La rentrée revue et corrigée

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Avec les premiers signes de l'automne viennent les feuilles, de nombreuses feuilles, auxquelles il faut trouver des lecteurs. Si l'abondance du choix force l'exercice, un brin ingrat, de défrichement parmi les programmes des différents éditeurs, il permet néanmoins de prévoir quelques heures passées en compagnie des auteurs qu'on aime. Seront ainsi présentés les temps forts de la rentrée dans tous les domaines, de la littérature générale au roman policier et à la science-fiction en passant par les essais, la BD et les beaux livres. Mais dans un premier temps, dans le présent numéro, aventurons-nous dans les territoires touffus des romans et des recueils de poésie d'ici et d'ailleurs. La suite en octobre.

Les bourrasques de l’automne québécois

À vue de nez, la météo, cet automne, est au beau fixe du côté de la rentrée québécoise, puisque sont annoncées quelques retrouvailles avec ces écrivains avec qui il fait bon renouer et, surtout, une diversité étonnante où pointent plusieurs jeunes plumes talentueuses. Un début de saison dans les règles, en somme. Or, on signale une première fausse note, puisqu’à quelques jours du mois de septembre, on apprenait qu’il allait falloir compter avec un absent. Après cinq ans de loyaux services, c’est la fin de L’Effet pourpre. Voir une maison d’édition baisser pavillon représente toujours un triste épilogue, surtout lorsqu’on sait que cette dernière se consacrait à la promotion d’idées et de proses novatrices, et ce, sous des couverts audacieux. Mais parce que François Couture, le père du courageux projet, est un élève turbulent, créatif et passionné, on sait qu’il pourra, lorsque le temps sera plus clément, retrouver le chemin des classes. La littérature d’ici a la couenne dure.

Revenons à des cieux plus cléments. Que seraient les premières semaines de l’automne sans le retour des chouchous tels Robert Lalonde (Que vais-je devenir jusqu’à ce que je meure? , Boréal), Gil Courtemanche (Une belle mort, Boréal), Marie Laberge (Charlotte, ma sœur, théâtre, Boréal) ou Michel Tremblay (Le Cahier bleu, Leméac/Actes Sud)? De ce sélect club, on compte aussi Jean Barbe, encore auréolé du succès remporté par Comment devenir un monstre (Prix des libraires 2005), dont on trouvera un écho dans Comment devenir un ange (Leméac). Suzanne Jacob, quant à elle, a ouvert le bal avec Fugueuses (Boréal), dans lequel les « sortilèges de la filiation » forment le cœur de l’intrigue. Pan Bouyoucas revient avec un livre dont on dit beaucoup de bien, L’Homme qui voulait boire la mer (Les Allusifs). Le récipiendaire du Prix littéraire des collégiens 2005 pour Anna Pourquoi propose cette fois de laisser place au rêve, s’offrant au détour quelques scènes savoureuses.

Il ne faudrait pas s’attendre à s’ennuyer avec deux œuvres portées par un humour fin: la suite de Voyage à Lointainville de Sylvie Desrosiers (Retour à Lointainville, La courte échelle) et Mélamine Blues de François Gravel (Québec Amérique) qui, comme Desrosiers, manie la plume avec aisance dans les domaines de la littérature adulte et jeunesse. On remarque d’ailleurs, du côté de chez Québec Amérique, une tendance à l’exubérance en parcourant les résumés des romans de Fabien Ménar (Le Musée des introuvables), un mystère à saveur livresque, de Pierre Fortin (L’Homme qui n’avait pas de table), un mystère à saveur culinaire, et de Michel Vézina (Asphalte et vodka), qui met à l’honneur le goût des grands espaces.

Chez XYZ, on peut toujours se fier à la régularité de Sergio Kokis (La Gare) ou à la truculence de François Barcelo, qui s’offre un pastiche de roman policier avec Bossalo. Denis Thériault (Le Facteur émotif), Felicia Mihali (La Reine et le soldat) et Bertrand Gervais (Les Failles de l’Amérique) complètent un programme très prometteur de la part de l’éditeur établi rue Saint-Hubert. Chez Leméac, on a misé sur les talents d’écrivain de Massoud Al-Rachid, qui signe un intriguant «conte pseudo-philosophique» (Noir destin) et sur celui, bien affirmé, de la décapante Catherine Mavrikakis, qui livre un roman au titre évocateur, Fleurs-de-crachats.

