Ils sont le nouveau trio à la tête de cette revue de critique littéraire. Ils sont beaux, ils sont complémentaires, ils sont dynamiques : Annabelle Moreau (rédactrice en chef), Jérémy Laniel (coordonnateur éditorial) et Alexandre Vanasse (éditeur) unissent leurs talents pour proposer aux lecteurs des textes de qualité, fouillés, qui analysent la littérature québécoise avec un œil avisé, le tout dans un univers graphique revisité, doux pour l’œil et dense pour l’esprit. Découvrons ici, avec la rédactrice en chef de Lettres québécoises, la vision de la critique littéraire au Québec de ce triumvirat de feu. 

Quelle est l’importance pour un milieu littéraire d’avoir une revue telle que la vôtre, qui se consacre à la critique? En quoi cette dernière est-elle essentielle?
Un magazine comme LQ, qui existe depuis 40 ans, est un témoin privilégié de la production littéraire d’ici. Depuis 1976, plus de 165 numéros sont parus, présentant nombre de critiques, des entrevues, des chroniques; suivant l’actualité du milieu, ses enjeux et acteurs qui, avec le recul, fonctionnement à la manière d’une mémoire pour la littérature québécoise. Nous croyons à LQ que sans critique la littérature n’existe pas. Cette dernière doit être débattue, analysée, retournée sur elle-même pour trouver sa pertinence au-delà de son lectorat. La critique littéraire est la poursuite nécessaire et concrète de la discussion entamée par la création de l’œuvre elle-même. La critique, comme l’œuvre, ne sont pas des finalités, au contraire, et la première ne devrait pas être un couperet, mais l’amorce d’un dialogue avec la seconde. Nous la percevons comme un espace de résistance, un pied de nez au marketing et à la publicité, échappant aux diktats du cirque médiatique et à la guerre du clic, dans un monde où tout va trop vite et où les œuvres sont oubliées avant même d’être analysées.

Qu’est-ce que la nouvelle mouture de la revue Lettres québécoises apporte de nouveau?
Nous avons travaillé pendant plus d’une année pour orchestrer la refonte de LQ. Plusieurs libraires et lecteurs croyaient que le numéro de mai (avec Catherine Mavrikakis) était un nouveau magazine, tellement la refonte a été faite en profondeur. Avec l’éditeur Alexandre Vanasse et le coordonnateur éditorial Jérémy Laniel, nous avons revu complètement la grille graphique, les chroniques, la structure, et nous avons invité plusieurs nouveaux collaborateurs. Nous voulions un magazine qui allait contraster avec celui des années précédentes et qui allait davantage parler aux acteurs du milieu littéraire actuel. Si nous avons conservé un dossier étoffé sur un écrivain, tout en le bonifiant, et un second qui aborde un enjeu du milieu littéraire (en septembre, Chantal Guy s’attarde à l’effervescence des librairies indépendantes), nous avons revu la manière de faire de la critique, en allongeant les textes, notamment. S’ajoutent à cela des portraits et chroniques sur le milieu et surtout, nouveauté pour nous, des textes de création – une suite de poèmes, une nouvelle et une lecture illustrée.

Que pensez-vous de la place qu’occupe la littérature québécoise dans notre société?
La littérature, comme les autres arts d’ailleurs, occupe assez peu de place dans notre société et notre espace médiatique, et c’est déplorable. Sans compter qu’il y a de la très bonne littérature qui se fait ailleurs. La littérature québécoise, celle qui inspecte, réfléchit, dissèque notre société, son passé, mais aussi ses transformations, celle qui nous émeut ou nous tiraille, celle pour laquelle nous ne devrions pas nous battre pour qu’elle soit partout, entre toutes les mains, dans toutes les écoles, les bureaux, les pages de journaux, trouve son chemin ailleurs, chez les libraires notamment, dans les bibliothèques, ses lieux de diffusion naturels, mais elle n’est pas assez valorisée, mise de l’avant dans l’espace public et nos politiciens ou vedettes ne sont pas des intellectuels ou lecteurs engagés, mais des personnes à qui il ne faut surtout pas demander quelles sont leurs  lectures marquantes et quels courants de pensée les inspire. Donc, parlons plus, tout le temps, dès que possible de littérature québécoise ou étrangère, prêtons nos livres, et redonnons leur place aux mots et aux auteurs.

