Apprivoiser… la littérature érotique avec Marie-Christine Pinel

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La sexualité a plusieurs visages, mais rares sont les ouvrages qui font l’étalage de son large éventail. Marie-Christine Pinel, sexologue, remédie à cette faille en proposant un recueil qui offre différents points de vue sur la sexualité, bien loin des stéréotypes et du complexe de performance. Dans Fontaine de feu (Leméac), des « gens ordinaires » défilent entre les pages, nous laissant découvrir l’intimité de vieillards, d’adultes en couple, d’enfants ou de personnes aux prises avec une maladie. Le tout est servi dans une écriture littéraire qui rappelle que la littérature érotique n’est pas que du « bang bang », et prouve que ce genre peut être hissé au rang du domaine artistique. Marie-Christine Pinel a accepté de nous parler de sa démarche, de sa vision.

Qu’est-ce que la littérature érotique québécoise a de mieux à offrir que Cinquante nuances de Grey?
D’abord, je crois que les écrits québécois sont plus honnêtes, en ce sens qu’eux ne conservent pas au creux de leurs entrailles un effet secondaire, qui se libère de manière insidieuse. Dans la trilogie « Grey », on assiste à un phénomène silencieux qui agit sur les lecteurs (bien que dans ce cas, je devrais plutôt parler de lectrices). Ces écrits nourrissent un fantasme compensateur qui agit dans l’imaginaire érotique d’un très grand nombre de femmes pour qui le modèle de femme désirante a douloureusement manqué. Ce fantasme met en scène cette femme-objet, fière d’être élue et prise sexuellement par cet homme, à qui elle consent tous les pouvoirs. 

La littérature érotique québécoise peut nous sortir des représentations qui servent des enjeux de performance : mouiller, bander, pénétrer, jouir et éjaculer (abondamment), pour raconter les désirs secrets, les hésitations, la complicité, les contraintes, simplement la vie qui vit dans la sexualité.

Vous êtes sexologue. Selon vous, en quoi la littérature érotique peut-elle être bénéfique au sein d’un couple, au sein de la sexualité des gens?
Avec l’abondance de matériel pornographique disponible sur Internet, avec la déresponsabilisation que permet l’utilisation des réseaux sociaux, de plus en plus de gens sont en perte de sens. Si souvent ils peuvent être choqués par les modèles que l’industrie leur propose, ils n’ont pas toujours les moyens de les remettre en question. La littérature érotique peut faire contrepoids et porter d’autres valeurs que la consommation, la performance et les standards de beauté. Celle-ci peut soutenir la diversité sexuelle, la bienveillance, la curiosité, l’accueil de soi. Nous ne sommes pas des anges ni des objets, nous sommes des êtres sexués. Par la littérature, on peut redonner ses lettres de noblesse à la sexualité et proposer des univers érotiques qui suscitent une excitation émotionnelle et sensuelle – indissociablement physique et mentale –, qui permettent à l’humain de célébrer sa part divine dans sa chair.

Quels sont les écueils à éviter lorsqu’il est question d’écrire le désir?
Écrire le désir, c’est prendre un risque. C’est consentir à l’invitation de la rencontre intime avec soi et habiter ce lieu intact, qui offre un merveilleux silence et où le désir se raconte sans honte et sans presse. La posture de l’auteur ne devrait pas être bien définie. Non pas qu’elle devrait être minée de doutes, mais plutôt en appui sur juste assez de confiance pour tenir le temps de s’offrir, bien poreuse, et de se laisser pénétrer d’une dose suffisante de « Je ne sais pas ».

Le désir ne s’écrit pas, il s’écoute avec le corps qui porte tellement de mémoire, d’échos, de visions. Une écriture sensorielle, qui voit et qui entend, qui discerne et qui touche, qui enivre le lecteur et le rend curieux, qui lui donne le goût de lui et de l’autre, me paraît essentielle à l’émergence du désir. C’est une manière d’écrire, tout en nuances, où le désir ordinaire se renouvelle dans des personnages qui sont vrais, vivants et surtout pleinement sujets!

 

Autres suggestions de lecture :

Erotica : anthologie de poésies érotiques féminines
Love Bowman (dir.) et Monique-Marie Ihry (ill.), Atlande, 138 p., 27,95$
Accompagnés d’illustration, les poèmes de ce recueil sillonnent le monde (Chine impériale, Paris des salons, Moyen-Âge andalou) et traversent l’Antiquité jusqu’au XXe siècle. Ils sont signés par des femmes qui savent porter aux nues l’amour et la sensualité.

Abracadabra. Les illusionnistes milliardaires de Boston (t. 1)
Nicole Camden, ADA, 312 p., 9,95$
Une nouvelle série qui unit un génie milliardaire, aussi charmant qu’amateur de magie, à une médecin, femme rationnelle qui se trouve sous l’agréable emprise de l’illusionniste. 

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