Jacques Poulin: Pour l’amour des mots

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Au lendemain de ma folle envie d'écrire sur mon auteur fétiche, Jacques Poulin, j'ai souhaité tout abandonner. Comment pourrais-je disserter sur cet écrivain chérissant l'essentiel des mots? Jamais d'adjectifs superflus, jamais de longues phrases truffées d'adverbes soporifiques… que l'essentiel. Mais j'avais accepté: je n'avais donc plus le choix. Et si Jacques Poulin lui-même venait à lire mon modeste article lui rendant hommage? Mon vocabulaire serait-il adéquat? Aurais-je usé de la ponctuation aux bons endroits? Arriverais-je à faire dire à ces mots ce qu'ils veulent réellement dire? «Je n'arriverai jamais à l'écrire, mais je vais essayer!», dixit l'auteur lui-même dans Études Canadiennes. D'ailleurs, s'il y a une seule phrase que je retiens de tous les livres de monsieur Poulin, c'est celle-ci, tirée de La traduction est une histoire d'amour: «En cas de doute, fonce tête baissée!»

Né à Saint-Gédéon de Beauce en 1937, Jacques Poulin a d’abord complété des études classiques aux séminaires de St-Georges et de Nicolet avant d’obtenir, en 1964, une licence en lettres de l’Université Laval. Avant de se consacrer entièrement à son métier d’écrivain, il a été traducteur et conseiller en orientation. Voilà pour l’essentiel des faits. Pour le reste, on n’en sait que très peu. Et c’est très bien ainsi. D’ailleurs, ce qui importe, ce sont ses textes. C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai l’impression de connaître l’auteur: grâce à ses personnages…

Son premier roman, Mon cheval pour un royaume, a été accueilli de façon plutôt mitigée par la critique…Quelques (très) mauvais papiers qui auraient pu faire taire à tout jamais n’importe quel nouvel écrivain, mais pas Jacques Poulin! Il récidive deux ans plus tard avec Jimmy puis, en 1970 avec Le coeur de la baleine bleue. En 1974, il reçoit le prix de La Presse pour Faites de beaux rêves, dont l’histoire se situe au Grand Prix de Formule 1 de Montréal.

Après Les grandes marées en 1979, il publie ce qui allait devenir son plus grand succès ainsi que ce passage obligé de ma génération: en effet, qui n’a pas été fortement invité à lire Volkswagen blues à l’école? C’était ma première rencontre avec Jack Waterman, considéré comme l’alter ego de l’écrivain. Pour la première fois, je montais à bord d’un minibus Volkswagen et j’offrais de petites croquettes à des chats. Après avoir parcouru la Piste de l’Oregon avec la Grande Sauterelle et Jack dans le but de retrouver le frère de ce dernier, j’ai voulu repartir avec lui pour une tournée d’automne… Cette histoire, c’est celle du Chauffeur qui, trois saisons par année, parcourt les régions de Charlevoix et de la Côte-Nord à bord de son bibliobus, transportant avec lui des tonnes de livres pouvant être empruntés par tous. Mais le Chauffeur se fait vieux et il lui semble que tout ça tire à sa fin. Puis un jour, dans une foule, il y a Marie. Bien que les personnages ne soient pas toujours les mêmes, les noms de Jack Waterman et de Marie reviennent souvent. Marie, Mary, Marika… parce que ce nom évoque LA femme, la première, la vraie, l’idéal féminin recherché. On se doute bien qu’encore une fois, l’amour prendra une grande place au sein du texte. Depuis ces deux livres, je n’ai pu abandonner Jacques Poulin…

En 2008, Jacques Poulin obtient le prix Gilles-Corbeil, attribué tous les trois ans par la Fondation Émile-Nelligan, pour souligner l’ensemble de l’oeuvre d’un écrivain de langue française, au Québec. L’année d’après paraît L’anglais n’est pas une langue magique, son dernier livre que j’ai admiré avant d’en déguster chaque mot.

Depuis le premier instant passé dans l’univers créé par Jacques Poulin, il y a une douzaine d’années, et dès que j’ouvre un de ses bouquins, je sais qu’en lisant cet auteur je me retrouverai chez moi, peu importe où il m’entraînera cette fois. Je sais que ce sera chaud, douillet, ensoleillé et plein de livres. Je sais aussi que je dois prendre le temps de lire les mots, un à un, «ralentir la lecture pour retarder le moment où [on doit] être obligé de quitter les personnages» (La tournée d’automne), puisque ces mots sont si importants et choisis avec tant de soin. Je ne sais pas si un jour il considérera qu’il est parvenu à son but, celui de raconter la plus belle histoire d’amour: un bonheur pur, «cette chose indescriptible et plate comme une mer calme», dit-il. Je crois, au fond de moi, que cette histoire, il la vit en silence avec tous ses lecteurs qui attendent impatiemment l’écrivain qui, pour eux, semble le plus lent du Québec.

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