Hymnes aux printemps

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Les sept denses nouvelles du premier recueil d'Hélène Robitaille, Les cigales en hiver, ont pour noyau la naissance sous toutes ses formes: mise au monde, commencement, renouveau, éclosion, ouverture, début, création, «parce que la naissance n'arrête pas d'être inquiétante tout au long de la vie, et douloureuse même».

Ces renaissances nécessaires à l’évitement de l’engourdissement de l’âme, même la «plus noire», créent des personnages en perpétuel mouvement, vacillant entre les joies de la confrontation aux autres et la peur de l’engagement, finissant trop souvent dans «une vraie solitude, à cause de cette peine constante au cœur et de cette lumière au loin dont on ne sait rien, dont on ne sait pas s’il s’agit de l’espoir et s’il faut avancer, ou s’il s’agit de la mort et qu’il faut avancer». Si seulement nous savions ce qui nous attend au bout du chemin.

Les personnages mélancoliques, souffrant de leurs faiblesses et de rapport déviant à ce monde qui s’effrite, auront la chance de croiser sur leur route un ami, une amoureuse ou encore un étranger qui, telle la cigale profitant de l’été, leur apprendra à se laisser envahir entièrement par la vie. Chantent ainsi une petite fille se libérant des «vestiges» du désir brisé «d’être prise et serrée fort» par son père absorbé par l’alcool, une femme s’attachant aux passants dans le but de combler son rêve d’apaisement ou un vieil homme, seul et fragile, qui rejoint le fleuve en espérant trouver un peu de réconfort avant que «tout s’achève».

De cette mort omniprésente comme seule certitude de notre existence, naît l’exaltation de la vie. Cette vie, construite, déconstruite et reconstruite par «les écarts et les fausses notes», mérite, pour ne pas dire nécessite, un investissement d’humanité sans retenue, au-delà du doute et de la peur, pour qu’en résulte la joie profonde d’exister «impérieusement, fatalement, déraisonnablement».

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Extrait

Elle avait des seins de porcelaine, et toujours un peu tristes à cause de ce creux, tellement beau, juste en haut du mamelon. Je m’en souviens: qu’elle rie, joue du piano ou s’occupe avec grâce des rosiers que lui avait offerts son père; qu’elle prenne un long bain chaud et moussant, en appuyant sa tête sur le bord de la baignoire et en laissant pendre au dehors ses longs bras blancs dans un geste puis une pose pleine d’abandon, pleine de jeunesse encore et d’une lassitude invitante, ses seins creux et doux n’en répandaient pas moins autour d’elle une étrange gravité, une étrange infirmité avec les grands déserts, avec le manque. Avec la mort. Ma mère. Et ses seins tristes, menus comme les hirondelles.

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