Des blagues, des mots, des brèves, Desproges

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L'humour est un drôle de phénomène, difficile à définir et pourtant très présent dans nos vies. Et sa manifestation potentielle au sein de la langue, écrite comme parlée et parfois à notre insu, est indéniable. Les livres mentionnés dans le présent article gravitent, soit en l'analysant soit en l'incarnant, autour de cette observation.

Débutons par Petite philosophie des blagues et autres facéties. Ce livre est le fruit d’une enquête journalistique très sérieuse menée par Jim Holt pour le compte du New Yorker. L’auteur reçoit d’abord la commande d’écrire une histoire des blagues et des gens qui en font la collection. De prime abord, il est fermement convaincu que tout cela se fera «les doigts dans le nez» puisqu’il y a sûrement des tas de volumes sur le sujet empilés dans les bibliothèques. Que nenni! Se penchant pour la première fois de sa carrière et aussi sérieusement sur cet élément des plus communs de la culture populaire, il est à même de constater le vide que son travail aura à combler. C’est sur cette prémisse que cet ancien étudiant en philosophie, passionné de sciences et lui-même collectionneur d’histoires drôles, s’est lancé dans cette
exploration des méandres et des méca­nismes de l’humour à travers le temps.

Il résulte de cet exercice un ouvrage plutôt mince, mais au contenu plein d’ouvertures pour des études qu’on imagine plus exhaustives sur le même sujet. Toutefois, le caractère largement insaisissable du sujet, soit l’humour, est convenablement mis de l’avant par Jim Holt. S’appuyant entre autres sur l’étude de Freud sur les mots d’esprit et celle de Bergson sur le rire, consultant des recueils d’histoires drôles remontant jusqu’à l’Antiquité et favorisant une approche mêlant les outils de l’ethno­logie et de la philosophie, il triture son sujet en quête d’une définition précise qui ferait la lumière sur ses ressorts, la persistance dans le temps de certains schémas de blagues et l’extinction de certains autres, etc. Pour humblement en conclure que si la mécanique du rire est scientifiquement démontable, celle de l’humour demeure mystérieuse. Simple à lire, amusant, ce livre vaut le détour, ne serait-ce que pour les histoires drôles qu’on peut y glaner.

Blague à part
Et si la quintessence de l’humour est difficile à cerner, ce dernier demeure toutefois considérablement repérable. Surtout lorsqu’il se mêle au verbe et s’en sert comme véhicule. Bref, quand l’humour chevauche la langue, cela donne souvent un rodéo étrange où peuvent se succéder la plus fine des sophistications de l’esprit et la plus insidieuse des conneries. Et c’est ce que cet érudit de Claude Gagnière met en lumière dans ce Grand bêtisier des mots. Les plus belles perles d’Aristote à Pierre Desproges. Cette compilation de perles comporte un éventail très vaste de ce que la langue a produit de meilleur en termes de facéties et de drôleries, car le regretté Gagnière a toujours été un maître dans l’art de bien les choisir. Ce livre posthume offre l’occasion d’une lecture baladeuse au gré des catégories établies par ce dernier.

Inconscientes jusqu’à l’absurde ou conscientes jusqu’à la méchanceté gratuite, ces perles choisies nous sont exposées de façon magistrale et délicieuse. Un vrai régal pour l’amateur de mots d’esprit, qui pourrait trouver un complément de choix avec le deuxième tome des Nouvelles brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio. Une nouvelle pêche miraculeuse pour ce dernier, qui écume les tripots et les bistrots depuis des années, à l’affût des manifestations excentriques de l’esprit et du langage qui sont exclusives à ce genre d’établissement, prises en sandwich entre deux lampées de gros rouge ou de pastis. On retrouve dans ce nouveau recueil toutes les nuances de cet art si particulier d’acculer au pied de la lettre les expressions toutes faites. On y retrouve aussi cette poésie brute, comme on le dit de l’art, pleine de verdeur rafraîchissante ou de bêtises «décoiffantes», c’est selon, posant parfois un regard déroutant sur le monde actuel et les grands mystères de la vie. Et, bien entendu, on peut y lire ces grandes vérités qui ne se trouvent qu’au fond des verres et qui nous sont servies avec une certaine convivialité et un clin d’œil amusé. Une autre occasion de lecture baladeuse qui peut autant se déguster en solitaire qu’en groupe.

Pince-sans-rire
À ranger tout près de ces brèves, dans le rayon où s’entremêlent le rire et les mots, cet objet bizarre qui s’intitule Les moustiques n’aiment pas les applaudissements. Véritable ribambelle de jeux de mots et de calembours désopilants ou grotesques, tous prétextes à de fausses publicités, des slogans loufoques et autres facéties tordues… Des exemples? «On ne dit pas le dernier délai mais le plus nul des moches», «Mieux vaut être une vraie croyante qu’une fausse sceptique», etc. L’auteur de ces contorsions langagières? Un mystérieux Auguste Derrière qui serait né en 1898. Rien qu’avec ce nom, ça sent déjà le canular. Mais qui s’en soucie? Le livre, de belle allure, possède d’indéniables qualités graphiques qui, à elles seules, peuvent valoir le détour, et les jeux de mots qu’on y trouve sont garants du plus délicieux divertissement.

Pour terminer ce tour d’horizon de quelques parutions récentes qui prêtent à rire, j’opte pour la dernière biographie de celui qui, par le biais de l’humour, a porté la langue française à ses plus hauts sommets. Je parle ici de Pierre Desproges, dont l’humour grinçant a marqué de façon durable le paysage culturel de l’Hexagone. Peut-être un peu trop franco-français pour percer considérablement en terre québécoise, l’œuvre de ce grand humoriste mort trop tôt mérite toutefois qu’on s’y attarde. À mon humble avis, il était à l’humour ce que Georges Brassens était à la chanson française, dans une classe à part et qui hausse considérablement le niveau. C’est en constatant le fait que Desproges est cité quasi quotidiennement dans les médias, plus de vingt ans après sa mort, que les ventes de ces livres ne dérougissent pas et que les jeunes humoristes s’en réclament comme d’un maître, que Dominique Chabrol a eu l’idée de remettre à jour la biographie de ce dernier, Desproges est de moins en moins mort. On peut y retracer le parcours atypique de ce dernier, lui dont le talent ne fut pleinement reconnu que lorsqu’il atteignit l’âge de 40 ans. Enfance bourgeoise, la vingtaine en vadrouille, les débuts dans la presse écrite, la télé, la radio jusqu’à la scène. Un bel hommage à cet humoriste sans compromis, maniant les mots avec un style unique dans le plus vaste des registres.

Bibliographie :
Petite philosophie des blagues et autres facéties, Jim Holt, 10/18, 124 p. | 18,95$
Le grand bêtisier des mots. Les plus belles perles d’Aristote à Desproges, Claude Gagnière, Points, 314 p. | 14,95$
Les nouvelles brèves de comptoir (t. 2), Jean-Marie Gourio, Robert Laffont, 426 p. | 45,95$
Les moustiques n’aiment pas les applaudissements, Auguste Derrière, Le Castor Astral, 160 p. | 25,95$
Desproges est de moins en moins mort, Dominique Chabrol, Bernard Pascuito éditeur, 336 p. | 43,95$

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