Paul Ohl: Genèse d’un héros

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Essayiste, romancier, biographe, scénariste, ancien militaire, passionné de sport, Paul Ohl cumule les intérêts et les expériences les plus diverses. Grand conteur, il évoque avec force détails les parcours mouvementés de ses héros car, il faut le dire, Paul Ohl a la passion des hommes valeureux. Chez lui, le héros est fort, brave et affronte les obstacles avec dignité. Cette description convient parfaitement au nouveau champion de l'écrivain, le légendaire Jos Montferrand, qu'on retrouve dans le roman Montferrand: Le prix de l'honneur.

Une mission
Si son imaginaire l’a longtemps entraîné en des terres lointaines (le Japon avec Katana, le Pérou avec Soleil Noir ou encore l’Afrique avec Black), Paul Ohl entame cette fois-ci un nouveau cycle romanesque québécois avec le livre Montferrand: Le prix de l’honneur. L’écrivain se propose maintenant de faire découvrir aux lecteurs d’ici la force de leurs héros nationaux. Après une biographie consacrée à l’homme fort Louis Cyr, Paul Ohl nous revient avec un ouvrage dédié au légendaire Jos Montferrand. Mais qu’est-ce qui attire soudainement le romancier du côté de la culture populaire québécoise? «Il y a une raison pour Jos Montferrand: j’arrive à 35 ans de carrière et pendant 33 des 35 ans, on m’a toujours reproché d’écrire sur ailleurs et jamais sur ici. Montferrand est mon entrée dans le roman de chez nous», explique l’infatigable conteur.

De prime abord, on se demande si Paul Ohl ne tombe pas dans la redite: encore un homme fort! Interrogé à ce sujet, l’écrivain réplique aussitôt que Louis Cyr et Jos Montferrand sont très différents: «Le fait d’associer Jos Montferrand à la notion d’homme fort comme on la conçoit est tout à fait erroné. Jos Montferrand n’avait pas une force herculéenne comme Cyr, il n’en faisait pas métier non plus. Certains historiens ont malheureusement fait des équations simplistes: Jos Montferrand égale  » homme fort « . Je pense plutôt: Montferrand, champion des Canadiens-français».

Montferrand, Monfraw, Mouffreau et même Murphy, voici les divers patronymes qui ont été donnés au célèbre Joseph Favre dit Jos Montferrand, né le 25 octobre 1802 à Montréal et décédé le 4 octobre 1864. De l’homme on sait peu de choses, si ce ne sont ces deux dates, celle de sa mort et celle de sa naissance. C’est d’ailleurs dans cette brèche que s’engouffre allègrement l’écrivain de Québec: «Je revendique le droit de donner une jeunesse à Jos Montferrand. Je poursuis une oeuvre, je prends l’opuscule de Benjamin Sulte, le grand journaliste, et, près de 125 ans plus tard, je débarque avec Jos Montferrand dans toute sa splendeur réinventée, parce que Benjamin Sulte a inventé une partie de l’histoire de Montferrand à partir de témoignages divers… Je me présente aux Québécois et Québécoises comme celui qui, 125 ans après, va leur donner un Jos Montferrand gonflé aux hormones. Je donne également suite au travail de Sir Wilfrid Laurier parce que Montferrand était le héros de ce dernier.»

Héros malgré lui
C’est donc le portrait d’un champion que propose Paul Ohl avec Montferrand: Le prix de l’honneur. L’écrivain propose ici une oeuvre romanesque. Ce mystérieux Jos Montferrand, il va l’étoffer, lui donner une jeunesse, une famille, bref, une histoire. Il va tenter de comprendre comment un individu devient un héros. Pour ce faire, il va d’abord restituer à Jos Montferrand ses origines françaises et remonter le cours de l’histoire familiale. Il va chercher ce qui se cache derrière ce nom. Pour Paul Ohl, «le nom « Montferrand » est une métaphore. Il évoque un lieu extraordinaire en France, le Château de Montferrand, un château jamais pris. L’histoire des Montferrand que l’on retrouve en France est une histoire de résistance» qui, dès le départ, met en place le destin du héros québécois.

En effet, dès son plus jeune âge, le jeune Montréalais doit faire face aux brimades que lui attire son physique, exceptionnel pour l’époque: «Les autres formaient maintenant un cercle autour d’eux. L’atelier avait l’allure d’une arène. C’était un moment de vérité qui annonçait une bagarre en règle. Les paroles de Dallaire, considéré comme le boulé de la bande, signifiaient le chant du coq. Si Montferrand se défilait, on le tiendrait pour lâche, peu importait son jeune âge. Or, l’effet de la couardise était dévastateur pour quiconque tenait ne fût-ce qu’à une parcelle de son honneur», écrit Paul Ohl. Le sens de l’honneur étant l’une des vertus cardinales du héros, il combattra avec succès le gros Dallaire ainsi que tous ceux qui lui chercheront noise au cours de sa jeunesse. Ces années d’apprentissage se déroulent d’ailleurs principalement à Montréal, où règne alors l’ordre des Sulpiciens, véritable propriétaire de la ville.

Auteur formé aux romans historiques, Paul Ohl se fait un devoir de reconstituer le Montréal des débuts du XIXe siècle: «Je me suis senti obligé de montrer la toile de fond, pour prouver que je savais de quoi je parlais. Je désirais instaurer une crédibilité de présence… Je souhaitais que lecteurs et lectrices vivent la jeunesse de Jos Montferrand. D’où venait-il? Pourquoi et comment est-il devenu un symbole?» L’écrivain va donc parler des forces politiques en présence: les Anglais, nouveaux maîtres de la colonie côtoyant les Sulpiciens, eux-mêmes désireux de ne pas perdre leurs prérogatives, le tout sur fond de mécontentement populaire.

Premier tome d’une oeuvre qui fera près de mille pages, Montferrand: Le prix de l’honneur est un roman à saveur historique où fiction et réalité s’entrecroisent au gré des fantaisies de l’auteur. À l’instar de la plupart de ses précédents héros, Paul Ohl nous offre une fois de plus un personnage affrontant l’adversité avec courage et détermination. On a presque l’impression que l’écrivain s’est donné pour mission d’éduquer notre bonne jeunesse. Il faut voir comment des vertus comme la force, physique et morale, la patience et l’honneur sont vantées, incarnées qu’elles sont par des personnalités comme le Grand Voyer, Mathurin Salvail ou encore Cléophas Girard, le forgeron.

Dans Montferrand: Le prix de l’honneur, la reconstitution d’époque est réussie, le souffle, épique par moment et les personnages, colorés. On peine cependant à bien cerner le personnage principal ou à s’y attacher. Si on n’a pas fait une petite recherche sur Jos Montferrand avant de commencer la lecture du roman, on termine le premier volume en se demandant ce qu’a bien pu faire de si extraordinaire ce personnage pour mériter une jeunesse décrite en 370 pages. Jos Montferrand, champion des Canadiens-français? Peut-être, mais il nous faudra plus que la longue description enthousiaste d’un jeune homme «survitaminé» pour nous en convaincre totalement.

Bibliographie :
Montferrand: Le prix de l’honneur, Libre Expression, 370 p., 29,95$ En librairie le 1er octobre

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