Univers en expansion ou fin de cycle?

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L'évasion offerte par le fantastique, la science-fiction et les légendes exerce régulièrement son attraction sur les jeunes lecteurs, et ces dernières années ont donné naissance à une quantité remarquable de nouveaux livres qui leur sont spécifiquement destinés. Jamais les littératures de l'imaginaire, en particulier le monde légendaire et magico-médiéval de la fantasy, n'ont été aussi populaires chez les jeunes ni aussi activement mises en marché par les éditeurs, dans un élan qui touche aussi, à l'échelle planétaire, le monde du cinéma. D'«Artemis Fowl» aux «Chroniques du bout du monde», d'«Amos Daragon» à la série «Au-delà de l'univers» d'Alexandra Larochelle en passant par «Harry Potter», les séries à succès sont nombreuses sur les rayons des libraires.

Au moment où le 7e livre des aventures de Harry Potter se pointe à l’horizon, on peut toutefois commencer à se demander si la vague n’a pas atteint son sommet et si, privées bientôt de quelques-uns de leurs plus grands porte-étendards, les littératures de l’imaginaire ne pourraient pas retomber dans un creux relatif, au fil des prochaines années. Quand les journaux ne rempliront plus de pages simplement pour annoncer le titre du prochain Harry ou pour raconter que l’auteure a eu des ennuis avec la sécurité aéroportuaire parce qu’elle voulait conserver son manuscrit avec elle à bord d’un avion, n’aura-t-on pas perdu un peu de l’aura de merveilleux et de l’excitation qui rejaillissait indirectement sur les autres séries du «genre»?

À l’échelle du Québec, qui s’est joint avec beaucoup de succès à ce grand souffle des imaginaires pour la jeunesse, on peut aussi se poser la même question avec la fin d’«Amos Daragon», une véritable locomotive du genre à l’échelle nationale. Selon le site Internet de l’auteur, Bryan Perro, la série s’est vendue à plus d’un million d’exemplaires au Québec et ailleurs dans le monde (les 13 tomes ayant été traduits en 18 langues, du japonais au turc en passant par l’allemand et l’espagnol). Le cycle s’est arrêté avec la publication, l’automne dernier, de La Fin des dieux, un titre qui annonce clairement le point final. Les versions manga des tomes précédents continueront de prendre le relais et on parle maintenant d’une série télé, mais l’enthousiasme peut difficilement être le même que celui qu’a suscité l’attente de nouvelles aventures.

Après tout, même les classiques éprouvés connaissent des cycles… de popularité. «Le Seigneur des anneaux», qui avait fait le bonheur parfois obsessif de bien des adolescents des années 70 et 80, a connu un certain purgatoire dans les années 90 avant que Peter Jackson ne le ressuscite en grande pompe avec son adaptation cinématographique. Tout en conservant un noyau de lecteurs, le genre peut perdre un peu de son lustre. Le vent serait-il en train de tourner vers les livres plus «réalistes» (sans magie, du moins), du genre «Quatre filles et un jean»?

Encore des héros
Disons que les héros de cape, d’épée, de dragons et de sorciers n’ont pas dit leur dernier mot. La «Trilogie de l’Héritage» de Christopher Paolini, amorcée avec Eragon et poursuivie avec L’Aîné, fait bonne figure aux palmarès des ventes, ici et à l’étranger, avec l’aide, encore une fois, du cinéma. Cette série épique reprend avec succès des éléments phares du genre – l’enfant héros et le dragon — avec un méchant roi et de sombres ennemis pour bien camper les enjeux dramatiques.

Au Québec, «Les Chevaliers d’émeraude» d’Anne Robillard font aussi constamment le plein de jeunes lecteurs. Avec la parution, fin janvier, de Représailles, on en arrive au 10e tome d’une série qui en comptera «au moins» 12, selon l’auteure. Une histoire qu’on évitera d’attraper au vol, car ses ramifications foisonnantes et complexes se déploient sur un fond mystique tout à fait original, voire singulier. Dans le plus récent volume, le royaume d’Enkidiev se trouve menacé par des larves d’hommes-insectes guerriers qui sommeillent dans le sol du royaume depuis trois ans et qui s’apprêtent à revenir à la vie — un épisode qu’il faut certainement pouvoir mettre en contexte. De plus, les personnages sont dotés de divers pouvoirs ésotériques (il y a des hybrides, des dieux déchus… ) et entretiennent entre eux et avec les royaumes des relations compliquées qui épuiseront probablement bien des parents, mais qui feront le bonheur émerveillé de bien des jeunes, de 10 ans à l’adolescence.

Élément plus rare, la série comporte aussi une touche inhabituelle de sensualité, puisque des chevaliers (qui sont des deux sexes, rappelons-le) forment aussi des couples que l’on retrouve dans des moments intimes, sans descriptions explicites, mais avec un contexte qui dépasse le chaste baiser.

Enfin, plusieurs autres séries connaissent un succès non négligeable, comme «Le Labyrinthe des mondes» de Richard Petit, un auteur qui avait fait des incursions appréciées dans le monde de l’horreur pour la jeunesse, et qui met en scène, dans les deux premiers tomes parus, de jeunes «Lagomiens» qui défendent leur atoll contre un guerrier démoniaque déterminé à les soumettre. On peut aussi penser à toute la gamme des séries parues aux éditions Les intouchables et conçues sur le modèle «Amos Daragon»: «Léonis» de Mario Francis, «Darhan» de Sylvain Hotte, «Pakkal» de Maxime Roussy et, dans un rare élan de féminité, «Celtina» de Corinne de Vailly, dont un quatrième tome, La Lance de Lug, doit paraître d’ici le printemps. Jouant sur un pan particulier du patrimoine historique et légendaire de l’humanité (respectivement l’Égypte, l’empire mongol, les royaumes mayas ou le monde des Celtes), toutes ces séries conjuguent la débrouillardise et les talents particuliers d’un jeune héros à une panoplie de créatures fantastiques ainsi que d’alliés et d’ennemis bien humains. Un pied dans la réalité de la jeunesse et l’autre dans son imaginaire: une combinaison gagnante qui assure le succès du genre depuis les premières légendes du monde.

Bref, il y aura peut-être encore des petits creux de vague, mais les royaumes fantastiques devraient continuer de faire le bonheur de bien des jeunes lecteurs… pour des siècles et des siècles.

Bibliographie :
Eragon : Trilogie de l’Héritage (2 t. parus), Christopher Paolini, Bayard Jeunesse, 29,95$ ch.
Les Chevaliers d’émeraude (10 t. parus), Anne Robillard, Éditions de Mortagne, 19,95$ à 24,95$ ch.
Le Labyrinthe des mondes (2 t. parus), Richard Petit, Boomerang, 8,95$ ch.
Celtina (3 t. parus), Corinne de Vailly, Les intouchables, 8,95$ ch.

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