Regroupement des éditeurs littéraires indépendants (RELI): Tous pour un

23
Publicité

En octobre 2006, quatre éditeurs parmi les plus importants au Québec s’unissaient pour contrer la concurrence de plus en plus féroce et affirmer la primauté de la littérature. Un an plus tard, le libraire — désormais l’organe officiel d’un groupe partageant leurs idéaux, les Librairies indépendantes du Québec (LIQ) — a rencontré les quatre mousquetaires du Regroupement des éditeurs littéraires indépendants (RELI). Pour faire le point. Et réfléchir à la suite...

Réunis pour le petit-déjeuner au Café Cherrier, messieurs Pascal Assathiany de Boréal, Antoine Del Busso de Fides, Hervé Foulon d’Hurtubise HMH et Jacques Fortin de Québec Amérique rigolent comme des gamins en récréation dès la première question, quasi rhétorique, sur le bilan de la première année de leur Regroupement. «Très positif!», de s’exclamer Hervé Foulon. «Pourrait faire mieux et plus», de nuancer Assathiany, pince-sans-rire. «Sans doute faut-il dire que c’était une idée de Jacques Fortin, une idée que j’ai tout de suite trouvée bonne, rappelle Antoine Del Busso, plus sérieux. Il s’agissait de démontrer qu’on pouvait faire à quatre ce qu’aucun de nous ne pouvait faire seul. Il ne faut pas y voir une déclaration de guerre contre Quebecor ou quiconque. Un bon ami éditeur me dit: “ Vous faites de la politique; pourquoi ne pas laisser ça à l’ANEL (Association nationale des éditeurs de livres)? ” Ça n’a rien à voir, de toute façon, deux d’entre nous ne sont pas membres de l’ANEL.»

Front commun pour la littérature
«C’est une affaire de pragmatisme; d’abord, parce que c’est impossible d’obtenir le consensus sur quoi que ce soit à l’ANEL», explique Jacques Fortin, à qui l’on doit l’idée du projet, en évoquant les tiraillements internes de cette association qui réunit des membres aux volontés et aux préoccupations trop souvent divergentes et irréconciliables (les éditeurs littéraires d’une part, les éditeurs scolaires de l’autre). «Nous sommes quatre, mais rien ne nous empêchera d’accueillir d’autres maisons aux visions semblables aux nôtres, de préciser Hervé Foulon. Nous en avions même approché d’autres, au moment de fonder le Regroupement.»

À ce sujet, plusieurs observateurs s’étaient étonnés de ne pas retrouver au sein du RELI les éditions Leméac, maison animée par un esprit compatible avec celui du regroupement. Si la patronne Lise Bergevin, qui a toujours manifesté une solidarité exemplaire avec les libraires indépendants, s’est bien gardée de se prononcer sur le RELI, le nouveau directeur éditorial Jean Barbe, lui, ne s’est pas gêné pour émettre un point de vue critique. Du gaspillage de papier, destiné aux bacs de recyclage, de décréter à une reporter du Journal de Montréal le chroniqueur et romancier à propos du dépliant publicitaire couleur du RELI. À en croire le discours de Barbe sur les nombreuses tribunes à sa disposition, nul besoin de s’inquiéter de la concentration et de l’intégration verticale dans le domaine de l’édition: il y aura toujours de la place pour les bons livres, les jeunes auteurs, les petites maisons et tout va pour le mieux dans ce meilleur des mondes néolibéral. Évidemment, il s’en est trouvé plus d’un dans le milieu pour se demander ce qui peut inspirer pareil optimisme bon enfant à l’ex-rédacteur en chef du journal Ici, que Quebecor sollicitait encore il n’y a pas si longtemps à titre de consultant externe sur le destin de cet hebdo culturel…

«Nous avons joint nos efforts d’abord et avant tout pour faire la promotion de la littérature québécoise, réaffirme Jacques Fortin. Le dépliant que nous publions conjointement présente prioritairement des ouvrages de littérature. C’est cette production-là que nous voulons mettre de l’avant.» C’est d’une même voix que les partenaires déplorent l’espace dévolu à la littérature dans les médias, et plus particulièrement les télévisions publiques, qui donnent l’impression d’avoir jeté la serviette. «Ce n’est qu’un dépliant publicitaire, bien sûr. Mais tiré à 400 000 exemplaires, il est pour nous une manière de compenser l’absence de nos auteurs dans l’agora médiatique, renchérit Fortin. Nos écrivains, on ne les voit presque jamais à la télé, on les entend peu à la radio. Il faut se lever et le dire.»

À la guerre comme à la guerre
Le plus cinglant du groupe, Pascal Assathiany, ne mâche pas ses mots pour fustiger l’apparente démission de Radio-Canada. «[Les patrons de la société d’État] ont pratiquement supprimé les pages livres du site Web www.radio-canada.ca, sous prétexte qu’elles n’étaient pas assez visitées. Et si tu prends la programmation de Radio-Canada, pour la nouvelle saison, ils ont encore trouvé le moyen d’éjecter le livre et la littérature. Ils ont programmé leur magazine culturel le dimanche après-midi à une heure où on est à peu près sûr qu’il n’y aura personne devant son écran, entre 15h et 17h. Et leur seule émission de radio sur le livre passe à peu près en même temps [entre 14h et 16h].» Et Hervé Foulon d’enchaîner: «Ils se font concurrence à eux-mêmes, scindent l’auditoire qui s’intéresse au livre en deux, pour pouvoir ensuite affirmer que de telles émissions n’attirent pas suffisamment de public.»

En somme, il ne fait aucun doute que la visibilité médiatique est l’un des nerfs de cette guerre non déclarée qui se déroule dans le milieu du livre, guerre dont le plus gros acteur, l’empire Quebecor, a réussi une intégration verticale sans précédent dans l’histoire de l’édition d’ici. À l’heure actuelle, le conglomérat contrôle chaque étape de la production, de la diffusion et de la promotion de ses livres, depuis les imprimeries jusqu’aux librairies en passant par les magazines et journaux à grand tirage, sans oublier la télévision. Et même si Quebecor ne peut créer des best-sellers à coup sûr, tous les rouages de son omnipotente machine concourent à imposer au lectorat, par le biais de campagnes de marketing particulièrement persuasives et d’une guerre des prix de certains titres bien ciblés. Et inutile de dire que ce ne sont pas forcément les recueils de poésie publiés à l’Hexagone…

«Ce que je trouve grave, c’est que de plus en plus de livres s’apparentent au fast-food, d’opiner Hervé Foulon. L’idée de constituer un catalogue d’éditeur, un fonds littéraire, est en train de disparaître. Un fonds, ça se développe, ça se travaille. Et c’est ce qui distingue des éditeurs comme nous des simples vendeurs de livres, uniquement préoccupés par les bénéfices faciles, mais qui ne s’inscrivent pas dans la durée.»

En effet, pourrait-on dire pour conclure, c’est ce qui relie nos quatre mousquetaires.

Publicité