant ? Qui possède les droits ? Etc. Parfois, les héritiers sont très surpris de ma demande. » En effet, pourquoi ce subit intérêt pour une œuvre depuis longtemps tombée aux oubliettes ? Certaines fois, les aspects légaux viennent donner du fil à retordre et c’est à Nadine Robert d’être convaincante en expliquant sa mission, qui en est une avant tout artistique, et non financière. « C’est toujours long et compliqué, et j’adore ça ! » de s’exclamer l’enthousiaste éditrice. Lorsqu’elle tient enfin un de ces livres entre ses mains, la satisfaction est d’autant plus grande par toute l’histoire qui l’a vu naître.

Le Lièvre de Mars tient son nom d’un personnage dans Alice au pays des merveilles, il fait donc référence à un classique de la littérature jeunesse, ce qui est dans la nature même de la maison. La marque du Lièvre de Mars, gravée en lettres attachées sur chaque livre, se voulait comme une signature, un sceau apposé par l’animal lui-même, désignant qu’ici, c’est un lieu de plaisir qui n’exclut pas un brin de folie puisque le personnage de Lewis Carroll, comme l’idée de lancer ce projet de réédition, comporte sa touche d’excentricité. À la fin de chaque album, l’explication de son origine est racontée, donnant de l’importance au sens et à la démarche des créateurs.

À pas de géant
Depuis son entrée dans l’édition québécoise, la maison Comme des géants, qui se consacre à l’album pour les 0-12 ans, a déjà plusieurs succès à son actif. Pour ses cinq ans, l’éditrice avait envie de redonner. D’abord, elle crée un prix d’illustration pour les finissants en arts de l’UQAM, ensuite elle met sur pied un concours pour encourager la relève, et le projet sélectionné sera publié chez Comme des géants dans l’année. Enfin, elle ouvre une antenne de l’organisme Lire et faire lire à Varennes, là où est située la maison d’édition. Avec la publication d’une dizaine d’albums par année, Nadine Robert peut prendre le temps de peaufiner chaque projet. Ce qui lui permet aussi d’être présente à chaque étape de sa réalisation. « Dans ma vision de l’édition, je ne cherche pas à en faire vraiment plus. Je souhaite développer des marchés, mais pas à en faire plus parce que justement, je veux être capable de faire le travail éditorial, que j’aime faire, et le faire rigoureusement. » Après la sortie du livre, il y a aussi tout l’aspect de la promotion dont il faut tenir compte, et qui de mieux que l’éditrice, qui a chouchouté et suivi tout le parcours de son bébé, pour en parler avec amour ? Sans compter que Nadine Robert a également la fibre créatrice et qu’elle chérit ses propres projets d’écriture qui n’ont par ailleurs rien à envier aux autres. « J’ai toujours écrit avec en tête de l’image. » Ce qui l’a naturellement menée à l’album jeunesse.

Elle aime aussi se tenir à l’affût d’éventuels collaborateurs. « J’ai un grand plaisir à trouver de nouveaux talents. Parfois, je me dis : “Cette personne ne le sait pas, mais il y a une sensibilité dans son travail artistique qui pourrait être intéressant dans le jeunesse.” » Par exemple, la bédéiste Cathon, qui avait un créneau adulte, publie maintenant chez Comme des géants avec des œuvres pour la jeunesse. Un autre projet, celui-là d’un abécédaire géant, est en cours avec l’artiste Obom, aussi connue pour ses BD et ses courts-métrages destinés à un public adulte.

L’édition jeunesse, comme l’écriture, est tout un art. Et pour l’exercer, il ne faut pas avoir mis son cœur d’enfant trop loin. « Quand on est éditeur ou auteur jeunesse, il faut être très proche encore de l’enfant en soi. » Car un album qui plaira aux adultes ne plaira pas nécessairement aux enfants, et vice-versa. Le premier souci de Nadine Robert est de faire des livres pour les enfants et lorsqu’elle choisit un projet, elle pense d’abord à ce qui les attirera graphiquement. À d’autres occasions, elle aime les amener dans des contrées un peu plus inhabituelles. « Je vois aussi mon rôle d’éditrice comme une façon d’initier les enfants à l’art visuel. Il y a aussi chez moi une volonté d’offrir des choses qui ne plairont peut-être pas spontanément », mais qui fera son chemin. Comme une manière de leur faire voir des perspectives différentes pour les exposer à une diversité de formes, de traits, de contours, de couleurs. Derrière cette philosophie, il y a surtout une grande ouverture sur les possibilités multiples de voir le monde, et éventuellement d’y participer et d’y amener sa contribution. Quant à Nadine Robert, c’est un livre à la fois qu’elle fait la révolution.

Photo de Nadine Robert : © Julia Marois

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