Le côté obscur du corps

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Objet de fascination et de désir, le corps s'est moulé, de multiples manières et à travers les siècles, sous le regard des différents peuples. Caméléon par excellence, synonyme d'interprétations infinies, métaphore des rêves les plus fous, l'Art, tout naturellement, s'en est emparé pour le modeler selon son plaisir. Voici un coup d'œil sur quelques beaux volumes qui portent sur la vision du corps par des hommes de tous les temps.

Le corps idole

Des peintures retrouvées sur les murs des grottes aux figurines préhistoriques, les premiers balbutiements en matière artistique ont été centrés, en grande majorité, sur l’aspect essentiel du divin. D’une facture épurée fort pertinente, 5000 ans de figures humaines présente des statuettes du monde entier de toutes les époques et dévoile comment l’humain a pu — et peut encore de nos jours — incarner force et fertilité. Chaque photo est précédée d’un texte fort évocateur signé par des artistes issus de divers domaines. Un objet de collection luxueux.

Le corps sacré

De l’invention des dieux a ensuite découlé des visions lourdes de sens. L’icône, une école du regard, brosse un tableau complet des principales images sacrées des différentes religions. Les icônes constituent le lien entre les mondes matériel et spirituel et donnent lieu à des lectures esthétiques, liturgiques, traditionnelles et anthropologiques stupéfiantes. Ce sont de véritables œuvres d’art, aux règles établies au sein d’un contexte catholique un peu rigide, certes, mais qui a su laisser une souplesse signifiante dans l’interprétation de ses déités. Les grands symboles religieux illustrés avec maestria.

Le culte du corps

Sur une note plus contemporaine, une découverte fascinante parmi la profusion des ouvrages consacrés à la mode, L’allure des hommes. L’ouvrage, qui survole deux siècles d’histoire du style masculin, propose des clichés d’hommes célèbres qui ont marqué l’imaginaire collectif, tant par leur métier que par leur mise vestimentaire. Mélange de magnétisme et de mouvement plus obscur que la simple beauté physique, l’allure est distinctive, personnelle, et relève de la perception sensorielle. Tous les secrets de ces modèles d’élégance enfin dévoilés, même ceux du beau Brummell. Un plaisir pour les yeux.

Le corps objet

L’an dernier à pareille date, peu de gens ont pu mettre la main, ne serait-ce qu’en raison de son prix, sur l’imposant Sumo, d’Helmut Newton. Qu’à cela ne tienne, Taschen publie Work, une rétrospective de la carrière de celui qui allie avec un sens du grotesque imparable le nu et la luxure. Le corps, chez Newton, devient architecture sensuelle que les diktats de la mode veulent parfaite, modelée à même nos fantasmes les plus absurdes. Ainsi, la série consacrée aux ébats amoureux de mannequins relève du chef-d’œuvre de l’ironie tandis que les « Big Nudes » et les « Domestic Nudes » frappent par leur candeur et leur insolence crue. Rarement une rétrospective n’aura témoigné avec une telle éloquence de l’audace de celui qui doit déjà être considéré comme un des grands photographes du XXe siècle, en compagnie de Cunningham, Weston et de Jean-Loup Sieff.

Un corps de siècle

Le succès des recueils Le corps et Amour et désir (Assouline), a confirmé le talent d’anthologiste de William A. Ewing qui explore, dans Le siècle du corps, la vision de l’humain à travers l’objectif photographique, et ce depuis l’invention du medium. La richesse de l’ouvrage tient majoritairement au soin apporté à la présentation des œuvres tantôt destinées à un usage médical, tantôt surréalistes, abstraites ou coquines. Si Le siècle du corps se veut plus sobre et certes moins complet que Le corps, sa superbe facture et la pertinence des textes qui accompagnent les œuvres devraient néanmoins plaire à l’amateur de photographie à la recherche de sérieux. Enfin, malgré la froide rigueur de l’ensemble, nombre d’œuvres sont empreintes d’une telle émotion qu’on y revient souvent, car, malgré l’apparente banalité de la chair, le corps promet encore bien des révélations.

Le corps illimité

Depuis cinquante ans, les visions artistiques du corps ont évolué de façon tout à fait radicale, souvent jusqu’aux limites de la décence. De telles avancées ont surtout été effectuées dans le cadre de performances où le corps sert à la fois d’objet et de sujet du travail d’un artiste, victime consentante d’actes transgressionnistes et provocateurs, mais toujours réfléchis. Dans The Artist’s body, Tracey Warr et Amelia Jones se sont penchées sur cet art controversé avec minutie et un sens rare de la vulgarisation ce qui s’avère souvent nécessaire afin de comprendre ce qui anime ces artistes de l’« extrême ». Certes, ce livre ne s’adresse cependant pas à tous les publics, mais la qualité globale de l’ouvrage devrait intéresser les amateurs d’art actuel. Fait à noter, The Artist’s body est uniquement disponible en anglais, mais fera peut-être l’objet d’une traduction au cours de l’année à venir.

Plus modéré, Nerve/Nu(e)(s)(es), qui rassemble les sélections du magazine du même nom, offre un portrait rafraîchissant des avenues qu’emprunte la vision du corps en photographie contemporaine. Fait à noter : contrairement aux multiples recueils quelquefois tapageurs qui peuplent les rayons consacrés à la photographie, cette anthologie ne présente que peu d’érotisme et livre surtout un regard d’une grande profondeur sur le corps, dépouillé des artifices de la mode. Certaines œuvres, particulièrement celles d’Andres Serrano, de Ralph Gibson et de Robert Stivers, brillent par leur ingéniosité et leur sens du scandale. Un incontournable pour tâter le pouls de la photographie actuelle.

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Les choix d’Hélène :

5000 ans de figures humaines, Collectif, Hazan
L’icône : Une école du regard, Jean-Yves Leloup, Le Pommier, coll. Lire l’image
L’allure des hommes, François Baudot, Assouline

Les choix d’Antoine :

Sumo, Helmut Newton, Taschen
Helmut Newton : Work, Taschen
Le siècle du corps, William A. Ewing, La Martinière
Le corps, William A. Ewing, Assouline
Amour et désir, William A. Ewing, Assouline
The Artist’s Body, Tracey Warr & Amelia Jones, Phaidon
Nerve/Nu(e)(s)(es), Genevieve Field, Seuil/Chronicle Books

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