Chez Tryptique, Marie Hélène Poitras fait un retour remarqué avec La Mort de Mignonne et autres histoires. De la même cuvée, on retient Fulvio Caccia et sa Coïncidence, récit décrit comme un «Last Tango in Paris revisité par le destin», et la publication des recueils d’Hélène Boissé (Tout a une fin) et de Francis Catalano (Panoptikon). À moins que vous ne préfériez voir ce que Patrick Nicol peut bien trouver de si spécial à sa blonde pour avoir intitulé son roman La Blonde de Patrick Nicol… Quittons Montréal, maintenant: à l’autre bout de l’autoroute 20, L’Instant même propose de se laisser envoûter par les accents étranges de Si tu traversais le seuil de Françoise Roy, les nouvelles de Camille Deslauriers (Femme-boa), de Nicole Richard (Intra-muros) et de Marie-Pascale Huglo (Les trois Grâces). Sans oublier, bien sûr, le nouveau roman de son auteur phare, Pierre Yergeau (La Cité des Vents). Chez Libre Expression, on compte sur l’engouement toujours très vif pour les sagas d’antan avec la sortie de la suite de Feu de Francine Ouellette, ainsi que sur Où sont allés les engoulevents? de Louise Simard. Mais si le voyage dans le temps ne vous plaît guère, mettez le cap sur l’Afrique avec Katchanga de Gilles Gougeon, ou plongez dans la psyché d’un homme dans le coma tel qu’imaginé par Fernand Patry (Le Passeur de l’Île d’Entrée). Pour JCL, rien ne vaut la saga «Cœur de Gaël», de Sonia Marmen. Le quatrième volet, La Rivière des promesses, clôt un cycle très apprécié. Dans une veine plus contemporaine, signalons enfin Le Voyage a dit de Monique Juteau, récit inspiré des périples de l’auteure à travers le monde (Varia).

Dix ans après avoir accepté la direction littéraire du Groupe Ville-Marie littérature, Pierre Graveline a préparé, en «temps de crise», une saison faite d’espoirs avec, entre autres, La Femme aux trois déserts de Jean Bédard, Je m’appelle Bosnia de Madeleine Gagnon, la conclusion des Dames de Beauchêne de Mylène Gilbert-Dumas et Les Demoiselles aux allumettes de Marie-Paule Villeneuve. Côté poésie, on signale la parution d’une anthologie des poèmes de Pierre Nepveu (Le Sens du soleil) et le deuxième recueil des «encycliques désaxés» de Thierry Dimanche (De l’absinthe au thé vert), qui assure également la publication de la poésie des autres au sein d’une jeune maison, Le Lézard amoureux. Gaétan Soucy y fait d’ailleurs son entrée avec L’Angoisse du héron. D’autres grands noms à signaler : Élise Turcotte (Piano mélancolique), Paul Chanel Malenfant (Vivre ainsi) et Paul Bélanger (Origine des méridiens), tous publiés au Noroît, et aux Herbes rouges, le nouveau recueil de Benoît Jutras, à qui on a décerné le Prix Émile-Nelligan en 2002. Chez Septentrion, on lance la collection «Hamac», dédiée à la fiction et qui «propose à ses lecteurs, le temps d’un livre, de se balancer au rythme de pages qui touchent autant qu’elles instruisent». Les deux premiers titres sont Saisons Atikamekw de Line Rainville et Le Collecteur de Mireille Bisson.

Quant à l’éditrice et écrivaine Mélanie Vincelette, elle nous offre un très bon premier roman, Crimes horticoles (Leméac). Suzanne Myre, l’écrivaine qu’elle publie au Marchand de feuilles lorsqu’elle n’est pas en train d’écrire, signe un quatrième recueil de nouvelles (Le Peignoir). Cette dernière devrait poursuivre sa conquête d’un public déjà fidèle et nombreux, surtout depuis la publication de Nouvelles d’autres mères. On risque aussi d’être agréablement étonnés en lisant La Ville aux escargots de Laurence Prudhomme (Québec Amérique).

Les territoires de l’Hexagone

Caractérisée il y a peu par une propension à faire de l’individu le centre de la fiction, la littérature française délaisse les territoires hasardeux de l’autofiction pour se tourner vers l’Autre et explorer les liens intimes qui unissent les humains. Cela n’empêche pas certains esprits retors d’en découdre d’abord avec la bêtise contemporaine, et surtout avec la perception que nous avons de la valeur de la vie au sein du monde, devenu l’occasion d’un gigantesque spectacle. Ainsi, Amélie Nothomb, l’élève modèle qui ne manque jamais une rentrée, a l’occasion de déverser son fiel avec la finesse et l’ironie qu’on lui connaît. Cette fois, c’est au phénomène de la téléréalité qu’elle s’en prend avec Acide sulfurique (Albin Michel), où l’on vit l’enfermement de personnages engagés dans un jeu mortel, et dont la survie dépend du bon vouloir de kapos intraitables et des téléspectateurs. Philippe Djian a lui aussi ressenti l’envie de disséquer la télévision, et se permet d’en réutiliser les codes dans Doggy bag (Julliard).

