Élie Castiel : La revue des vues

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En Amérique du Nord, Séquences est la plus ancienne revue francophone de cinéma toujours en activité. Fondé à Montréal en 1955 par Jean-Marie Poitevin (1907-1987), ce bimestriel rejoint aujourd’hui les cinéphiles québécois grâce à sa diversité de points de vue, à la qualité de ses articles et à la profondeur de ses entrevues. Il suffit d’en feuilleter un exemplaire pour saisir la richesse du 7e art et distinguer tout ce qui le sous-tend. Élie Castiel, rédacteur en chef de Séquences depuis 1999, nous en glisse un mot.

Comment avez-vous découvert le cinéma?
Vers 8-9 ans, dès ma première visite dans un cinéma. Au début, c’est l’atmosphère de la salle, les fauteuils, la division entre le parterre et le balcon, les rideaux. Et puis, l’écran était pour moi un mystère à découvrir, d’où des images incroyables devenaient animées comme par magie. Une fois que j’ai été habitué à tout ce rituel, vers 12 ans, les films sont devenus ma principale source d’intérêt.

Quelle place occupe Séquences auprès des cinéphiles et des cinémas?
Séquences, c’est un rendez-vous avec le cinéma. Une rencontre avec le film d’auteur, le cinéma québécois et les tendances cinématographiques étrangères. C’est aussi découvrir ceux qui sont derrière la caméra autant que ceux devant. C’est entrer en contact avec un univers particulier dont les images en mouvement reflètent autant la beauté que la laideur du monde. Séquences, c’est entrer en contact avec l’humain, dans toutes ses manifestations. Pour les cinéphiles, c’est avant tout de constater que le cinéma est une expérience totale qui, malgré parfois des échos négatifs, est un art en pleine croissance et transformation. Et pour les néophytes, c’est la découverte d’un véhicule adapté à leur image. Quant aux étudiants, Séquences est une sourced’informations cinématographiques inestimables, tant pour la recherche que pour l’inspiration.

La revue Séquences célèbre ses 60 ans cette année. Durant ces six décennies, le cinéma a constamment évolué. Qu’en est-il de la revue?
Effectivement, Séquences fête depuis janvier 2015 sa 60e année de publication, même si officiellement, le premier numéro de la revue date d’octobre 1955. Symboliquement, le 60e se poursuit donc jusqu’à la fin septembre 2016. Comme il est tout à fait logique, le cinéma change non seulement chaque décennie, mais à l’intérieur même de chaque décennie. Séquences s’est toujours adaptée aux diverses mutations vécues par le cinéma. La critique a toujours été le principal centre d’intérêt de la revue, mais des entrevues, des dossiers, des recensions d’ouvrages sur le cinéma et d’autres rubriques se sont ajoutés au contenu. Mais le plus important est que Séquences s’est constamment adaptée aux modes, s’assurant d’être dans l’air du temps.

Selon vous, quel rôle joue le cinéma dans la société, d’ici et d’ailleurs?
Dans plusieurs cas, le cinéma est un miroir, un reflet de notre société. Qu’il s’agisse du social, de l’économique et du politique. Ce constat est d’autant plus fondamental qu’il devient, pour les cinéastes responsables, un outil de conscientisation humaniste. Si un film, même parmi les plus engagés, n’arrive pas à nécessairement changer le monde ou les individus, force est de souligner que pas à pas, petit à petit, sans doute inconsciemment, notre façon de voir notre entourage et l’ailleurs, voire notre parcours personnel, change sans qu’on s’en rende compte. Mais, au fond, dans son ensemble, ce n’est pas une question d’ici ou d’ailleurs. Le rôle du cinéma est un engagement constant planétaire.

À quels défis se frotte la revue?
Toutes les revues de cinéma en format papier font face à la concurrence du Web. En entamant sa 60e année, Séquences fait non seulement preuve de maturité, mais également de persévérance. Certes, la venue d’Internet a bouleversé notre façon de composer avec le contenu. Mais Séquences est également publiée en format Web (www.revuesequences.org). Les deux types de publication nous donnent l’occasion de nous exprimer de façon différente, selon le format. L’imprimé nous permet de parler du cinéma avec plus d’emphase, d’analyse, de distance par rapport à l’actualité cinématographique qui compte, de jeter un regard plus introspectif sur ceux qui font le cinéma.

Que souhaiteriez-vous au cinéma contemporain québécois?
Le cinéma québécois contemporain est riche, varié, en pleine expansion. Les cinéastes de la relève persistent et signent malgré des subventions qui reculent d’année en année. Le cinéma québécois est composé de cinéastes qui, quel que soit l’état des lieux économiques, trouveront toujours le moyen de tourner. Entre eux et le cinéma, une relation stable, durable, voire impossible à briser. Le souhait est de voir que le cinéma québécois devienne de plus en plus universel tout en conservant sa riche particularité… également de s’ouvrir aux nouvelles cultures.

 

Élie Castiel nous suggère quatre livres dont les adaptations cinématographiques ont été à la hauteur :

L’étranger d’Albert Camus
Malgré les réserves de quelques critiques, l’adaptation de Luchino Visconti retient l’âme du roman, ses divers bouleversements, sa présence. Il y a même une sensualité qui rend le film très proche dans la rencontre entre le corps et l’esprit. À mon sens, tout à fait réussi.

Le mépris d’Alberto Moravia
Jean-Luc Godard respecte l’auteur autant qu’il démontre de la maestria dans une œuvre personnelle. Le mépris, c’est la transcendance du Moravia, tout en lui accordant sa grandeur. Godard répond aussi à un besoin économique en transformant Brigitte Bardot en actrice sublime. Il redonne finalement au média cinéma la place qu’il mérité dans la culture en général. Une véritable œuvre gigogne dans la mesure où elle évoque les films précédents et annonce les prochains. Quant à l’adaptation, elle se défend toute seule.

Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh
La vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, Palme d’or au Festival de Cannes 2013. L’érotisme sans complaisance, le rapprochement des corps sans équivoque, l’instinct du désir, l’âme en suspens. Toutes ces caractéristiques sont illustrées de façon aussi magistrale qu’étonnante. Et les deux actrices, Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, triomphent par leur intériorité, candide, désespérée, en marge d’une société réductrice. Adaptation d’une émouvante sincérité.

Les oiseaux vont mourir au Pérou de Romain Gary
L’auteur lui-même réalise le film. Peut-être trop proche de son roman, intellectuellement investi dans un média qui n’est pas normalement le sien. Mais il se plaît à manipuler les comédiens, dont une brillante Jean Seberg (autre héroïne gordardienne) qui trouve en cet auteur devenu cinéaste l’espace d’un tournage une sorte de rapport énigmatique à l’individu. En 1972, Gary tourne un second et dernier long métrage, Kill, déjà oublié.

 

Bio éclair

Après une maîtrise en études cinématographiques et un parcours en bibliothéconomie à l’Université Concordia, Élie Castiel devient critique de cinéma pour 24 Images. Puis, en 1987, il commence une collaboration avec Séquences, qui se soldera en 1999 par un poste de rédacteur en chef. Celui qui avoue avoir une préférence pour le documentaire (« ce qui n’empêche pas que certaines fictions transcendent la notion même de cinéma », ajoute-t-il) nous conseille justement de visionner un film méconnu : La bête lumineuse, un « documentaire magistral et mythique de Pierre Perrault ».  

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