De recettes, il n’y en a pas. Ni conseils ni trucs à partager. On m’a gentiment proposé de m’adresser aux profs de français « pour les aider à rendre la littérature intéressante aux yeux de leurs élèves (de 14 à 18 ans), pour soulever ce qui cloche présentement ou pour souligner les bons coups qui sont faits, pour les pister sur des œuvres à faire lire aux adolescents ».

Je crains que ce texte en déçoive plusieurs. Ma pédagogie de la lecture (le terme est pompeux, mais puisqu’il le faut), je l’ai construite sur le tas. Si j’ai quelque mérite, c’est d’avoir vite compris que c’était le nerf de la guerre, contrairement à l’enseignement de la grammaire dont on accable les profs de français, ultimes responsables du désastre en fin de parcours. Le chantier de la langue est sans fin, les élèves d’aujourd’hui feront toujours plus de fautes que ceux d’hier. On n’en est pas à une réforme près pour régler la question. Pour moi, il y avait plus urgent.

Il me fallait intéresser les jeunes à la lecture. L’avenue la plus facile, celle qu’on a tendance à privilégier – le milieu de l’édition l’a bien compris –, c’était de leur faire lire des livres à leur portée. J’ai fait le contraire au début.

Mon parcours en littérature (je n’ai après tout qu’un certificat en éducation) favorisait une autre approche, plutôt idéaliste et parfaitement déconnectée. Du réel. Ainsi, j’ai fait lire La métamorphose (Kafka) et La princesse de Clèves (Madame de La Fayette) à des groupes de troisième secondaire au début des années 90. J’ai probablement raté mon coup. Je ne sais plus quelle était l’intention de lecture que je leur avais donnée – ne jamais faire lire quoi que ce soit aux élèves sans préciser l’intention de lecture, j’ai appris ça sur le tard, c’est absolument pédagogique et nécessaire, ça a à tout le moins le mérite d’obliger le prof à se questionner. Pourquoi faire lire ça? Pourquoi faire lire, d’abord?

J’avais lu Comme un roman, de Daniel Pennac, dont les dix commandements du lecteur, affichés dans ma classe, rappellent l’importance d’exercer ses droits, à commencer par celui « de ne pas lire ». Incompatible avec mon rôle de prof-qui-doit-faire-lire-et-évaluer-ses-élèves. « Le droit de sauter des pages », « Le droit de ne pas finir de lire ». Je n’allais jamais m’en sortir. Quels auteurs, quels livres choisir pour les intéresser jusqu’au bout, tous autant qu’ils sont?

Leur permettre de lire ce qu’ils aiment, bien sûr. Des livres au choix. Qu’ils me suggèrent. Apprendre qui ils sont, où ils en sont. Au fil des ans, j’ai garni ma bibliothèque de classe avec des romans que les jeunes ont choisis en librairie. J’ai plus ou moins abandonné la grande littérature, celle que j’affectionne, qui compte à mes yeux. Je me suis dit que le plus important, c’était qu’ils le fassent : lire.

Chasse le naturel, comme on dit, il revient au galop.

C’est plus fort que moi. Les premières fois, je ne leur mets pas le livre dans les mains. C’est moi qui lis. Quelques pages au début du cours. Au bout d’une semaine, ils réclament la suite. Alors j’alterne, tantôt je lis des pages, tantôt j’en imprime quelques-unes qu’ils lisent eux-mêmes, curieux, pressés. C’est Le Horla (Guy de Maupassant), c’est Le grand cahier (Agota Kristof), c’est Le vieux chagrin (Jacques Poulin), c’est Un habit de lumière (Anne Hébert), ce sont les livres qui, pour moi, ont fait une différence. Les jeunes le sentent. Et ils veulent comprendre pourquoi.   

J’ai plutôt tendance à être comme un livre ouvert avec eux. Ils savent, par exemple, que j’ai commencé à écrire grâce au Journal d’Anne Frank. Que je faisais aussi pas mal de fautes à leur âge. Je leur ai confié mon aversion pour les examens de compréhension de lecture. Autant comme élève, autrefois, que comme prof, à présent. Pas facile de donner la réponse attendue du prof. J’étais toujours dans le champ. Ou de n’avoir que les mots écrits pour évaluer leur compréhension en lecture. Un constat qui m’a forcée à développer de nouveaux outils, une approche plus expérientielle de la lecture pour les fins de l’évaluation.

Je termine ma carrière de prof en juin prochain. J’ai du mal à me faire à l’idée quand je pense à tout ce que j’ai compris et expérimenté dernièrement au chapitre de l’apprentissage de la lecture. J’ai l’impression de tout juste commencer à comprendre. Aussi, je veux bien tenter de résumer pour passer au suivant.

Règle 0 : Lire soi-même abondamment de tout.
Règle 1 : Aucune lecture n’est trop difficile si l’élève est accompagné adéquatement.
Règle 2 : Faire lire en classe pour être témoin de leur expérience.
Règle 3 : Faire la lecture aux jeunes, les encourager à discuter, à se questionner.
Règle 4 : Réinventer l’évaluation en favorisant la création.
Règle 5 : Faire lire avant tout des auteurs, pas seulement des livres.

Dernière chose, pour la route : quoi qu’on échafaude pour faire apprendre nos élèves, tout peut vite s’écrouler sans passion ni conviction.

Alors peut-être que oui, La princesse de Clèves, finalement.

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