À l’opposé du spectre de la beauté, Richard Millet nous demande, dans Le Goût des femmes laides (Gallimard), comment faire sa place dans la vie lorsque la Nature n’a pas été bonne avec nous, et traite ainsi des questions du désir et de la tyrannie moderne du paraître. Dans la même veine, incluons l’opus d’Anne-Sophie Brasme, dont le premier roman Respire (Fayard, 2002) a fait l’objet de près d’une vingtaine de traductions. Le Carnaval des monstres (Fayard) décrit le quotidien de Maria, une femme affublée d’une bouche difforme qui la range au rayon des monstres, et dont l’existence bascule le jour où elle répond à une petite annonce : «Photographe cherche personne à particularités physiques».

Les chemins qui mènent à l’accouchement font aussi l’objet de romans, comme ceux, très touchants, d’Eliette Abécassis (Un heureux événement) et de Marie Darrieussecq, qui présente dans Le Pays un exil en terre natale, dans l’attente de la vie à venir. De la progéniture fraîchement née on passe maintenant aux éternels tourments familiaux, des avenues intéressantes pour Philippe Claudel, qui livre un saisissant portrait de la déchirure avec La Petite Fille de Monsieur Linh (Stock). Au Seuil, Michèle Gazier présente quant à elle une héroïne fascinée par ses racines espagnoles dans Mont-Perdu, tandis que Lydie Salvayre (La Méthode Mila) s’interroge sur l’utilité de la pensée de Descartes lorsqu’on est aux prises avec un parent mourant. Du côté de L’Olivier, signalons un premier roman ambitieux: Falaises d’Olivier Adam, de même que le retour bienvenu de Dominique Souton, auteure de Comment mon mari et moi avons failli sauver notre mariage, qui nous livre un ouvrage au titre prometteur: Le Gynécologue amoureux. Révélé avec La Petite Chartreuse, Pierre Péju relate dans Le Rire de l’ogre (Gallimard) un double infanticide, tandis que plusieurs années après Le Zubial, Alexandre Jardin renoue avec sa famille et en dresse un portrait dans Le Roman des Jardin (Grasset).

Entre autres belles promesses, il faudra aussi jeter un œil (et même deux) sur Un instant d’abandon de Philippe Besson (Julliard), sur Adèle la pacotilleuse de Raphaël Confiant (Mercure de France) et sur Saint-Sépulcre! de Patrick Besson ( l’ «autre Besson», chez Fayard), un roman à saveur médiévale. La littérature française peut aussi tendre vers l’avenir, voire vers d’autres réalités, grâce à un Maurice G. Dantec, désormais publié chez Albin Michel, qui nous ouvre les portes d’un « infra-monde » dans Cosmos Incorporated, ou encore un Michel Houellebecq, sans conteste LE sujet de discussion cet automne en France, qui tricote serré autour du thème du clonage et du sombre avenir des hommes dans La Possibilité d’une île (Fayard). Plus rigolos et portés par une plume allègre, les romans de David Foenkinos (En cas de bonheur) et de Paul Jimenes (La Conquête de la Pologne) promettent énormément, tout comme L’Irréaliste de Pierre Mérot, auteur du remarqué Mammifères. Ces trois livres sont publiés chez Flammarion.