Qu’est-ce qu’une critique éclairée?
Le travail critique est loin d’en être un facile, surtout que, de nos jours, il doit se distinguer des chroniques et des recensions de toutes sortes dans lesquelles le regard critique se dilue, malheureusement. Un texte critique en est d’abord un de synthèse qui doit à tout prix éviter le piège du résumé de lecture. Une bonne critique parviendra succinctement à contextualiser un livre, tant dans l’œuvre de l’auteur et de ses prédécesseurs que dans la production de ses contemporains. Elle doit parvenir à aller au-delà du texte lui-même pour cerner l’importance de la publication, de par son apport à un dialogue esthétique ou encore à certains enjeux de société. De plus, dans une publication comme la nôtre, elle doit éviter le piège du didactisme en insufflant au texte un style propre à son auteur, créant ainsi une critique qui se lit avec aisance, comme toute bonne fiction ou récit. On doit, dans la durée, parvenir à imposer un dialogue entre les critiques et les lecteurs, espérant que ces derniers trouveront toujours, lors de leur lecture, une griffe et un regard singulier. Ainsi, en peu de mots, la critique doit, de façon névralgique, fuir le paradigme inhérent de notre époque du j’aime ou je n’aime pas.

Nommez-nous quatre livres québécois qui mériteraient, selon vous, une meilleure visibilité auprès des lecteurs.

Tous les romans de Marie-Claire Blais. Cette écrivaine que l’on élève en monument et que l’on ose peu critiquer ou considérer travaille à construire patiemment et avec talent depuis vingt ans une œuvre conséquente et puissante qu’on lit et commente peu. Le cycle Soifs, amorcé en 1996, va se conclure en 2018 avec un dixième titre et, à LQ, on attend patiemment cette sortie.

 

The Lonely Hearts Hotel de l’Anglo-Montréalaise Heather O’Neill. Écrivaine fabuleuse, elle est peu connue des francophones, malgré l’immense succès international de Lullabies for Little Criminals (La ballade de Baby, en français, dont plusieurs ont critiqué la traduction en France). Il fallait jusqu’à maintenant la lire en anglais pour apprécier sa plume, mais Alto publiera dès l’automne 2017 des traductions de trois de ses titres, dont le recueil de nouvelles Daydreams of Angels (qui devient La vie rêvée des grille-pain), et aussi The Girl Who Was Saturday Night et The Lonely Hearts Hotel (en 2018 et 2019).

 

Trop souvent, quand vient le temps d’aborder Anne Hébert, on passe sous silence son livre le plus marquant, son œuvre la plus singulière et la plus libre : Les enfants du sabbat. On n’en a que pour Kamouraska et Les fous de Bassan… L’écrivaine emprunte dans Les enfants du sabbat le sentier torturé de la littérature fantastique et transgresse les frontières du réel et du fantasmé. Son histoire de sorcellerie et d’ésotérisme campée dans un couvent fait tressaillir d’horreur.  

 

Le poète Jean-Marc Desgent a publié au printemps dernier Strange Fruits (Poètes de brousse). Présent sur la scène littéraire depuis le début des années 1970, il est à mon avis l’un des plus grands poètes de sa génération. L’éclatement langagier dont il fait preuve intègre dans la poésie québécoise contemporaine une liberté inégalée. Pour preuve, il faut aller relire Vingtièmes siècles (2005), honoré par un prix du Gouverneur général. 

 

 

Lettres québécoises et Les libraires s’unissent dans une collaboration qui, nous le souhaitons, plaira aux lecteurs de ces deux revues. Vous pourrez dorénavant lire une rubrique jeunesse intitulée « Les libraires critiquent! » entre les pages de chaque Lettres québécoises et vous pourrez également vous délecter, un numéro sur deux, d’une chronique poésie signée par Lettres québécoises entre nos pages. Oui, plus plus plus de littérature, toujours!  

 

 

Photos : © Sandra Lachance

Publicité