Grand-Mère: François Blais et la ville qui n’en est pas une

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Il n’existe malheureusement pas de carte interactive des prédateurs sexuels de la ville de Grand-Mère en Mauricie. Sur FamilyWatchDog.us, seules les villes américaines ont le droit d’avoir un recensement exhaustif de ces criminels (toutefois, ami lecteur, sache que ce même site offre aux malheureux citoyens canadiens comme toi et moi de signer une pétition en ligne, question d’étendre les fonctions dudit site sur notre territoire).

Me retrouvant ainsi le bec à l’eau, je devais trouver une autre façon de rendre honneur à cette ville. Ne quittant pas Internet, je feuilletai virtuellement les pages de l’encyclopédie Britannica moderne qu’est Wikipédia et, diantre, que lus-je donc? Semblerait-il que cette ville n’existe plus depuis 2002, ayant fusionné avec le grand Shawinigan (Tu dois comprendre ma déception lorsque je compris que je gaspillais un bel après-midi de mai pour faire le portrait d’une ville qui n’existait ni pour la législature québécoise ni pour les Red Necks. À quoi bon?).

Comment donc aborder une ville qui n’en est pas une et qui, par-dessus le marché, ne possède aucun registre de déviants sexuels? Il n’en subsiste que le nom, Grand-Mère. Et comme le demande François Blais dans Iphigénie en Haute-Ville : « C’est un gérontophile qui a fondé la place? » (Si l’œuvre de Blais t’est inconnue, le roman cité précédemment serait un bon départ, pauvre néophyte.) Eh bien non, le même roman nous apprend que la ville porte ce nom en raison du Rocher de Grand-mère. Des colons auraient trouvé certaines similitudes entre ce bout de pierre et une femme âgée (c’est à ce moment, ami lecteur, que tu sors ton téléphone intelligent à 80$ par mois et que tu agrémentes ta lecture d’une photo du rocher en question pour te rendre compte que les Anglais devaient être intolérants au Caribou et que les Peaux-Rouges ont dû abuser du calumet de la paix pour y voir une quelconque ressemblance).

Il ne nous reste que la littérature de François Blais, Grand-Mérois d’origine ayant lui-même fui pour Québec. La majorité de son œuvre s’y déroulant, on peut y voir une contrainte littéraire intéressante, où un auteur choisit de troquer les habituels Québec et Montréal pour une banlieue de Shawinigan; échangeant pour ainsi dire la Maine et la Grande-Allée pour la 6e avenue et le boulevard des Hêtres (ou, entre toi et moi, ami lecteur, un manque d’imagination profond d’un auteur qui écrit sur son patelin maternel. Est-ce ce qu’on appelle du néoterroir?). On apprend donc dans Iphigénie en Haute-Ville qu’on sort à Trois-Rivières; dans La nuit des morts-vivants qu’on travaille à Shawinigan; et dans Document 1 qu’on veut partir en voyage en Pennsylvanie. L’auteur confirme, d’une certaine façon, qu’il n’y a rien à voir à Grand-Mère.

Peut-être élucide-t-il le mystère de cette ville en évoquant ses attraits dans son nouveau roman, La classe de madame Valérie, qui sait? (Roman que je n’ai bien franchement pas eu le temps de lire, il y a tout de même des limites au fardeau de travail tolérable pour collaborer bénévolement à une revue gratuite) Il n’en demeure pas moins que la ville de Grand-Mère est un peu comme les romans de François Blais : « Tu les prends et tu les laisses quand tu veux ça fait pas un pli pour être honnête ça revient toujours pas mal au même et il n’y a pas vraiment d’histoire. »Et on ne changerait ça pour rien au monde, n’est-ce pas, ami lecteur?

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