Un billet pour l’étranger SVP

Lire est un voyage, c’est bien connu. Mais quelles sont les destinations préférées des lecteurs, et donc des éditeurs? Pour la plupart, elles vont vers la littérature américaine où, cette saison encore, les gros canons résonnent. Ainsi, Bret Easton Ellis, celui à qui la controverse va comme un complet griffé et qui n’avait pas donné signe de vie depuis Glamorama (2000), se livre à une fausse biographie dans Lunar Park (Robert Laffont). La situation est semblable dans le cas de Russell Banks, à qui l’on doit Pourfendeur de nuages, et qui nous aura fait patienter près de six ans avant de livrer l’imposant American Darling (Actes Sud). Toujours chez Actes Sud, on note un second roman en moins de deux ans pour Paul Auster (Brooklyn Follies), décidément davantage en verve depuis qu’il a un peu délaissé ses projets cinématographiques. Edward P. Jones a empoché le National Book Critics Circle Award, le Pulitzer et l’IMPAC Dublin Award avec Le Monde connu (Albin Michel). Le roman arrive donc en librairie précédé des éloges de la critique, qui a succombé à cette vaste fresque traitant de l’esclavage et de la guerre de Sécession. Elle aussi lauréate d’un prix Pulitzer, Annie Proulx ne quitte pas la campagne et s’attarde, entre autres drames que l’on devine d’ailleurs cruels, sur l’univers des porcheries industrielles (Un as dans la manche, Grasset). Chez Plon, deux sorties majeures à surveiller: Shalimar le clown de Salman Rushdie et Leela d’Hari Kunzru, tandis qu’au Quai Voltaire, il ne faut surtout pas manquer un autre récipiendaire du Pulitzer, Richard Russo, qui revient en force avec Quatre saisons à Mohawk. Chez Belfond, on compte sur la présence toujours appréciée de l’auteur à succès Douglas Kennedy, avec Les Charmes discrets de la vie conjugale, et sur celle d’un nouveau venu, George Hagen, qui, avec La Famille Lament, livre une fresque familiale drôle et émouvante. Retenons également ce nom: Jon Fasman, qui fait la manchette avec La Bibliothèque du géographe (Seuil). L’éditeur parisien publie deux grosses pointures des lettres américaines: John Updike et son recueil de nouvelles intitulé Solos d’amour, et Robert Coover avec Les Aventures de Lucky Pierre, «une réflexion souvent ironique sur les limites et les débordements de la fiction». Du côté des maisons Philippe Rey et de l’Olivier, on mise avec raison sur deux plumes d’expérience: Joyce Carol Oates et Les Chutes, présenté comme l’un de ses meilleurs livres, et Cynthia Ozick, collaboratrice au New Yorker et au New York Times qui, avec son Monde vacillant, livre une œuvre traversée par les thèmes de l’exil et de la folie. Quant au catalogue éclectique des éditions Phébus, il s’enrichit d’un titre qui risque d’en surprendre plusieurs : Trois mois de fièvre de Gary Indiana, qualifié par la presse de nouveau Truman Capote.

Destination l’Europe, maintenant, où notre regard se porte sur les Britanniques, notamment le coloré Tom Sharpe, un rigolo sans manières qui cultive l’impertinence avec un quatrième volet des aventures de Wilt : Comment échapper à sa femme et ses quadruplées en épousant une théorie marxiste (Belfond). C’est d’ailleurs à ce roman qu’il convient de décerner la palme du titre le plus singulier! Plus sérieux, John Banville, dont la prose lumineuse demeure encore trop méconnue, tisse dans Athéna (Robert Laffont) une trame mystérieuse reliant le policier littéraire et l’étude des liens qui unissent la vie et l’art, et dans lequel les personnages de tableaux se confondent avec ceux du récit.

Faisons un saut de puce vers l’Espagne, où José Carlos Somoza, auteur génial (pardonnez l’entorse à l’objectivité) de La Caverne des idées et de Carla et la pénombre arpente de nouveau, avec La Dame no13 (Actes Sud), les territoires de l’étrange, dans l’ombre de Dante et de sa Divine Comédie, ici siège d’une confrontation avec treize sorcières du verbe. Petit détour au Portugal, à la rencontre d’Antonio Lobo Antunes (Bonsoir les choses d’ici-bas, Christian Bourgois Éditeur) et, deux fois plutôt qu’une, d’Agustina Bessa Luis (L’Âme des riches et La Sybille, Métailié). Un rapide passage par l’Italie, à présent, patrie du tordant Stefano Benni (Achille au pied léger, Actes Sud) et d’Andrea Camilleri (La Disparition de Judas, Métailié). Et puis en route pour la Turquie, lieu de naissance d’Ohran Pamuk, qui revient avec Neige (Gallimard). L’auteur de Mon nom est rouge, prix du Meilleur livre étranger 2002, explore les tensions qui secouent son pays, pris entre l’Islam et l’Occident. Il ne faudrait pas oublier les contrées scandinaves où nichent Jens Christian Grøndahl (Sous un autre jour, Gallimard) et le sympathique Arto Paasillina (Un homme heureux, Denoël). Du côté de l’Asie, on voudra partager les moments bizarres qui hantent les pages de l’œuvre de la Japonaise Yoko Ogawa dans La Formule préférée du professeur, que Leméac a eu la bonne idée de coéditer avec Actes Sud. Kenzaburô Ôé nous revient de son côté chez Gallimard (Le Faste des morts). En survolant l’Amérique, on peut faire escale en Argentine avec Alan Pauls et Le Passé (Christian Bourgois), ou renouer avec Heloneida Stuart (Les Huit Cahiers, Les Allusifs). Enfin, c’est le retour au Canada, cette «autre solitude» d’où nous parviennent les romans de Thomas King (L’Herbe, l’eau vive, Albin Michel) et Carol Shields (Au moment même, Québec Amérique).

Alors, prêts pour l’embarquement?

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