Sergio Kokis : L’amour du lointain

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«Écrire n'est pas mon ambition, mais vivre. J'ai vécu. Maintenant j'écris.» Ce n'est certes pas un hasard si le romancier et peintre d'origine brésilienne Sergio Kokis a choisi de faire figurer cette citation de Blaise Cendrars en exergue à L'Amour du lointain (XYZ éditeur), son plus récent ouvrage.

Réflexion sur la lecture, l’écriture et la création, ce « récit en marge des textes » affirme l’opposition radicale entre l’existence et la littérature : « Quand je vis, quand je peins, l’écriture est complètement annihilée, elle s’efface. Il faut comprendre que cette activité est du domaine de la solitude, du domaine spirituel — ce qui l’oppose à l’action, qui est le moteur de la vie selon Cendrars. Je ne crois pas qu’il y ait de place pour la littérature dans l’action. C’est juste quand je ne peux pas agir, quand il me faut panser mes plaies que la littérature s’impose. » Il y a déjà longtemps que Kokis, dont les romans denses, nourris de réflexions d’ordre métaphysique, envisageait cette pause dans son œuvre romanesque, question de revisiter son propre jardin : « J’étais intrigué par le paradoxe suivant : l’écriture romanesque m’a toujours semblé extérieure à mon existence, j’y suis venu de manière accidentelle. Mais aux yeux de beaucoup, dont tous ces gens qui rêvent de devenir écrivains, l’écriture a une importance capitale. Alors je me suis mis à songer à ce glissement vers la littérature ; j’ai voulu savoir comment j’y étais venu et pourquoi la littérature avait fomenté ce coup d’État contre la peinture. » À la lecture de L’Amour du lointain, on pensera bien sûr à Kundera, mais surtout à Sartre, dont Kokis se réclame volontiers : « J’ai voulu mettre en forme mes interrogations et mes intuitions, un peu à la manière de Sartre dans ses ouvrages sur Flaubert ou Genet. J’entendais me livrer comme lui à une sorte d’enquête archéologique sur cette source de langage. Évidemment, ce qui me distingue de Sartre, c’est que je n’ai pas eu dans mon enfance de modèles comparables aux siens, mes parents étaient de classe modeste et savaient à peine lire. » De ses dix romans publiés depuis son entrée fracassante en nos lettres avec Le Pavillon des miroirs en 1994, le psychologue et peintre venu à la littérature par accident dira : « Ils sont liés les uns aux autres par une certaine homogénéité dans le type de personnages et dans la nature des réflexions dont ils sont porteurs. Il y a des éléments qui se répètent de livre en livre, dont cette quête intérieure, cette quête d’une identité qui se dérobe perpétuellement. Avec le recul, je constate que mes fantaisies, mes mythes personnels ont été pour moi une sorte de champ d’exploration morale. Je me suis sciemment confronté à mes propres limites. Voilà pourquoi je peux dire, sans fausse modestie, avec lucidité, que j’estime être le meilleur lecteur de mes propres romans. Au fond, j’ai écrit pour moi d’abord des livres essentiels : ceux qui manquaient dans ma bibliothèque, sans lesquels elle n’aurait pas été complète. Je suis intégralement dans ces romans ; ils renferment tout ce qui m’intéresse, tout ce que je suis. »

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